Omniprésent dans la vie littéraire haïtienne, Lyonel Trouillot, tribun à la voix rauque, écrivain reconnu, polygraphe et marxiste caribéen, anime chaque semaine « Les vendredis littéraires » où poètes, musiciens et comédiens font vivre les textes, et « l’Atelier du jeudi soir » au Collège classique féminin de Port-au-Prince, où se retrouvent une quinzaine de postulants à l’écriture.

Certains, comme Auguste Bonel ou Inéma Jeudi, ont déjà été publiés en Haïti et en France. Tous prennent le risque de se confronter au regard et au jugement immédiat du collectif. Ils acceptent (certains désertent, trop secoués…) de remiser leur ego et de sacrifier à « cette entreprise de désacralisation de l’auteur », selon les termes de son fondateur.

Le Manifeste de l’Atelier du jeudi soir s’affirme « contre une littérature contemporaine trop tournée vers le moi de l’écrivain ou le simple jeu formel ». L’étendard est levé : « Écrire est pour nous une urgence, pas un passe-temps ; un amour, pas une infatuation ; une activité, pas une posture. »

La parole de la société ressort des ateliers

Jeudi 1er décembre, on y trouvait, sagement assis derrière des pupitres, un ancien ministre des ressources énergétiques, un ex-chef de cabinet redevenu paysan, une enseignante, une directrice d’école, un juriste, un avocat, un urbaniste, deux expatriées, des étudiant(e)s, et quelques auteurs confirmés qui continuent d’y venir.

Un seul mot d’ordre : produire du texte. Libre ou sur un thème imposé. Puis vient l’épreuve de la critique collective que beaucoup décrivent comme « une leçon de modestie et d’humilité ». Le jeune dramaturge Faubert Bolivar, qui en est issu, témoigne : « On y apprend à partager, à tolérer les remarques, à s’améliorer. On y découvre la force de son texte. »

Cette règle du collectif, ce brassage, cette confrontation parfois tendue, pourtant vécus comme libérateurs, finissent dans ce pays pauvre, si l’on en croit Lyonel Trouillot et ses pensionnaires, par exprimer ce que la société ressent, par faire entendre la voix des sans-voix, par se transformer en « écrivain public ». Comme après le séisme de 2010 avec Haïti parmi les vivants, paru chez Actes Sud.

Les Carnets des vendredis littéraires relient les textes épars des spectacles. Maison d’édition, L’Atelier du jeudi publie régulièrement le meilleur de sa production. Une fois par mois, Le Nouvelliste, l’un des deux quotidiens de l’île, offre une double page à des textes issus de l’Atelier. Et, cela va de soi, choisis collectivement.