Un soldat sans nom

Écrit par Agnès Busson, incipit 2, en 2nde au Lycée Rabelais à Montpellier (34). Publié en l’état.

Écrit par Agnès Busson, incipit 2, en 2nde au Lycée Rabelais à Montpellier (34). Publié en l’état.

Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais pas désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’était la guerre. Un obus s’était éclaté sur sa maison , elle n’avait plus d’endroit pour se mettre à l’abri. Elle courut rapidement en traversant le champ pour atteindre la barrière en bois qui séparait son jardin de la route. Intriguée, ses yeux se posèrent sur le chemin, elle aperçut à quelques mètres l’ombre d’un corps par terre. La mère déposa sa fille et avança prudemment, un léger vent vînt caresser son visage et plaquer ses cheveux sur sa joue. Elle reconnut de suite un soldat, mais n’osa pas s’approcher, une odeur de sang lui monta à la tête. Elle fit demi tour, «  viens chérie on va chercher ta poupée, elle est sûrement là bas, il va falloir marcher un peu  » murmura t-elle. Une pensée lui traversa l’esprit, André, il aurait pu les sauver, les emmener loin d’ici, pour vivre en paix. Mais elle refoula cette idée stupide et douloureuse, penser à son mari n’était pas la chose à faire. Il fallait qu’elle réfléchisse vite à un plan, pour la survie de sa fille, son enfant, la seule et unique personne qui lui restait sur cette terre, hostile et lugubre. Son désir était d’aller se réfugier en Angleterre chez ses parents qui habitaient à Londres. Mais sa raison la poussa à ne pas s’éloigner de Verdun pour avoir une chance de retrouver André. Cela faisait maintenant un an et onze mois qu’il était parti, il lui avait promis de revenir et ils s’étaient donné rendez-vous deux ans après dans leur maison. André avait promis de revenir après deux ans, quoi qu’il arrive, mais la guerre n’était pas prête d’être finie et peu à peu Suzanne voyait diminuer les chances de revoir son mari avant plusieurs années. Avant qu’il parte elle lui avait offert une chaînette avec le visage Marie, Suzanne était croyante et avait confié son mari à la vierge. Certaines fois auparavant, la petite Madeleine lui avait demandé où était papa André , et à plusieurs reprises la maman, désemparée lui avait dit qu’il reviendrait bientôt. Malgré ses cinq ans, Madeleine n’était pas dupe et avait fini par ne plus poser de questions.
 La mère et sa fille avancèrent le long du chemin en sens inverse. Depuis quelques temps, Suzanne n’était pas sortie car les bombardements étaient devenus de plus en plus fréquents. Elle eut un peu de mal à se retrouver mais elle savait que le chemin sur lequel elles marchaient les mènerait au poste de garde le plus proche. Les postes de gardes étaient censé aider les habitants en leur prodiguant les premiers soins ou en leur donnant quelques vivres. Ce système marchait assez bien au tout début de la guerre en 1914 mais Suzanne savait bien qu’aujourd’hui on aurait rien pour les aider. Elle voulait tout de même essayer de trouver un moyen de fuir en Angleterre. «  Maman,soupira madeleine, je suis fatiguée  ! Quand est ce qu’on retrouve papa  ?  » Suzanne sentit son cœur battre et une infime douleur au cœur comme si quelqu’un l’avait poignardée, elle s’arrêta un moment, respira, prit sa fille dans ses bras et courut. A quelques mètres elle reconnu le poste, Suzanne s’approcha et entra. A l’intérieur quelques braises crépitaient dans la cheminée, elle reconnu Maurice et Jean assis à la table en bois. Ces deux hommes étaient des soldats français qu’elle connaissait de vue. Ils restaient toujours au poste de garde. Maurice dévisagea Suzanne d’un regard surpris mais ne dit rien. Encore essoufflée par la route la jeune femme ne trouva pas les mots. Elle posa Madeleine près du feu sur le parquet et s’approcha de la table, «  aidez moi, dit-elle, je vous en prie, aidez moi, je voudrais partir d’ici, j’ai de la famille près de Londres, je sais que il y a des trains qui partent près d’ici en direction du Havres  !  ». Ils continuèrent à la dévisager, Maurice se leva et s’approcha d’elle et colla sa bouche contre son oreille, « Suzanne, il se peut qu’un train chargé d’armes et de quelques soldats du quatrième régiment partent vers la tombée de la nuit mais, il va falloir payer très cher pour cela  ». Un frisson parcouru tout son corps, elle savait qu’elle n’avait pas d’argent et que Maurice pouvait les mettre dans ce train secrètement. Il fallait qu’elle trouve le moyen de payer. Suzanne était prête à tout pour Madeleine. Elle se reprocha de Maurice, se colla à lui et l’embrassa longuement, il ne la repoussa pas. La jeune femme leva le menton, regarda Maurice droit dans les yeux et lui jura qu’elle n’avait pas d’argent mais qu’elle devait partir dans ce train avec Madeleine pour lui laisser une chance de vivre. Il respira, lui caressa les cheveux et se retourna vers Jean, «  va s’y, emmène- la, lança Jean, je reste ici avec la petite, mais fait attention  ». Suzanne se tourna vers sa fille et repensa à sa poupée qu’elle avait perdu lors des bombardements. Elle n’avait pas pensé à retourner la chercher. Or cette poupée était l’univers de Madeleine, André lui avait offert avant de partir au front, elle était faite en chiffon. Chaque jour elle jouait avec elle, lui parlait, la changeait de robe. Elle était comme une sœur pour elle. Attendrie, elle observait Madeleine, et la chérissait du regard., « il faudrait que je retourne une dernière fois chez moi avant de partir, dit-elle, je dois retrouver sa poupée ». Maurice la fusilla du regard mais Jean lui fit un signe de la tête. Sans perdre une minute, elle sortit, claqua la porte et couru le plus vite qu’elle pu. Elle sentit quelques gouttes tomber sur son visage et couler dans son cou, elle entendit les bombardements se rapprocher et se jetta dans le fossé ! La nuit allait bientôt tomber, le soleil se couchait sur un village meurtri et démoli. A quelques mètres elle reconnu Maurice qui la suivait, elle remonta sur le chemin, et continua à marcher. Suzanne arriva dans son jardin et ne reconnu pas sa maison, tellement les bombardement l’avait démolie. Le toit n’existait plus, de la fumée sortait par l’unique porte qui restait, des briques avaient atterries dans le jardin. Suzanne se dirigea vers la porte, elle entendit un obus éclater à moins de deux cent mètres et se jeta sous le pommier.Elle remarqua la petite poupée par terre et l’attrapa. De la fumée se dispersait dans le ciel, quelques feuilles tombèrent dans ses cheveux. Un bruit immense se fit entendre, un avion frôla la cime des arbres et laissa tomber un obus, Suzanne n’eut pas le temps de réagir, l’obus éclata. Dans le noir elle n’entendait que son oreille gauche siffler et une douleur effroyable au niveau du ventre et des jambes, « Maurice !,cria t-elle,Maurice ! ». De la poussière valsait dans l’air, elle aperçut au loin Maurice qui courait puis elle ferma les yeux. Il courait sur du sable, derrière la mer d’un bleu azur était calme, la douceur de l’air était impressionnante, des mouettes volaient légèrement. Une grande lumière l’aveuglait. Dans sa main droite elle tenait la petite poupée, son visage tout rond et ses yeux noirs la fixait d’un air enfantin. Suzanne se sentait bien, libre et légère elle valsait sur le sable, sa tête tournait. Elle ferma les yeux et s’allongea.
« Seigneur,dit-il, faites qu’elle se réveille ». Suzanne allongée sur la vieille table en bois ne bougeait pas. Maurice lui versa de l’eau sur le visage, le corps de Suzanne meurtrit par l’obus était horrible à voir. Jean avait emmené la petite Madeleine dans un autre poste de garde, il avait pris soin de lui donner sa poupée dès que Maurice était revenu avec Suzanne entre ses bras. Jean savait que la jeune femme était morte sur le coup mais Maurice s’obstinait à la veiller. La pluie commença à tomber. Jean avait expliqué à Madeleine que sa maman était partie chercher son papa et qu’elle reviendrait dans très longtemps. La petite avait beaucoup pleuré. Jean rentra dans le poste avec Madeleine, il n’y avait plus personne, seulement une feuille de papier qui trônait sur la table. Dessus, Maurice avait écrit « elle nous a quitté, nos camarades sont venus m’aider pour l’emmener au cimetière, je reviendrais après, veille sur la petite Madeleine ». Des larmes avaient dissout l’encre, et les lettres semblaient transparentes. Jean sentit son cœur se serrer, Madeleine c’était approchée du feu, elle s’amusait à tendre ses petites mains pour les chauffer. Bien droite, ses pieds plantée sur le parquet, elle restait immobile. Ses cheveux formaient de jolies boucles brunes, elle avait l’allure de sa mère.

Madeleine sortit et pris une bûche dans la réserve, le temps était humide et froid. On lui avait dit qu’aujourd’hui était un jour spécial. Elle avait demandé pourquoi et Maurice lui avait répondu « tu sais petite, je suis tout pour toi et tu es tout pour moi ». Madeleine avait haussé les épaules et était sortie du vieux poste. Les bombardements avait cessé depuis très longtemps mais plus personnes n’habitait maintenant à Verdun. Tous avaient fuit ou étaient morts. L’enfant s’était habituée à cette vie, elle apprenait à lire et à écrire avec Maurice. Sa mère était morte et son père n’était qu’un vague souvenir pour elle. Du haut de ses sept ans Madeleine était très mature, cela faisait maintenant deux ans qu’elle vivait ici. Chaque jour elle apprenait de nouvelles choses et Maurice la chérissait comme sa propre enfant. Elle se sentait heureuse et épanouie. Même si son quotidien se réduisait à apprendre à lire et à écrire, Madeleine rêvait d’aller plus loin pour connaître d’autres enfants de son âge. Sa seule et unique amie ne parlait pas, bien qu’elle lui ai donné à manger à plusieurs reprises et qu’elle lui ai raconté plein d’histoires, la poupée ne disait pas un mot. L’automne 1918 arrivait, petit à petit le sol se recouvrait d’un grand tapis de feuilles. Verdun n’était plus qu’un vaste terrain tout défréchi, Madeleine aimait se promener autours et regarder de loin en s’imaginant la grande bataille. Elle y avait survécu mais pendant tout le temps de la guerre elle était resté dans les postes de garde , pour cela, Maurice lui racontait chaque soir le passé. Ses histoire étaient tellement prenantes que la petite se forçait à garder les yeux ouverts pour être sûre de ne pas s’endormir. Les noms de tous les soldats venaient se graver dans son cerveau, elle s’amusait à écrire leurs prénoms à l’encre sur de grandes feuilles puis Maurice les collait aux murs. Tous les matins elle déchiffrait les Prénoms, et pour chaque homme, elle faisait une prière de mémorial. Tous les mois, le poste de garde accueillait des soldats qui revenaient du front, pour cause d’invaliditée. Certains n’avaient plus qu’une jambe, d’autre qu’un bras, des visages défigurés étaient marqué par la douleur et l’horreur de la guerre à jamais. Dans ces moments là l’enfant se mettait dans un coin de la petite maison et regarder attentivement les hommes défiler. Il y avait des jeunes, des plus âgés, des yeux noirs, bleus, verts, marrons, des peaux plus ou moins blanches. Souvent les hommes la regardait tendrement et tournaient la tête, Madeleine leurs rappelait des souvenirs de leurs propres enfants. Ses grands yeux bleus restaient constamment grand ouverts, à l’affût des soldats qui lui faisait peur. Dès que l’un d’entre eux l’effrayait, elle partait se cacher dehors et attendait que Maurice vienne la chercher. Il était le seul en qui elle ait toute sa confiance. Parfois Madeleine se rapprochait du vieux cimetière, mais n’osait pas rentrer, derrière le muret reposait sa mère. Plusieurs fois Maurice lui avait parlé d’elle, en lui décrivant sa mère comme une merveilleuse créature. Il lui décrivait chaque boucle de ses cheveux, son regard doux, sa taille si fine, sans oublier la douceur de ses lèvres et son sourire. Quand elle entendait tout cela, la petite rêvait de voir elle aussi la beauté de sa maman. Elle avait fait parvenir ce désir à Maurice et il lui avait répondu tout naturellement : « il suffit que tu t’observe dans un miroir et tu verras la beauté de ta mère ».
Cela faisait un mois que Maurice accueillait trois soldat au poste. On leurs avait fait des lits et on avait rajouté trois assiettes. Le premier était grand et barbu, il se nommait Emiles, Madeleine l’aimait bien car il jouait toujours avec elle. Léon le deuxième ne parlait pas beaucoup, dans ses yeux on lisait la peur. Il était revenu à Verdun pour retrouver sa femme et ses enfants mais celles ci étaient décédées lors des bombardements. Lorsqu’il on lui avait appris la nouvelle, Léon c’était effondré et avait pleuré pendant plusieurs jours. Quand au dernier soldat, personne ne connaissait son nom. Il ne parlait pas et était très discret. Les peux de fois où il parlait, il ne racontait pas le passé et de parlait pas de l’affreuse guerre mais de la nature ou du temps. Maurice paraissait assez septique vis à vis de lui, mais il comprenait son traumatisme. Aujourd’hui était un jour spécial, le premier jour de l’hiver. Maurice avait raconté à l’enfant que la neige tomberait bientôt, depuis ce jour Madeleine n’attendait plus que ça. Parfois elle partait avec les soldats se balader, ils lui racontais des histoires. La petite parlait rarement avec le soldat sans nom, mais ce jour là il lui raconta une longue histoire, elle parlait d’une femme très belle. Toute la description avait durée jusqu’au soir. Cette femme avait de jolies yeux bleus, une taille fine et un sourire magnifique. Madeleine avait finie par dire : « monsieur, dite moi le prénom de cette belle femme, peut être que je la connais moi aussi ! » Il n’avait pas répondu, Madeleine avait soupirée puis elle était partie plus loin. Elle rêvait de ressemblait à la belle dame, être aussi grande et belle.
Le lendemain elle suivit le Monsieur qui partait se balader, au bout de quelques temps il se rendit compte qu’elle le suivait, « comment s’appelle la belle dame, cria t-elle, dites moi son prénom ! ». Le soldat se retourna et fit demi tour et se rapprocha de Madeleine « Suzanne, souffla t-il, elle s’appelait Suzanne ». L’enfant sentie son cœur battre la chamade, « ma maman aussi s’appelle Suzanne mais elle est morte, dit-elle, avant on habitait là bas » , elle tendit son doigt vers les ruine d’une maison. Le soldat s’agenouilla devant elle, pris le visage de l’enfant entre ses mains et pleura. Il la regarda droit dans les yeux « Madeleine,murmura t-il, je suis ton papa » des larmes coulèrent sur les joues rosée de la fille. Un sourire se dessina à travers les larmes sur son visage , elle glissa sa main dans celle de son père et ils marchèrent lentement. Il poussa le petit portillon et traversa le chemin de pierre, aucunes fleurs ne trônait sur les tombes, seul le soleil balayait le vieux cimetière. Elle marchait collée à la hanche de son père de peur de le perdre. Ils arrivèrent devant sa tombe , Madeleine posa sa main sur la pierre froide « maman, dit-elle, je t’aime » elle déposa sur la tombe une toute petite poupée en chiffon. Un léger vent vint collait ses cheveux contre son visage mouillé, André prit sa main et ils partirent doucement.