À la recherche du bonheur

Ecrit par Inès Kessal (3ème, Collège Saint-Stanislas de Osny), sujet 2. Publié en l’état.

Ce que comprenait surtout Rémi, c’est qu’il allait devoir enfiler l’un de ces maudits casques. Et aucun stage de la police ne l’avait entraîné à enquêter dans un monde virtuel.

L’agent de police, intérieurement mort de peur à l’idée de se retrouver coincé pour toujours, comme Lucie, d’être avalé par ce monde virtuel, rassembla tout de même, non sans un gros effort pour se calmer et se raisonner, tout son courage et ses capacités d’enquêteur chevronné pour enfiler l’un de ces casques, et ainsi venir en aide à Lucie. Après tout, c’était une expérience unique dont lui seul pourrait ensuite se vanter auprès de ses collègues ! Le jeune homme au regard déterminé, mais qui n’en était pas moins apeuré par l’insondable inconnu dans lequel New Graal allait le projeter, saisit d’une main quelque peu tremblante mais décidée, un casque que lui tendait Fred le P.D.G. de l’entreprise qui avait développé ce jeu transposé dans la réalité :

« - J’espère pour vous que tout ira bien, articula le jeune P.D.G. dans les yeux duquel l’inquiétude pouvait se lire. Il est impératif de la retrouver, il serait terrible qu’elle soit blessée ou bien morte en testant notre jeu !

-Oui, je comprends, acquiesça Rémi. Mais, est-ce que vous savez s’il y a des dangers dans votre univers virtuel, comme par exemple une guerre ou une invasion extraterrestre ?

- Dans le monde virtuel que nous avons développé, expliqua Fred, les joueurs se retrouvent projetés dans un univers futuriste que nous avons imaginé. Vous allez vous retrouver dans un monde parallèle au nôtre, un monde du futur, du XXXème siècle. Malheureusement, nous ne contrôlons pas ce qui se produit dans ce monde, les joueurs y sont envoyés sans savoir ce qui s’y passe à ce moment-là. Nous n’avons aucun pouvoir sur ce monde au quotidien et les habitants y vivent chaque jour comme ils le veulent. La vie y suit son cours et les joueurs qui y pénètrent pour une partie y font ce qu’ils veulent, comme fonder une famille, se présenter aux élections municipales, ou encore participer à un marathon… Les joueurs peuvent, le temps d’une partie ou deux, se mettre dans la peau d’un autre, vivre par procuration à travers lui, s’inventer une nouvelle vie, celle dont ils rêvent en secret !

- En ce qui concerne l’état actuel du monde virtuel, ajouta l’un des rescapés, la seule indication que nous pouvons vous donner est que, tout était calme lorsque soudain, il y a eu comme une éclatante obscurité puis une obscure clarté qui nous a aveuglés et une détonation qui nous a propulsés violemment et fait perdre conscience. Nous avons arrêté brutalement le jeu, mais à ce moment-là, Lucie a disparu comme ça, en un instant ! Elle doit sûrement être prisonnière de cet univers.

- D’accord, dit Rémi qui n’était pas du tout rassuré. Je vais tâcher de faire de mon mieux pour la retrouver saine et sauve, mais je ne vous promets rien. Et, au fait, comment est-elle, cette Lucie ?

- C’est une jeune fille réservée et renfermée, avec des cheveux d’un blond immaculé et éclatant. Elle n’est pas très grande, environ un mètre soixante, conclut Fred. Ah, j’oubliais, pour arrêter le jeu, il faudra appuyer sur ce bouton, rajouta-t-il en désignant du doigt le bouton en question. »

Après un dernier regard vers Fred et les testeurs encore abasourdis et en état de choc, le policier, appréhendant ce monde flou où tout pouvait arriver, mit son casque de réalité virtuelle et, après une profonde inspiration, lança un « C’est parti » en direction de Fred qui activa l’ordinateur qui fit un bruit vrombissant, semblable à celui d’une voiture en pleine accélération, puis émit un petit crépitement vite accompagné d’un voyant lumineux rouge qui se mit à clignoter intensément. Quelques secondes plus tard, Rémi se sentit transporté dans une sorte de vortex et arriva dans un monde totalement inconnu et différent. Et pour cause, les habitants s’y déplaçaient sur la tête…

***

Rémi observa scrupuleusement les individus étranges et difformes qui passaient devant lui. Il y avait toutes sortes de créatures, des méduses à deux têtes aux sirènes qui agitaient leur queue dans tous les sens, qui se déplaçaient sur le crâne - du moins pour celles qui en possédaient. Après un certain temps d’adaptation durant lequel l’inspecteur se demandait si les Humains ressembleraient un jour réellement à ces… êtres spéciaux, il se décida à aller vers l’un d’eux pour entamer son enquête qui promettait d’être mouvementée et complexe – retrouver une jeune fille dont il ne connaissait rien à part le prénom, la couleur des cheveux et la taille, dans un monde où les habitants assez particuliers marchent sur la tête et doivent certainement parler avec les genoux, c’est pour n’importe quel enquêteur une mission très délicate voire irréalisable. Le jeune membre des forces de l’ordre s’approcha d’un homme, assez imposant qui se promenait avec ce qui semblait être un chien, et portait une chemise rouge :

« - Bonjour, monsieur, commença Rémi peu sûr de lui. Excusez-moi, mais je recherche une jeune fille qui a disparu à cet endroit, est-ce que vous pourriez m’aider ?

- Que veux-tu, jeune étranger, me questionner, ou me tuer ? répliqua l’homme d’une voix chantante et d’un air grave, tel un alto d’opéra.

- Mais non, je voudrais simplement un renseignement. Auriez-vous vu une jeune fille blonde, pas très grande, prénommée Lucie, dans les environs ? demanda Rémi, surpris.

- Qu’est-ce dont, que ce prénom ? rétorqua l’homme, les sourcils froncés, avant de toiser Rémi des pieds à la tête et d’ajouter. Et quelle est cette drôle de démarche, toute fluette, pas sur la tête ?

-Ecoutez, monsieur, merci quand même, mais je vais me débrouiller, expliqua Rémi qui voyait bien qu’il serait difficile d’obtenir une information exploitable de la bouche de cet homme original. »

Rémi, ne savait rien de plus sur la disparition de Lucie et se demandait toujours par où il fallait commencer, mais, au moins, il savait maintenant que, si les habitants de cet univers irréaliste parlaient quand même avec la bouche, ils avaient par contre pour habitude de le faire en rimant.

***

La jeune fille marchait tranquillement dans le parc ensoleillé, et profitait de ce nouveau monde qu’elle adorait et préférait à celui d’où elle venait. Le clapotis des lacs de boue dans lesquels on pouvait se baigner et se refaire une beauté en profitant des bienfaits naturels de la vase de la planète, le bruissement des phoques volants qui hululaient, la vision des plantes à trois têtes de singes qui discutaient inlassablement, tout ça la remplissait de joie et la vivifiait. Lucie se sentait donc plus vivante qu’elle ne l’avait jamais été sur Terre. Ces gens qui l’entouraient la dévisageaient certes en raison de sa manière de marcher qui leur était inconnue, mais ils lui inspiraient, par-delà la barrière que représentait leur différence de culture et d’origine, de la sympathie et du respect. Elle se sentait acceptée et intégrée, et elle pouvait à présent s’ouvrir aux autres et à ce nouveau monde qu’elle avait adopté, et qui l’avait adoptée, bien qu’elle ne sût rien de ce monde qui ne savait rien non plus d’elle. Elle était décidée à s’y faire une place, à marcher sur la tête s’il le fallait, à parler en chantant, en versifiant comme telle était la coutume, à se taper la tête pour dire bonjour à un ami si ne pas le faire était perçu comme un manque de respect. Lucie avait enfin trouvé un univers où sa conception de la vie heureuse vécue sereinement était en adéquation avec celle des habitants. Mais avant de devenir une citoyenne comme les autres de ce merveilleux monde qui semblait être rythmé par la générosité, la gentillesse et le goût de la vie, il était impératif qu’elle se restaure avant de mourir littéralement de faim. La jeune femme entreprit alors de trouver une sandwicherie et entra dans un lieu appelé « centre vivicial » dans l’espoir d’y trouver de quoi déjeuner.

***

Sur Terre, la tension et l’inquiétude montaient d’un cran dans le planétarium. Cela faisait à présent trois heures que Rémi était parti. Fred savait bien que la notion du temps n’était pas la même dans l’univers de New Graal, et que Rémi n’avait, dans cet univers parallèle, dû avoir l’impression qu’il n’y était que depuis trente ou quarante minutes, mais malgré cela, le P.D.G. s’inquiétait, allant jusqu’à s’interroger sur la possible nocivité de son jeu pour les joueurs :

« - Ne vous inquiétez pas, murmura un des testeurs rescapés de l’explosion qui avait provoqué leur malaise. Le lieutenant doit être en train de chercher Lucie, ça prend beaucoup de temps, surtout dans un monde inconnu. Lucie a dû échapper à l’explosion et elle est certainement encore dans le monde virtuel, simplement, peut-être bien que son casque a eu un problème et l’a transportée physiquement et pas seulement mentalement dans cet univers…

- Mais normalement cela n’est possible qu’en appuyant fortement sur un bouton à l’intérieur du casque et bien caché, rétorqua Fred avant d’ouvrir des yeux terrifiés. Attendez, est-ce que… est-ce que Lucie n’aurait pas découvert et activé cette fonctionnalité du jeu ? »

***

Rémi arrivait à présent dans une rue très fréquentée après avoir recherché Lucie dans toute la ville : il s’était rendu dans un supermarché où on l’avait sommé de partir, à la mairie où on l’avait ignoré, au poste de police où on lui avait ri au nez. Il distinguait à travers l’immense foule de New Graaliens - c’est ainsi qu’il avait pris l’habitude de les nommer – qui semblait couler infiniment dans la rue, semblable à l’eau inépuisable d’un fleuve, l’entrée d’un bâtiment qui était la cause de cet afflux massif d’individus et sur lequel on lisait clairement l’inscription suivante « Centre vivicial », nom référant à l’ambiance accueillante qui y régnait et au fait qu’on s’y sentait vivant et galvanisé par le bol d’air frais que procuraient les magasins du centre – l’équivalent du centre commercial sur Terre, en fait ! Rémi tenta de se frayer un chemin à travers la foule pour avancer mais se sentit soudain propulsé en avant par le mouvement général de la foule, comme porté contre son gré par une force sans visage contre laquelle il ne pouvait pas lutter. Quelques secondes après, Rémi reprit ses esprits et se rendit compte qu’il était à présent devant les portes du centre vivicial et n’avait plus qu’à entrer pour continuer son enquête qui était pour l’instant toujours au point mort.

Lucie était en quête de nourriture et errait à travers le centre vivicial tout en observant les individus qui l’entouraient et leur comportement pour apprendre de leur façon de vivre, leur mode de vie, et l’intégrer – pour ce qui était de la démarche, elle attendrait peut-être un peu avant de s’essayer à la marche sur la tête. La jeune fille avançait péniblement et était fatiguée, avait mal aux pieds, mal auquel s’ajouta le mal de tête atroce que l’agitation environnante lui avait provoqué. Soudain, elle fut tirée de la torpeur dans laquelle l’avaient plongée les coups sourds frappés inlassablement dans sa tête. Elle venait d’apercevoir un homme brun, grand, charismatique, habillé en policier et, le plus troublant, qui marchait comme elle sur les pieds, la tête en haut…

***

Fred trépignait sur place, il n’en pouvait plus et était mort d’inquiétude au sujet de Lucie et de Rémi. Après quatre heures et trente-cinq minutes d’attente interminable, il se dirigea vers un casque, le mit résolument et demanda à une des testeuses assises près de lui d’actionner l’ordinateur pour l’envoyer sur la planète virtuelle de New Graal :

« - Mais, enfin, protesta la testeuse, vous n’y pensez pas ! Vous n’allez pas nous laisser seuls ici, et puis, votre présence là-bas ne changera rien, et si une catastrophe est en cours, elle ne fera qu’ajouter une victime de plus au palmarès de votre jeu. C’est insensé, reposez ce casque, l’inspecteur fait certainement tout ce qu’il peut pour retrouver Lucie, il faut encore attendre !

- Nous attendons déjà depuis trop longtemps, nous devons agir ! la contredit le P.D.G. qui, voyant la peur qui se répandait sur le visage de son interlocutrice et creusait ses traits, laissant apparaître une mine apeurée et anxieuse, changea de discours. Bon, attendons encore une demi-heure, et si ni le lieutenant ni Lucie ne sont revenus, alors j’irai voir ce qui se passe, avec ou sans vous quatre... »

***

Rémi avait à présent pénétré dans le centre et marchait rapidement, presque nerveusement, avec l’espoir minime mais fou d’entrevoir dans cette foule continue de créatures à trois bras ou cinq têtes, une jeune humaine blonde, pour laquelle il avait pris le risque de venir sur cette planète. Il passa devant un marchand de glace à la graisse de plante à sept têtes, longea l’échoppe d’un vendeur de gazon dévoreur d’insectes et tourna près d’une boutique de souvenirs de la planète virtuelle, puis tout à coup, aperçut ce qu’il avait rêvé de voir depuis qu’il était là : une jeune femme blonde qui marchait sur les pieds au milieu des New Graaliens et semblait totalement perdue…

Lucie avança vers l’homme, comme attirée par un aimant invisible. Ils se trouvèrent rapidement face à face, et se dévisagèrent comme si ni l’un ni l’autre n’y croyait.
Rémi arriva vite près de la jeune femme et la regarda intensément, l’interrogea du regard comme pour avoir la confirmation de l’évidence : elle était bien la Lucie qu’il recherchait sans relâche.
Les deux jeunes gens se fixèrent pendant un petit moment, comme si le fait d’être tous les deux des humains prisonniers de ce jeu, exilés au milieu d’inconnus, les réunissait malgré eux, l’envie de ne plus être seul face aux habitants étranges ayant pris le dessus. Rémi se lança :

« - Vous êtes bien Lucie ?

- Oui, c’est ça, acquiesça-t-elle.

- Je suis le lieutenant Rémi Rénier, et j’ai été chargé par le P.D.G. de l’entreprise qui possède le jeu que vous avez testé, New Graal, de vous retrouver dans cet univers suite à une explosion qui s’y est produite et a provoqué l’arrêt du test, sauf pour vous qui avez apparemment été transportée physiquement sans le vouloir dans l’univers virtuel et qui avez du coup disparu du planétarium où vous testiez le jeu. Je vais vous y ramener, on nous attend. Au fait, que s’est-il passé ? Enfin, je veux dire, comment est-ce possible que vous n’ayez pas été touchée par l’explosion qui a étourdi les autres testeurs ?

- Avant que l’explosion ne se produise, je me suis précipitée derrière un bâtiment et quelques secondes plus tard, j’ai entendu une déflagration mais j’y ai échappé parce que j’étais protégée par l’édifice. Par contre, les autres ont dû être projetés par l’incroyable souffle qu’elle a provoqué.

- Je vois, reprit le policier. Mais comment avez-vous été transportée physiquement sur la planète ? Normalement seul votre esprit est censé voyager dans le jeu, pas votre corps.

- J’ai, comme qui dirait, trouvé un moyen d’être téléportée sur cette planète, expliqua Lucie. Et je ne le regrette pas, car cet univers est un paradis ! Ici, les gens sont sincères, entiers, honnêtes, pas comme sur Terre où il n’y a pas un seul humain qui ne soit pas contaminé par l’hypocrisie et la versatilité. Vivre sur Terre était devenu pour moi un véritable enfer, côtoyer des individus superficiels et artificiels, un supplice. Je n’en pouvais plus de vivre dans un monde de mensonge et de fausseté, alors en commençant la partie de New Graal, j’ai tout de suite été frappée par le bonheur et l’insouciance qui régnaient dans ce monde et j’ai immédiatement voulu y habiter, m’intégrer à ce peuple chaleureux et accueillant. Alors, dès que les autres testeurs, trop occupés par la lumière aveuglante qui nous parvenait, m’ont tourné le dos, j’ai saisi l’occasion et me suis cachée derrière un bâtiment qui m’a aussi protégée, mais j’ai tout de même été ébranlée par les projections et le souffle de l’explosion et j’ai senti un bouton sur le côté du casque toucher ma tête. Je l’ai enfoncé avec celle-ci puis me suis retrouvée en chair et en os dans le jeu.

- Eh bien, s’étonna Rémi, vous avez eu de la chance. Mais maintenant, nous devons impérativement rentrer, les testeurs et le P.D.G. nous attendent et sont très inquiets à votre sujet.

- Je ne veux pas rentrer, je me sens bien ici, rétorqua catégoriquement Lucie. Ici, je me sens considérée et intégrée à un peuple qui est revenu aux fondements mêmes du vivre-ensemble et les applique au quotidien, pas comme la société terrienne défigurée par tous les problèmes modernes. Je sais que ça semble fou, mais j’ai envie de vivre ici, d’apprendre leur langage en vers, de marcher comme eux, de chanter comme eux, de respirer, dormir, me réveiller, manger, comme et avec eux.

-Mais enfin, ce n’est pas raisonnable, Lucie ! Allons, rentrez donc avec moi ! la pria Rémi. Pensez à vos amis, votre famille, qui vous attendent et sont, eux aussi, morts d’inquiétude pour vous. Vous ne pouvez pas les rayer de votre vie comme ça, pour en commencer une autre. Ils font partie de vous et vous faites partie d’eux, que vous le vouliez ou non, c’est intrinsèquement le cas.

- J’ai ici trouvé une nouvelle famille qui m’a accueillie et mise à l’aise, une famille avec laquelle je peux enfin être moi-même sans crainte. Et si, pour cela, il faut que je détruise les souvenirs de mon passé pour construire mon avenir, j’y suis prête et déterminée car je sais que, quand bien même ce sera difficile, l’issue finale mérite que je fasse ce sacrifice. Oui, si je dois renier tout ce que j’ai sur Terre pour bâtir une nouvelle vie ici, je le ferai, et je n’ai nullement l’intention de revenir sur Terre, ce serait revenir à ce qui m’attriste, m’oppresse et me désole : le monde des Hommes.

- Vous êtes en train de me dire que j’ai pris le risque de venir sur cette planète à la demande de personnes qui ont peur pour vous, que j’ai passé la journée à vous chercher dans un monde virtuel, parlé avec un homme qui marchait sur la tête avec un animal non identifié, pour qu’au final vous refusiez de rentrer sur Terre ? Vous vous rendez compte de l’égoïsme de votre décision ? Vous abandonnez tous vos proches et les choses concrètes que vous avez sur Terre pour un monde virtuel, invraisemblable et imaginaire ! Ce monde ne vous donnera jamais l’amour, l’affection, l’attention, la considération que vous donnent vos proches et amis, parce qu’il est inventé et irréel !

- C’est facile pour vous, de me juger, répliqua la jeune femme. Vous avez des gens qui vous aiment, un métier admirable, une belle vie comme tout le monde la souhaite. Vous n’avez pas idée de la vie malheureuse que je mène sur Terre. Alors maintenant que j’ai trouvé un endroit qui peut me rendre heureuse, c’est peut-être difficile à comprendre, mais je compte bien y rester.

- Donc je n’ai plus qu’à retourner sur terre annoncer votre trahison, si je comprends bien ? reprit Rémi, sur un ton grave.

- Rentrez donc, si vous aimez tant cette misérable Terre, et annoncez à qui vous voudrez ma décision d’être enfin épanouie. Tout ça n’a plus d’importance, ma vie sur Terre appartient au passé et est révolue. Ma nouvelle vie et cette fois-ci, la vraie, commence maintenant et ici-même. Au revoir, M. Rénier, lança-t-elle avant de disparaître, happée par la foule du centre vivicial. »

Rémi regarda une dernière fois en direction de Lucie qui était à présent déjà hors de vue, partie à la rencontre de son destin que Rémi jugeait pourtant très incertain. Le jeune homme avait pu retrouver Lucie mais s’en voulait terriblement de n’avoir pas trouvé les mots pour lui expliquer l’irresponsabilité et la cruauté de sa décision envers ses proches, lui ouvrir les yeux quant au monde factice et aux bases inexistantes où elle pensait poursuivre sa vie. Même s’il avait résolu cette affaire en découvrant que Lucie était arrivée dans ce monde volontairement, l’enquête n’était qu’à demi réussie car le refus de Lucie de rentrer avec lui sonnait pour le policier comme un échec. Il avait résolu certes le mystère de sa disparition, mais cette enquête s’était malheureusement terminée tristement et en avait fait émerger une autre dans la tête de Rémi, une enquête beaucoup plus complexe à résoudre ; une question humaine, délicate : comment annoncer au P.D.G. et à la famille de Lucie qu’elle avait préféré échanger la vie réelle contre celle du monde virtuel de New Graal ?

Le lieutenant de police, dépité et abattu, lança un dernier regard dans la direction où Lucie était partie, et observa intensément le monde qui l’entourait, se disant que ce dernier était bien plus insignifiant et creux que le monde terrestre, lui véritablement humain, que ce monde était une illusion, une invention, une imagination, et que jamais personne ne pourrait être réellement heureux dans ce monde-là qui n’avait aucun amour à offrir, du moins aucun amour réel, sincère et épanouissant. L’enquêteur monta sa main droite à la hauteur du bouton du casque que lui avait indiqué Fred pour arrêter le jeu, et appuya vigoureusement dessus, bien décidé à quitter cet univers et à retrouver les siens. Après quelques secondes sans réaction de la part du casque, Rémi réenclencha le bouton une deuxième, puis une troisième fois, toujours plus fort, sans résultats.

Il comprit alors : le casque était en panne et le condamnait par conséquent à rester dans le monde virtuel du jeu, n’ayant aucun moyen de communiquer avec le monde réel depuis celui de New Graal. Affolé, Rémi sentit les larmes lui venir aux yeux, puis tenta de se ressaisir ; Fred s’apercevrait bien à un moment qu’il avait anormalement tardé à revenir et il partirait à sa recherche. En attendant, Rémi devait attendre et tenter d’être aussi calme que possible. Tranquille extérieurement mais pétrifié intérieurement par la peur, le jeune homme avança comme une statue de marbre à travers la foule insouciante, avec un regard vide qui était pourtant rempli d’inquiétude et de questions, un regard qui interrogeait tout ce qu’il croisait, qui croyait en la venue d’un sauveur mais ne pouvait s’empêcher de refléter la question fatidique qui hantait Rémi : « Et s’il n’arrivait jamais ? ».