L

 [...]alors j’ai sorti mon téléphone de ma poche et j’ai enfin osé composer le numéro que je connaissais par cœur, depuis un an exactement.  
Un an, un an que je sais son nom, son visage, ses petites tâches de rousseurs qui s’étendent du bout de son nez jusqu’à ses fossettes dessinées avec joie, ses cheveux fous coupés de près et son corps si abîmé par les insultes que son sourire y paraît inapproprié. Ce sourire qu’elle décroche aux passants et à ceux qu’elle aime.
J’ai appris avec le temps que le sourire est contagieux, cela n’en fait-il pas la plus belle des maladies ? Ah ! Les maladies ! Elles viennent, affaiblissent, consument et au final tuent ; ou alors, il y a les petites maladies, celles qui arrivent par surprise, t’embêtent pendant une semaine et repartent. Je n’aime pas les petites maladies, quand j’étais petite, une fois, j’ai vomi, c’était horrible.

Et voilà, je m’égare, encore et toujours, toujours je m’égare, je me perds dans le fil de mes pensées, je me noie dans la vague de mes idées, je m’engouffre dans la forêt de mes souvenirs. Mais après tout, ce n’est pas si grave de se perdre, cela aide à mieux se retrouver. Par exemple,elle, je l’ai enfin trouvée et en la voyant, je me suis révélée à moi même.
Je me souviendrai toujours de ce moment où je l’ai vue pour la première fois, elle était magnifique. Ses yeux verts qui pétillaient, ses cheveux de feu tombant légèrement sur son front. Ah ses boucles rousses comme je les aime ! Celles-là même, qui lui ont valu bien des critiques.

Le froid, il me scie les doigts de la main, je me souviens pourquoi je suis là, devant chez moi, un soir d’hiver, en train de rêver, le ventre noué. Je regardais ce téléphone et ce numéro que je n’avais jamais appelé ; alors,doucement, avec tout le poids de la vérité et de la peur, j’appuyais sur cette touche. Le calme... Un premier son, puis un deuxième, un troisième ; je les avais tous comptés jusqu’à ce que j’entende son répondeur. C’était la première fois que j’écoutais sa voix. Elle était un petit peu rauque mais pleine d’affection.

A ce moment là, je réalisais que ce n’était pas la douce voix mélodieuse que je m’était imaginée mais un message automatique m’apprenant que ce numéro n’était plus attribué.

Le bruit d’un klaxon me ramène à la réalité. Cette même réalité qui vient de me briser, me casser, me déboussoler. J’ai souvent perdu le Nord, mais cette fois j’ai peur de rester enfermée dans l’ouragan qui me traverse. Les perles de tristesse sont devenues des lames sanglantes découpant le fil de mes pensées en lambeaux de vérité. Les cicatrices du manque et de l’amour me rongent.

Ma mère qui m’appelle. Elle m’appelle toujours quand elle sort de la voiture, mais là elle a l’air troublé. Le genre de trouble qui inquiète. Je l’ai rarement vu se questionner ainsi à mon sujet. Je distingue sur son visage tendu le même soulagement de me retrouver. Cependant, cette lueur habituelle prend la couleur de sa peur.
Ce soir, elle s’est approchée de moi. De ses lèvres si délicates, elle a déposé un baiser sur ma joue desséchée, et a recueilli ma souffrance. Deux bêtes blessées.
En mon cœur meurtri, elle a su redonner vie.