Invités depuis 1990

ÖZYASAR Murat

Turquie

YERALTI, L’underground turc, des littératures en résistance (Glaalade Éditions, 2017)

D’origine kurde, Murat Özyasar est l’un des représentants les plus brillants de la littérature turque contemporaine. Connu pour son engagement politique mais aussi linguistique, il travaille dans son œuvre les liens entre les langues kurdes et turques.

Né en 1979 à Diyarbakir, Murat Özyasar est professeur de langue et de littérature turque. Son premier recueil de nouvelles a reçu le prestigieux Prix Haldun Taner à sa sortie en 2008 et, en 2009, le Prix Yunus Nadi. Sa nouvelle SixTrenteCinq, est publiée en 2014 dans une anthologie sur les morts suspectes dans l’armée turque, dirigée par Murathan Mungan.

Sa participation à la journée de grève en protestation contre les exactions de l’armée turque dans la région du Sud-Est anatolien, lui vaut d’être révoqué par le gouvernement comme 11000 autres enseignants turcs. Victime d’une purge massive visant à annihiler toute opposition, il est arrêté à Istanbul en septembre 2016, sans que la raison de cette arrestation ne soit d’abord communiquée. Il est finalement libéré le 10 octobre mais reste dans l’attente d’un jugement.

La nouvelle SixTrenteCinq tirée de son recueil de nouvelles Sarı Kahkaha (trad. Rire noir), publié en Turquie en 2015, a été lue à Paris lors d’une soirée organisée à la Maison de la Poésie en soutien à Aslı Erdoğan ainsi que lors du festival Hors Limite ; elle fera l’objet d’une publication sur le site du Point.

Rire Noir

Rire Noir

Galaade - 2017

Le Rire noir dont il est question ici n’est pas une expression courante en turc. Elle est très locale (Diyarbakir) et intimement liée à la mort : le rire noir vous prend lors des veillées funèbres, lorsque l’évocation de la vie du défunt prend le chemin des anecdotes et que le fou-rire vient apaiser la douleur du deuil. L’humour est omniprésent dans les nouvelles de Murat Özyasar, on y rit beaucoup mais sans jamais oublier le drame, la tragédie qui se cache derrière ce rire, et que l’actualité ne cesse jamais, hélas, de nous rappeler. Le rire noir, c’est celui du narrateur de Rideau, qui se demande comment l’on peut rester au monde alors que l’on est mort, mort de l’ennui de vivre dans une ville de province marquée par une « sale guerre » qui n’en finit pas de durer. C’est aussi celui de SixTrenteCinq, jeune Kurde qui fait son service militaire dans l’armée qui combat la guérilla dont son frère est l’une des figures héroïques. Avec ce recueil, Murat Özyasar poursuit son travail sur la langue turque et continue de construire une littérature enracinée à Diyarbakir, sa ville d’origine. Il a grandi dans un contexte où la langue de la maison (le kurde) était interdite et son usage réprimé alors que la langue étrangère, le turc, était imposé de force à l’école. Sa langue littéraire, qu’il définit comme un turc « cassé », se fait le reflet de cette situation en réinventant la parole de tout un peuple qui, pris entre deux langues, n’en maîtrise parfaitement aucune. Cet art de la cassure, Murat Özyasar le maîtrise parfaitement.

Traduit du Turc par Sylvain Cavailles