Feux d’artifice

Écrit par Alexandre Guilluy, incipit 2, en 3ème au Collège Noès à Pessac (33). Publié en l’état.

Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’était la guerre.
« Je peux marcher maman », chuchota la petite à l’oreille de sa mère.
Il faut aller vite Marie, très vite ; récupérer ta poupée et partir. »
Les deux femmes n’eurent pas loin à aller ; après le virage, à quelques mètres de là, un petit tas en chiffon gisait.
« Elle est toute sale ma jolie Emilie. Ce n’est pas gentil du tout, du tout ce qu’ils ont fait. Regarde maman ! Sa robe est abimée et il y a de la terre partout ; vraiment, c’est dégoûtant ! »
Pendant que l’enfant inspectait son jouet, la câlinait, la mère se déplaçait de côté, aux aguets.
Marie rassurait sa poupée, peignait tant bien que mal ses cheveux épais, lui parlait à l’oreille. Elle fut interrompue par la voix ferme de sa mère ; une voix inhabituellement ferme et forte :

  • « Marie ! Viens ! »
    La petite leva ses yeux vers sa mère. Toute à sa tâche, elle ne percevait plus ce qui l’entourait. Les deux mots de sa mère la forcèrent à se rendre de nouveau compte de ce qui se passait autour d’elle : dans le noir, les fusées s’épanouissaient ; les projectiles d’artillerie semblaient glisser.
  • « Oh ! Maman ! Regarde les fleurs ! Que c’est beau ces fusées qui illuminent la nuit ! Des feux d’artifices ! Ce serait mieux encore s’il y en avait plus ! »
    Le bruit devenait insupportable. Les canons tonnaient dans l’obscurité.
    « Marie ! Viens ! », répéta la maman d’une voix plus aigüe ; elle fit deux pas en arrière, saisit la main de sa fille et s’orienta vers une déclivité du terrain.
  • Maman ! Tu me fais mal à la main », mais ses mots se perdirent dans le chant terrible des obus qui froissaient la paix, le calme.
    La mère entraîna sa fille derrière un monticule. Marie entendit des gémissements ; elles poursuivirent un peu. C’est à ce moment que Marie commença à avoir peur.
    « J’ai froid maman ! Partons ! Oncle Jean nous avait bien dit de ne pas revenir à Fleury ; je veux retourner chez grand mamie à Verdun. »
    Elles descendirent une butte entourée de vagues fils de fer, installés à la hâte.
    « Maman ! Un grand trou ! Tu sais....Emilie a faim et froid... »
    La mère sauta dans un grand fossé ; Marie s’approcha ; elle fut saisie, soulevée et déposée dans un long et profond couloir blanc. Elle posa sa main contre le blanc ; c’était comme de la pierre effritée ; cela partait en morceaux. De la craie, pensa-t-elle. Elle n’avait plus du tout envie de parler ; dormir plutôt. Se laisser conduire par maman. Ecouter et regarder ce spectacle qui ne lui faisait plus peur. C’était peut-être normal tout ça.... Peut-être que c’était papa qui lançait ces jolies fleurs dans la nuit... ; elles montaient dans le ciel ; on entendait des bruits énormes soudain ; puis, un ….très près ; on croyait être sourd et sonné pendant longtemps, longtemps ; et les autres chocs, impacts lointains... comme si on s’amusait à rivaliser dans toute la gamme des bruits : explosion, sifflements, crachats, destruction...Comme autrefois le dimanche au square de Verdun quand le philarmonique venait ; on se mettait très près avec les cousines , et on se bouchait les oreilles en riant près des trombones et tubas.....C’était peut-être cela l’enfer dont parlait le curé et les grands – parents...Une grande bouche qui cracherait du feu...Et nous avalerait...Le curé lui avait bien dit que c’était mal de chiper des sucreries dans le pot du buffet de mamie Amélie. ….Dormir.........Va-t’en Démon ! Va-t’en arc-en-ciel de couleurs !.....Dormir.....
    Marie se réveilla le lendemain matin. Un soleil voilé l’éblouit et l’obligea à fermer les yeux. Cela sentait fort la terre et le brûlé ; une odeur insistante. Elle referma les yeux.
    « Maman..., commença-t-elle d’une voix plaintive... »
    Une forme bougea ; elle sentit une main froide prendre la sienne ; Marie était emmitouflée dans le chandail de sa mère. Elle ouvrit les yeux de nouveau. Elle était là. Calme mais si pâle.
    « Tu pleures, maman ».
    Marie se redressa et se pelotonna contre sa mère. Tout était silencieux. C’est à peine si on entendait de loin en loin quelques pépiements d’oiseaux. Un silence tel qu’on n’avait pas envie de l’interrompre. Un silence qui faisait du bien aux oreilles encore sifflantes. La mère était assise, comme épuisée ; elle tenait en main une liasse de papiers : de toutes les tailles, bouts de papiers griffonnés, froissés, comme déchirés d’un calepin.
    « Qui c’est le monsieur ?, demanda doucement Marie.
    Un homme, debout, appuyait son visage, penché, contre le parapet. Il ne bougeait pas dans son abri de craie.
    « On a passé la nuit ici à l’abri. Tout est calme à présent ; il faut partir vite ; les soldats bougent en face. Le monsieur… est mort ce matin.
  • C’est un français ?
  • Oui, c’est un français ; mais la tranchée devait être une tranchée allemande. J’ai trouvé des lettres en allemand, des dessins...
  • Je peux les prendre ?
  • Oui, mais vite ; on part ! »
    Marie récupéra sa poupée Emilie, prit les quelques papiers que sa mère gardaient encore, comme incapable de s’en défaire et visiblement émue. Elle inspecta les alentours, jeta un sac à l’extérieur. Aucune réaction.
    Marie contemplait les dessins crayonnés pendant ce temps - là : rapides croquis d’hommes : des visages, des têtes mais disloquées, broyées, recomposées de plusieurs têtes différentes....Des bouches, des yeux mais sans expression, en surnombre ou manquants, placés à des endroits farfelus et même des clous placés deci-delà ! Un prénom au bas de chaque croquis : Otto. Marie eut un sourire. Elle savait faire bien mieux, elle. Elle n’avait jamais vu de tels dessins.....C’est vilain, pensa-t-elle. Ces messieurs doivent avoir mal ainsi dessinés. Je referai les visages pour qu’ils ne souffrent plus.
    De son côté, la mère écoutait toujours :
    « Ils doivent être du côté de Douaumont ; ils peuvent revenir n’importe quand ; il faut y aller, Marie. Aller à l’arrière. »
    Elle prit sa fille contre elle, s’extirpa du trou tant bien que mal.
    « Au revoir, monsieur, prononça Marie, en envoyant un baiser du bout des doigts au mort. »
    Elle mit son pouce dans la bouche et enfouit sa tête contre l’épaule de sa mère. Celle -ci courait à présent ; il fallait faire vite ; il fallait fuir, partir ; retourner en sécurité, laisser aux hommes cette part d’horreur dont elles avaient brièvement partagé le quotidien.
    Ce n’était pas la place d’une femme et d’une enfant ; c’est ce que lui avait dit ce pauvre soldat mourant. Il était si jeune, si beau....
    Cécile en garderait à jamais des impacts à l’âme. A jamais son être serait en guerre.

Feux d’artifice Alexandre Le Cuir Guilluy

En hommage à tous les morts..... partout...de quelques conflits que ce soit, pour des artistes comme Otto Dix et Guillaume Apollinaire en particulier.