Texte de Patrick Rambaud

A sept ans, je connaissais le Feu de Saint Elme, la Vierge de la Grande Porte et les remparts de Saint-Malo : chaque jeudi, je suivais dans le Journal de Spirou les aventures de Surcouf, roi des Corsaires, racontées par Charlier et dessinées par Hubinon avec un luxe de détails. Je savais les combats en mer contre les frégates anglaises, la loi des abordages et leur routine (« Une voile devant par notre travers ! - La barre dessus... Etablissez les bonnettes ! »). J’assistais à l’enrolement demi-forcé des équipages (« Tope-là, garçon, je mets mon sac sur la Clarisse ! »).
En fait, j’apprenais à voyager sous la lampe, sans quitter ma chambre. Je n’ai plus cessé. Oh, je me suis déplacé. Barcelone, Venise, Hong Kong, Bénarès, ailleurs. J’ai ramassé des anecdotes, des images, des couleurs ; des odeurs de santal et de goudron, mais non, je préfère remonter le temps en tournant des pages de livres. Ainsi j’ai marché dans les rues de Rome, à l’époque de Néron, à bord du Quo Vadis ; j’ai fréquenté la Carthage de Salammbô ; j’ai ferraillé en costume de Louis XIII grâce à Monsieur Dumas ; Giorgio Sœrbanenco m’a emmené dans la Milan brumeuse des années cinquante. J’ai habité quelques temps avec le docteur Watson au 221 Baker Street et, quand le Talgo, vers l’aube, traverse la sierra caillouteuse qui précède Madrid, par la fenêtre du train, j’ai souvent aperçu le Cid ou Don Quichotte qui trottaient dans les broussailles.
Pour l’instant, enfermé mais embarqué, j’observe les personnages que j’ai jetés dans Moscou en flammes ; je suis en 1812 et je vous réserve un billet : le voyage, je l’espère, vous étonnera.

Patrick Rambaud