Le Graal de Rémi

Ecrit par Zoé Aubry (2nde, Lycée Arnaut Daniel de Ribérac), sujet 2. Publié en l’état.

"– C’est ici, lieutenant, que Lucie a disparu. Oui, comme par magie ! Il y a moins d’une heure. Soit vingt minutes après le début de notre partie… Un planétarium, songeait Rémi, les yeux levés vers la coupole sous laquelle Fred l’avait fait pénétrer. Mais ce ciel de béton était obscur, sans étoiles. Un entonnoir courbe et fermé, pourtant ouvert sur l’infini.
Le jeune P.D.G. de Video Game On Line, lui désigna un siège vide face à l’immense table circulaire. Debout autour d’elle, livides et effarés, deux filles et deux garçons tenaient encore d’une main tremblante leur casque de réalité virtuelle.
"– Et ce jeu qui a mal tourné, vous l’avez baptisé… ?
"– New Graal.
Rémi sourit. Car les cinq rescapés ne ressemblaient guère aux chevaliers de la Table ronde. Quant à l’ordinateur pyramidal qui trônait au centre de la table, il n’avait rien d’un calice. Mais il clignotait avec insistance. Ou avec malice.
"– Lucie aurait pu sortir en douce ?
"– Impossible, lieutenant. Il n’y a qu’une issue. Gardée par notre ami Harry et des caméras.
"– Et cette Lucie, vous la connaissiez bien ?
"– Non, avoua Fred en prenant les joueurs à témoin. Elle est arrivée ce matin. Nous l’avions recrutée sur Internet. Pour tester New Graal, il nous fallait un observateur indépendant, vous comprenez ?
Ce que comprenait surtout Rémi, c’est qu’il allait devoir enfiler l’un de ces maudits casques. Et aucun stage de la police ne l’avait entraîné à enquêter dans un monde virtuel…

Respirant à fond, Rémi prit place dans le fauteuil de jeu.
« _ Expliquez moi le but et faisons une partie, ce jeu pourrait peut-être nous donner des informations sur les évènements.
"_ Oh c’est très facile m’sieur, expliqua un jeune homme blond, nous formons une équipe et il faut trouver le graal.
"_ Jusque là c’est plutôt simple en effet ! Allons-y ! »
Ils placèrent leur casque sur leur crâne et le jeu commença. Un paysage lunaire apparu. De grands cratères faisaient onduler la surface du jeu. Rémi esquissa un sourire : une petite imperfection du jeu faisait trembler une infime partie du sol, la zébrant aux couleurs de l’arc en ciel. En bas de sa visière, les noms des joueurs s’étaient affichés. Janet, Kumiko, Tilo et Matthew. Que des prénoms à consonance étrangère. Qui étaient-ils ? Pourquoi étaient-ils là ? Y avait-il un lien entre ce groupe de personnes et la disparition de Lucie ? Qui était cette Lucie ? Que faisait-elle dans ce lieu ? Des milliards de questions se bousculaient dans la tête de Rémy. Il devait rester concentrer sur le jeu. Peut-être la solution se trouver ici.
Ils avancèrent sur le plateau de jeu virtuel. Le graal se trouvait dans un cratère assez profond et glissant. Rémi s’attendait à recevoir la visite d’un monstre ou d’une créature de se genre pour les empêcher d’attendre leur but mais ce ne fut pas le cas. Ils prirent possession du graal sans difficulté. Quels intérêts y avait-il à faire un niveau aussi simple ? Car oui se n’était qu’un niveau. Rémi se retrouva plonger dans un décor amazonien à la végétation verdoyante. Un, deux, trois… et quatre ! Ils n’étaient plus que quatre ! Matthew venait de disparaitre du jeu ! Tilo tout affolé, commença à ôter son casque.
« _ Non garde ce casque et continuons à jouer !ordonna Rémi, convaincu que la solution était dans le jeu. »
Le jeune homme tremblait de tous ses membres mais il remit son casque sur les yeux et continua la partie.
La forêt était vaste et la quête du graal fut plus difficile. Des fourmis géantes, des éléphants miniatures, d’énormes coccinelles et de rachitiques dromadaires. Quel état cette forêt si étrange ? Le graal portail spatio-temporel se trouvait au sommet d’un platane. Un platane en pleine forêt amazonienne ! Ils ne mirent que très peu de temps avant de l’attendre et ils furent transportés dans un nouveau monde, un nouveau mode de jeu ; le niveau suivant.
Aquatique. C’est ce que se dit Rémi premièrement. Autour de lui, les autres joueurs se matérialisèrent. Sauf Kumiko. Avant que les autres ne réagissent, Rémi ordonna :
« _ On continue ! »
Ils n’étaient plus que trois, perdu dans un jeu sans queue ni tête, dans un niveau situé dans l’océan Pacifique. Qui sait, s’ils continuaient, ils allaient peut-être finir par rencontrer Némo ! Rémi commençait à en avoir marre de ce jeu : plus il avançait, moins il comprenait l’énigme dans laquelle il se trouvait. « Mais qui es-tu Lucie ? Où es-tu ? » pensa Rémi.Tilo s’élança et s’empara du graal, deux secondes après qu’un requin est surgit et emporté Janet au loin.
Avant que les deux hommes n’aient le temps de crier le nom de la jeune fille disparue, le niveau changea une fois de plus. Ils se retrouvèrent tous deux dans ce qui, a première vue, ressemblait à une pyramide égyptienne.
« _ J’en ai marre j’arrête ! hurla Tilo désemparé en ôtant son casque de jeu. Ça ne peut pas continuer. D’abord Lucie dans la première partie, puis chacun d’entre nous au fur et à mesure de la seconde manche. Ça suffit ! Vous n’avez pas avancé dans votre enquête et ce n’est plus une mais quatre personnes qui ont disparu ! »
Le jeune homme était paniqué, mort de peur. Rémi savait que, quelque part, il avait raison mais son instinct lui disait que la solution était toute proche.
« _ Remets ton casque et joues ! ordonna-t-il au pauvre Tilo.
"_ NON JE REFUSE ! C’EST TROP ! CELA NE VOUS AVANCERA A RIEN DE CONTINUER A JOUER ! VOUS NE LES RETROUVEREZ PAS AINSI ! »
Tilo était totalement désemparé ; la panique le submergée entièrement. Il s’agitait dans tous les sens, hurlant à réveiller les morts. Rémi savait gérer ce genre de comportement. Il avait analysé le personnage.
« _ Arrêtes de hurler de la sorte ! La vérité c’est que tu as peur, peur de disparaitre à ton tour. Au fond, tu n’es qu’un petit hypocrite prétentieux qui passe ses journées devant son écran, cloitrées dans sa chambre d’adolescent attardé, et qui se fait dessus quand le monde réel lui apparait enfin. »
C’était violent. Rémi le savait. ‘‘Ça passe ou ça casse’’ se dit-il. La bouche ouverte de stupéfaction, Tilo avait arrêté de crier. ‘‘Il ne faut pas qu’il parte !’’ pensa Rémi. Le jeune homme sera les poings, regarda avec rage le lieutenant et lui jeta avec dédain le casque du jeu. Il se dirigea vers la porte de sortie, attrapa la poignet et… cette dernière lui resta dans les mains.
« _ C’est pas vrai ! Aller ouvres toi ! s’énerva Tilo »
Il commença à donner des coups d’épaules dedans. Elle ne bougea pas. Il appela. Rien non plus. Il fallait se rendre à l’évidence : ils étaient tous seuls. Fred, le gardien Harry, tout comme Lucie et les autres joueurs, ils avaient disparus. Tilo refusait d’y croire et continuait de pousser la porte en acier de toutes ses forces. Rémi ne chercha pas à le raisonner ; il en avait assez dit. Au bout de quelques minutes, le jeune homme s’effondra, se laissant glisser le long de la porte, lentement, comme les larmes sur son visage. Rémi le regarda tristement. Quel âge avait ce pauvre adolescent ? Seize, dix-sept tout au plus. Les mots de Rémi avaient été durs, trop durs. Il s’approcha du jeune garçon qui ressemblait plus à un enfant que jamais.
« _ On ne sortira jamais d’ici, sanglota ce dernier
"_ Bien sûr que si, répondit le plus tendrement qu’il pouvait Rémi
"_ Je n’ai pas cinq ans. Vous n’êtes pas obligé ne me mentir.
"_ Je ne te mens pas, on va sortir de là mais il faut d’abord terminer le jeu.
"_ En quoi finir ce maudit jeu nous aidera ? Depuis que nous sommes ici, tous le monde à disparu et c’est à cause de ce jeu ! »
Rémi se leva, prit le casque de Tilo et lui tendit :
« _ Fais moi confiance »
L’adolescent totalement perdu, releva la tête et tendit une main hésitante vers le casque. Rémi s’en saisit, l’aida à se relever et lui posa le casque dans les mains avec un petit sourire rassurant. Tilo lui rendit son sourire, un peu moins rassuré. Il souffla un grand coup et se rassit sur la chaise du jeu, rabaissant son casque sur ses yeux. Rémi s’assit à ses côtés, cachant du mieux qu’il pouvait son angoisse. Il savait que Tilo aller disparaitre et cette fois ce n’était pas seulement son instinct qui le lui disait. Il savait. Il avait compris ce qui s’était passé. Du moins, il le croyait…
Tilo regarda une dernière fois Rémi avec appréhension et tous deux repartirent dans leur quête du graal, à l’intérieur de la pyramide égyptienne.
C’était le dernier niveau. Abattre deux ou trois ennemis tous les couloirs. Droite. Gauche. Des décisions sans grandes importances en soi. Rebrousser chemins. Ne jamais se séparer. Recommencer. Ne pas renoncer. Puis soudain :
« _ Là ! Regarde Tilo ! »
Au bout d’un couloir sombre et étroit, le graal trônait, plus brillant que jamais. Aucun monstre, aucun ennemi ne leur barraient la route. Ils s’approchèrent de l’objet tant convoité, côte à côte.
« _ Ensemble ? demanda Rémi
"_ Ensemble ! lui répondit l’adolescent »
Ils s’en saisirent quand, sorti de nulle part, une gigantesque momie attrapa Tilo et l’importa dans les profondeurs obscures de la pyramide. « Tilo » hurla Rémi, mais c’était trop tard : déjà le paysage tourna et se troubla. Rémi tomba sur le sol du planétarium. Il releva péniblement la tête et la vit. Il ne l’avait jamais vu auparavant, mais il savait très bien qui elle était.
« _ Lucie »
Elle était blonde, les cheveux longs et ondulées, tombant en cascade sur ses épaules recouvertes d’un blouson en cuire noir matelassé. Un t-shirt bordeaux et un jean. Des bottines à petit talons. Elle était très simple. Presque banale mais terriblement belle malgré tout. Son visage de seize ans était mature. On sentait dans son regard noisette l’assurance qu’elle avait. Rémi ne l’avait jamais vu. Du moins en vrai. Elle était déjà venue hantée ses rêves.
« _ Oui c’est moi. Lève-toi Rémi ! Oui je connais ton nom et surement une très grande partie de ta vie. Pas la peine de me demander comment je sais, je vais te le dire. Je fais partie de toi Rémi. De ton inconscient. Je ne suis réelle que parce que tu crois en moi. Mais je n’existe pas vraiment. Pas encore Rémi. Je naîtrai dans quelques années et à mes seize ans, je ressemblerai à la personne en face de toi. Je suis Lucie et je suis ta future fille. »
Un silence. Le monde tourna autour de Rémi.
« Monsieur ! dit la sage femme en secouant doucement Rémi. Réveillez-vous monsieur, ça y est ! C’est une petite fille ! »
Rémi secoua la tête. Il s’était assoupi. Il n’était pas dans le planétarium mais dans une maternité, à quatre heures du matin, attendant depuis trois heures l’heureux évènement. Tout ça n’était qu’un rêve. « Arrêtes d’y penser Rémi tu viens de devenir papa d’une petite fille » se dit-il. L’infirmière lui indiqua la chambre. Rémi courut jusqu’au chevet de sa compagne. A côté, il y avait un tout petit landau, contenant dans un minuscule bout de tissu juste à sa taille, une petite fille rose et endormie. « Un tout petit bout » pensa Rémi glissant son doigt dans la petite main qui se rétracta aussitôt. « Papa est là, Lucie et je te promets que tu ne disparaitras pas comme ça. »