Influence animale

Écrit par BRAULT Caroline (3 ème, Collège Jacques Monod de Caen)

Influence animale

Elle esquissa un pas à reculons, puis fit une brusque volte-face et s’éloigna en s’efforçant de ne pas courir.

Lissant de ses doigts crispés les plis de sa jupe, la jeune fille s’efforça d’inspirer puis d’expirer lentement. Elle marchait sans assurance, une mains appuyée sur le mur, comme si elle n’avait pas confiance en ses jambes, et qu’elle s’écroulerait si elle ne se reposait sur rien. Le contact du bois rugueux la rassurait. Elle était comme ça depuis toujours Lola, les sensations ou mouvements répétitifs la calmaient quand le stress l’envahissait. Le vide se fit dans son esprit. Tout allait bien, pourquoi y aurait-il un problème ? Ses poumons se gorgèrent d’air.
Et, ce qui n’avait alors été qu’un mélange confus de sons indéfinissables se précisa à ses oreilles. La télévision était allumée depuis longtemps, celle-ci ne jouait cependant plus qu’un rôle de second plan, de bruit de fond. Mais c’était alors que Lola avait entendu ces mots, comme on retrouve l’ouïe en sortant la tête de l’eau. C’était un documentaire sur les animaux. 

« Quand le loup chasse, son tempérament change du tout au tout. Il laisse sa meute et s’aventure parfois très loin, jusqu’à trouver la proie idéale. »

La jeune fille se figea. La voix du présentateur résonnait dans sa tête comme dans une église. Par l’encadrement de la porte qui menait au salon, elle venait d’apercevoir la face du loup, filmée en gros plan. Il fixait l’objectif et semblait prêt à bondir hors de la télévision pour la dévorer jusqu’à ce qu’il ne reste d’elle plus qu’un malheureux petit tas d’os. Soudain, l’homme collé à sa fenêtre lui revint précisément en mémoire. Ses yeux de loup. Sa courte barbe noire qui remontait sur ses joues. Ses cheveux trop longs qui cachaient sa peau. Lola fut prise d’un hoquet. Et sa voix s’étouffa dans sa gorge. Alors c’était bien vrai, elle n’avait pas rêvé.
Elle aurait voulu s’en empêcher, mais son corps s’agita de lui même, et sa tête pivota pour se retrouver face à la fenêtre. Face à ce regard qu’elle fuyait. Bleu. Un bleu terriblement perçant. C’est comme si, dans ce regard, elle s’était trouvée complètement absorbée. Ses membres restaient paralysés et son visage crispé dans une expression d’horreur. Et il continuait de la fixer. 

« Une fois sa victime trouvée, le loup peut la suivre sur des kilomètres, et se poster à l’observer aussi longtemps qu’il sera nécessaire. Il attend le moment opportun pour bondir. »

La vitre qui séparait Lola de ce terrible animal n’était plus une sécurité. Elle en était absolument persuadée. Pourtant, c’était sa terreur qui l’embrouillait, elle le savait. Mais son esprit restait sous l’emprise de ce visage, et ses efforts désespérés pour s’en libérer restaient vains. Ses mains tremblantes se couvrirent en quelques secondes de grosses gouttes de sueur qui coulaient le long de ses doigts crispés et venaient s’écraser dans un cliquetis sonore sur le plancher. Son front connaissait le même sort, la cascade d’eau salée contournait ses fins sourcils froncés et lui embuaient la vue. Elle était maintenant presque aussi trempée que le monstre dehors. Il n’était pas humain, il était parfaitement impossible qu’une abomination pareille eut ne serait-ce qu’une once d’humanité en elle. Leurs yeux ne se quittaient pas. La jeune fille n’osait pas. Il bondirait si elle se détournait. Il briserait la vitre, et puis...un frisson lui parcourut l’échine. Que se passerait-il s’il entrait ? 

« Il s’élance. Sa chasse commence vraiment. Il a faim et va se nourrir, il a hâte. »

Lola ne bougea pas. Mais elle tremblait, il fallait fuir. Il allait traverser la fenêtre, sauter sur la table, renverser le vase et foncer sur elle. Ses énormes pattes prêtent à lui déchirer la gorge. Un sursaut traversa ses genoux et elle failli tomber, mais son corps s’était remis en marche. Sans réfléchir, elle se retourna et clopina dans le couloir, aussi vite que ses membres tétanisés le lui permettaient. Elle entra dans le salon et balaya la salle du regard. Ses yeux affolés qui cherchaient un endroit ou se cacher s’arrêtèrent quelques secondes sur la télévision toujours en marche. Un daim.

"Alertée par le bruit, la proie part elle aussi à toute allure. Et elle court pour sauver sa vie."

Sa vie. C’était cela. Elle devait se cacher pour survivre. La jeune fille haletait, elle se passa une main sur le front pour essuyer la sueur qui collait ses cheveux à sa peau. Là, l’armoire qui contenait les jeux de société de Madame ! Lola ouvrit un des battant à la volée, le détachant presque du meuble. Elle commença à enlever les boîtes une à une, et tandis qu’elles s’entassaient sur le sol verni, la domestique désespérait. Jamais elle ne rentrerait ! Elle était bien trop grosse ! C’était essayer de faire rentrer une poule dans le terrier d’un lapin. Pourtant, il fallait qu’elle trouve un endroit où se réfugier. Vite.

« La panique l’emporte, le loup n’est pas loin derrière elle. La proie ne sait plus où aller, alors elle n’agit plus que par instinct. »

Fuir. Se cacher. Vite. Il le fallait. Sinon, les yeux la trouveraient. Bleus. Les yeux trop bleus pour appartenir à un humain. Ce visage trop terrifiant. Trop monstrueux. Trop animal.
Lola poussa un petit cri plaintif, suppliant. Il fallait que tout ceci s’arrête. Elle avait trop peur. Elle allait mourir de peur avant de mourir dévorée. Pourquoi fallait-il que cela lui arrive, à elle ? Des larmes vinrent s’ajouter à la transpiration qui commençait à sécher sur les joues de la jeune fille. Un torrent qui creusait des sillons sur sa peau fine et douce. Son corps se rassembla sur lui-même, et elle resta là, submergée par ses pleurs, tremblant de toute part.

« Épuisée, la proie abandonne. »

Non ! Cria Lola, je n’abandonne pas !

« Le loup se rapproche, voici son repas tout près. Un jeune daim épuisé après avoir tant couru pour sa vie. Sans succès. »

Non, non, non ! Je ne veux pas mourir...pas maintenant, s’il vous plaît...

La jeune fille plaqua ses mains sur ses oreilles, elle criait, priant pour que la voix du présentateur se taise. Ses sanglots prirent le dessus sur la télévision, et elle n’entendait désormais plus que sa voix oscillante, suppliant la grâce de Dieu. Le loup allait arriver dans la pièce, il allait arriver et la dévorer. Tout son être fut pris de spasmes incontrôlables. Mais rien ne se passa. Aucun loup ne se jeta sur elle. Juste le murmure du documentaire qui continuait et le hoquet discontinu de son dos qui se secouait. Lola ferma les yeux. Elle resta accroupie, recroquevillé comme un hérisson, et commença à se balancer d’avant en arrière. La petite bonne entama avec difficulté une berceuse qu’elle aimait chanter quand elle était enfant. Sa respiration se calma petit à petit, et ses mains serrées contre son crâne se détendirent. Le son de la télévision était de nouveau audible.

« Enfin, les prédateurs ne sont pas toujours aussi agressifs ! Regardez, un chat, parfois aussi terrifiant qu’un loup, il peut aussi rester des heures à observer un poisson dans son bocal. Pourtant, jamais il ne l’attaquera ! »

Lola ouvrit les yeux et releva la tête. Elle eut soudain l’impression de se réveiller d’un terrible cauchemar. Elle se leva péniblement, en s’appuyant sur le fauteuil rouge de Madame. La jeune fille s’épousseta, mais son corps entier était poisseux, et son visage encore trempé de larmes. Ce mauvais rêve avait dû être affreux, pour qu’elle soit dans cet état là. Et puis, s’assoupir pendant le travail n’était jamais très bon signe, elle ferait plus attention à l’avenir. Lola éteignit le poste de télévision et se dirigea vers la salle d’eau pour se rafraîchir et se changer. Puis elle retourna dans la cuisine. Elle tourna la tête vers la fenêtre, un infime changement dans la qualité de la lumière avait attiré son attention. Elle sourit.

Quel immense nuage, il pleuvra sans doute cette nuit ou demain.

Son sourire s’effaça immédiatement. Il y a quelques instants, ce n’était pas un nuage.