Une si jolie fleur

Ecrit par GUILLUY Guillaume (4ème, Collège Noès de Pessac)

Une si jolie fleur

À quelle tribu appartenait celle-ci ? Jason arracha ses semelles à la terre gluante et se dirigea vers elle.

« Peut-être aura-t-elle des informations importantes... » se dit Jason.

Cela faisait deux jours maintenant que ses amis Thibaud et Maxence avaient disparu. Avec Jason, ils constituaient le groupe des inséparables. Où on trouvait l’un, on trouvait invariablement les autres. Ils avaient grandi ensemble, étaient allés ensemble à l’école. Partagé ensemble le rêve d’aller un jour dans la jungle amazonienne. Et pour s’y préparer, il avaient projeté une expédition dans cette autre jungle. Celle qui avait poussé aux portes de la ville.

Jason aurait dû être porté disparu lui aussi, sans une fièvre qui l’avait cloué au lit. Et pour une fois que les inséparables étaient séparés, quelque chose avait mal tourné. C’était un signe. Le garçon devait se lancer à la recherche de ses amis pour les sauver.

Bien sur, il n’avait rien dit à ses parents. Pas plus qu’aux policiers qui étaient venus l’interroger d’ailleurs.

Tôt ce matin, il s’était laissé glissé le long de la vigne vierge. Puis il avait récupéré son sac à dos caché dans les hortensias. Dedans se trouvait tout le nécessaire pour survivre. Par trois fois, Il l’avait vérifié la veille. Couteau, boussole, bidon d’eau, biscuits secs, allumettes, ficelle, fil de pêche, hameçons, carnet, crayon de papier. Chaque objet à sa place. Jason était capable de trouver chacun d’eux les yeux fermés.
Le soleil n’était pas encore levé que le garçon arrivait déjà à la frontière entre les deux mondes. Rien n’en interdisait l’accès. Comme si un accord tacite spécifiait qu’au-delà de cette limite, les lois étaient différentes. Comme si chacun savait que passée cette rue, tout pouvait survenir. Comme s’il fallait être fou pour s’y aventurer.
L’heure matinale et la fraîcheur de la nuit avaient contraint les derniers êtres humains à se réfugier chez eux.

C’est ici qu’ils avaient convenu d’entrer dans la jungle. Cet endroit en valait un autre. Il présentait cependant l’avantage d’être à une distance équivalente de leur domicile respectif.
Jason chercha.Tout bon explorateur sait qu’il doit marquer son itinéraire afin de pouvoir retrouver son chemin au retour. Ses amis avaient donc dû laisser des traces de leur passage.
Une brume s’élevait des herbes hautes poussant le long du fossé humide. Un nuage de mouches semblaient se passionner pour un petit monticule que Jason se refusa d’identifier. Elles bourdonnaient dans la chaleur des premiers rayons de soleil.
Plus il avançait dans ses recherches et plus son angoisse montait. Rien. Rien sur la piste. Rien sur le mur à moitié écroulé. Rien sur le poteau téléphonique.
Mais dès que Jason se dirigea vers l’arbre, son cœur se mit à battre plus fort. Il le voyait à dix mètres : trait-croix-trait. Ses amis étaient passés ici ! Et ils avaient continué tout droit !

Il s’engagea donc sur le sentier du milieu, celui qui menait vers le cœur de la jungle, cherchant de nouveaux signes de leur passage.
Une première habitation apparut. Si tant est qu’on pouvait appeler cela une « habitation ». C’était plutôt une cabane. Ou mieux une construction. C’était un tas, en fait. Un tas de rebut entassé au fil des découvertes : une palette, une porte de voiture à la vitre brisée, un plastique d’emballage de matelas... Tout ce qui pouvait contribuer un tant soit peu à empêcher l’eau de s’infiltrer et la chaleur de sortir avait été empilé là.
Poursuivant son chemin, Jason s’aperçut qu’un vide avait été conservé sur l’un des côtés du tas. L’entrée. Elle était petite et sombre. Dans la clarté du jour naissant, on ne distinguait rien de l’intérieur. On voyait juste un trou tout noir. Un trou ressemblant à l’antre d’une bête monstrueuse. Un trou semblant aspirer le regard, attirer le passant comme un aimant. Imperceptiblement, le garçon infléchit son trajet en direction de l’ouverture. Il passerait à moins de deux mètres. Mais il en était encore à plus de quatre lorsqu’un grondement sourd s’éleva de la construction. Le grondement prit rapidement de l’ampleur et se transforma en un hurlement sauvage...
Jason ne sut jamais ce qui avait poussé ce cri. Car au moment où la chose sortait de son repère pour défendre son territoire, le garçon était déjà à plus de trente mètres, courant aussi vite qu’il le pouvait. Comme si la mort s’était lancée à ses trousses.
Il ne ralentit que lorsqu’il fut certain que rien ne le poursuivait. Puis, après un coup d’oeil au-dessus de son épaule s’arrêta complètement pour reprendre son souffle. Le garçon reconnut l’endroit où ses pas l’avaient mené. C’était la limite que la police ne franchissait pas...
Lorsque ses camarades et lui préparèrent leur expédition, ils eurent l’idée de grimper dans les plus hautes branches d’un peuplier centenaire, situé sur une colline. De là-haut, ils purent observer la patrouille journalière que menaient les forces de l’ordre dans la jungle. Celle-ci avait été exigée par les autorités civiles lorsque les premiers problèmes survinrent.
Tous les matins, un groupe d’une dizaine d’agents prenait le chemin de la jungle, sous les yeux des quelques caméras et photographes présents. Les premiers jours, on avait entendu des tirs et des cris. Des corps avaient été ramenés dans des sacs. Mais depuis plusieurs semaines,on voyait la patrouille ressortir en fin d’après-midi, toujours complète, le sourire aux lèvres, la satisfaction du devoir accompli affichée sur les visages.
De leur perchoir, les garçons avaient découvert une autre réalité. Chaque matin, les policiers rejoignaient le même point : une dépression qui avait servi de dépotoir. Et, hors de vue des journalistes, ils s’installaient pour passer la journée. Les uns veillaient, armes pointées vers l’extérieur en un cercle défensif, pendant que les autres se reposaient. Puis quand venait l’heure du retour, ils prenaient bien soin de salir leurs chaussures et leur vêtements avec de la terre afin de donner le change.
C’était là que se trouvait Jason. Devant le dépotoir où la police avait ses habitudes.
Pris d’une soudaine inspiration, le garçon sortit son carnet et rédigea un message. Il y expliqua brièvement la disparition de ses amis, et son départ à leur recherche. Puis il accrocha le papier de manière bien visible. Comme ça, les policiers seraient au courant. Ça lui assurait deux ou trois heures d’avance, et surtout l’envoi des secours.
Un peu rassuré, Jason reprit sa route. Dans sa course pour échapper au danger, il avait foncé tout droit, sans vérifier qu’il était toujours sur la bonne route. Au carrefour suivant, il put s’en assurer : croix-trait-trait. Ils avaient pris à gauche.
De nouvelles constructions furent en vue, puis se densifièrent jusqu’à former un semblant de rue. Les premiers êtres humains apparurent. Ils paraissaient ne pas s’apercevoir de la présence du garçon, agissaient tels des automates en vaquant à leurs activités.
Pourtant, alors qu’il avançait, Jason constata qu’ils tournaient légèrement sur eux-mêmes pour le suivre du coin de l’oeil. Et qu’ils gardaient toujours entre eux et lui une distance minimale : la distance de fuite... Celle qui leur donnait suffisamment d’avance pour se mettre à l’abri. Ainsi agissaient les animaux dans la jungle. En tout cas ceux qui servaient habituellement de gibier, les maïpouris ou autre capibaras, toujours sur leurs gardes en une perpétuelle vigilance qui ne s’achevait qu’avec une mort généralement violente. Intimidé, le garçon ne put se résoudre à aller vers eux pour se renseigner.
Il poursuivit donc son chemin jusqu’à un semblant de clairière. C’est là qu’il rencontra la petite fille. « Peut-être aura-t-elle des informations importantes... » se dit Jason. Elle était de l’autre côté et lui tournait le dos. Son attitude détonnait par rapport aux autres. Insouciante, elle cueillait de minuscules fleurs sombres qui poussaient le long d’un buisson.
Au moment où Jason se décida à lui parler, à s’approcher, elle s’en alla par un sentier et disparut derrière la végétation. Le garçon s’élança dans la clairière, mais un léger mouvement sur la droite l’arrêta.
Un adolescent s’était avancé. Plus âgé que Jason, il avait ce fin sourire qui ne s’étire que d’un côté de la bouche. Jason connaissait ce genre de sourire. Il était la garantie de désagréments « bien désagréables »pour celui à qui il était adressé.
D’autre part, le nouveau venu n’avait pas le regard anxieux des autres. Lui, c’était un prédateur. Il poussa une sorte de cri auquel répondirent aussitôt d’autres, provenant d’au moins quatre directions différentes. Un prédateur qui chassait en meute !
Jason se retourna et se mit à courir, accompagné par un nouveau hurlement indiquant que la chasse était lancée. Il rejoignit la zone des cabanes et remarqua à temps la foule qui s’ouvrait devant l’un des chasseurs venant dans sa direction. Il bifurqua à droite et entendit, trop tôt à son goût, les cris indiquant sa manœuvre. Sprintant à perdre haleine, il prit deux fois à droite puis trois fois à gauche. Devant lui, les gens s’écartaient, conscients de ce qui se passait, heureux de ne pas être le gibier.
Puis, ce fut le choc... Violent... L’un de ses poursuivants l’avait percuté au détour d’une ruelle. Sous le coup de la douleur, Jason eut le souffle coupé. Il fallait absolument qu’il réussisse à se relever. Mais au moment où il se remettait sur ses pieds, une jambe le faucha et le renvoya au sol. Il se traîna sur les genoux jusqu’à une porte et se releva pour faire face à ses agresseurs.
Ceux-ci ne se pressaient pas. Le gibier était coincé.
Face à Jason, trois adolescents maigres approchaient. Ils étaient vêtus de haillons déchirés qui cachaient mal leurs muscles fins, rodés aux longues poursuites. L’un deux tenait un long bâton dont la pointe avait été durcie au feu. Jason se refusa à identifier du sang séché dans les traces sombres qui maculaient la hampe. Il fit passer son sac devant lui pour s’en servir comme protection. Ce geste dérisoire déclencha des ricanements. Puis, soudain, les visages changèrent d’expression. De la colère, teintée de peur, remplaça la joie. Jason s’aperçut trop tard que la porte contre laquelle il se tenait, venait de s’ouvrir. Une main large comme une pelle s’abattit sur sa tempe et le projeta à terre. Un bourdonnement aigu résonna dans son oreille. Alors que devant lui il voyait s’enfuir trois paires de pieds nus, la main le saisit par le poignet gauche et le releva sans ménagement. Le regard de Jason se retrouva à hauteur d’une tête énorme et hideuse. Une tête de quelqu’un qui avait l’habitude d’être du « bon côté » des coups... Celui où on les donne pas celui où on les reçoit.
Le garçon venait d’échapper à une bande de hyènes pour aboutir dans les pattes d’un ours.
Une haleine immonde de dents cariées submergea le garçon. L’affreux individu le secouait en lui broyant le poignet. Comme s’il avait l’intention de désarticuler sa proie. Une bave blanchâtre coulait au coin de sa bouche. Il leva son autre main lentement, cherchant l’endroit où il allait l’abattre. Alors que la main atteignait son apogée, un cri aigu arrêta son geste :
« Qu’est-ce que tu fais !? »
C’était la petite fille ! Il pouvait la voir de près à présent. Ses yeux noirs irradiaient de fureur. Elle fixait la brute sans ciller. Dans un instant de lucidité, Jason voulut lui dire de s’enfuir, qu’elle était en danger ici. Mais les sifflements perduraient dans son oreille et aucun mot ne franchit ses lèvres. Il fut soudain surpris en se retrouvant par terre. La main l’avait lâché.
Alors que la porte se refermait sur le géant, la petite fille s’en alla.
« Viens ! », lança t-elle sans se retourner.
Encore à moitié étourdi, Jason réussit tant bien que mal à se relever. Il se demanda à qui pouvait bien s’adresser ce « viens » avant de conclure que ce ne pouvait être que pour lui. Plus aucun être humain n’étant désormais visible.
Il suivit donc la petite fille à travers les constructions. Leur chemin les fit passer près de la clairière où il l’avait vue pour la première fois. Ils arrivèrent enfin devant une petite cabane faite de rondins de bois. La fille y entra sans hésiter. Au bout de quelques secondes Jason la suivit.
Un petit feu couvait dans un coin, jetant une faible clarté sur l’aménagement de l’étroite habitation : une couche faite de branches de saule ; un semblant de table sur laquelle des petits tas de plantes attendaient d’être suspendus pour sécher ; une petite caisse où l’on devinait quelques vêtements dont la couleur rappelait quelque chose à Jason. Et enfin sur le feu lui-même, une petite casserole cabossée d’où émanait une odeur de ragoût très prometteuse. Tout était à l’échelle de sa petite et unique occupante.
« Assieds-toi, ordonna t-elle.
Jason se surprit à obéir et s’installa à côté du feu.

  • Merci pour tout à l’heure... commença maladroitement le garçon ne sachant trop lui-même ce qu’il incluait dans ce « tout à l’heure ».
  • Je m’appelle Jason, ajouta t-il en espérant apprendre en retour le nom de la jeune fille.
    La fille lui tournait le dos, occupée à ranger des choses dans la caisse. Elle se retourna à moitié pour le regarder de haut en bas, semblant le jauger.
  • Que fais-tu ici ?
    Encore cette voix impérieuse à laquelle on ne pouvait résister.
  • Hé bien... je suis à la recherche de mes amis...
    Elle tira d’un geste brusque un morceau de bâche sur la caisse.
  • Ils sont venus dans la jun... dans le coin, poursuivit-il maladroitement. Tu les as peut-être vus ?
    La fille se coula près du feu et mit une bouilloire à chauffer.
  • La zone est dangereuse, lâcha t-elle les yeux fixé sur les braises.
    Puis, fouillant dans ses plantes, elle extirpa quelques feuilles qu’elle mit dans un verre ébréché. Elle versa dessus de l’eau chaude lorsque la bouilloire commença à siffler.
  • Bois !
    Jason l’avait regardé faire et s’était aperçu qu’il avait très soif. Aussi attrapa t-il le verre sans se faire prier et commença t-il à boire. La tisane avait un goût agréable, un goût de miel dû aux bourgeons de saule. Il y avait une autre saveur aussi, une saveur plus aigre qui venait lorsque la douceur du miel se dissipait.
    Un mouvement entr’aperçu à l’extérieur attira l’attention du garçon. C’était l’un des ados qui lui avait donné la chasse plus tôt dans la matinée. Jason eut un mouvement de recul qu’il contrôla mal. Il s’affaissa sur le côté.
  • Ne t’inquiète pas, le rassura la petite fille.
  • Que font-ils ici ? ,demanda Jason d’une voix pâteuse qui lui sembla venir de loin.
  • Ils rôdent toujours dans le coin en espérant pouvoir grapiller les miettes...
  • ...les miettes ?
    Dans la bouche, le garçon sentit un petit bout végétal qu’il récupéra sur l’extrémité de son index. C’était une fleur, une minuscule fleur noire que Jason, passionné de botanique reconnut tout de suite : « viduam negra ». La veuve noire...La petite plante dont le poison est si violent que le simple fait de la cueillir vous condamne. D’après la légende, tous ceux qui avaient essayé de l’offrir en bouquet à leur bien aimée n’en n’avait pas eu le temps... Aussitôt que l’inconscient posait ses doigts sur la frêle tige, un serment d’amour le liait irrémédiablement à la fleur, laquelle ne supportait pas la trahison de son amant et le punissait immédiatement.
    Alors que Jason allait sombrer dans l’inconscience, les indices se mirent soudain en place : ...ses amis disparus... la brute qui s’enfuit devant une petite fille...le vide qui se fait devant elle...la caisse avec cette veste colorée : la veste de Maxence !
    Après avoir échappé aux hyène et à l’ours, il avait atterri dans les filets de la créature la plus implacable de la jungle. Quelle manque de chance !
    Une dernière image se forma dans son esprit : le message qu’il avait laissé pour les policiers. Heureusement qu’il était prévoyant !
    A quelques centaines de mètres de là, le sergent Hernandez se frotta le menton. Il relut pour la quatrième fois le message que son subordonné avait trouvé en arrivant près du dépotoir. Face à lui, ses hommes étaient prêts à tout. Il le sentait. Même à le tuer et à faire passer ça pour un accident. Hernandez se rangea donc à leur avis et roula le message en boule. Puis, il l’enflamma avec son briquet.
    Après tout, lui non plus n’avait aucune envie de se frotter de nouveau à la petite dingue insaisissable. Celle qui leur avait tué deux hommes la dernière fois avec des fléchettes empoisonnées.