Le déracinement

Écrit par OULD TAYEB Emmanuel (1ère, Saint Joseph Du Loquidy de Nantes)

Le déracinement

Jason arracha ses semelles à la terre gluante et se dirigea vers elle.

Jason se baissa, mit un genou par terre et se mit à la hauteur de l’enfant.
Il posa sa main sur son épaule et lui demanda :
« Mais qui es-tu ? Que fais tu ici ? Es-tu perdu ? »
La petite fille interloquée répondit :

  • « Je m’appelle Amira et non je ne suis pas perdu monsieur, je vis ici, ma maman et mon frère habite dans ce cabanon au loin. ».
    Elle montra du doigt une vraie bicoque faite de tôle et de carton pâte. Personne ne pouvait vivre convenablement dans de telle conditions. Ces aborigènes, vivaient ou plutôt survivaient dans ce déluge d’insalubrité. Par terre grouillaient des chats boueux, chancelant et miaulant le malheur. Ces mêmes chats courraient après des rats qui se réfugiaient dans les réserves de nourritures. Nourriture qui était un bien grand mot pour désigner l’amas de déchets et d’ordure que composait les repas de ces autochtones. Jason fut surpris, pour lui l’Amazonie rimait avec nature luxuriante et abondance de fruits exotique. Il pensait aux fruits de la passion, à l’ananas ou encore à la grenade. Mais non rien de tout cela, seulement des détritus jonchant le sol couvert de boue. Jason eut un doute, et si cette boue noirâtre n’était en fait que des excréments. Un sentiment de dégout le traversa, il répondit alors :
  • « Mais non, Amira tu dois te tromper, tu ne peux pas habiter ici, personne ne peut habiter ici, seuls les animaux peuvent survivre dans un tel environnement, celui des forêts tropicales. Tu as du te perdre allez viens avec moi. »
    Amira jeta violemment la main de Jason posée sur son épaule et cria :
  • « Mais lâchez-moi ! Je ne vous connais pas et vous devez-être fou ! Nous sommes pas dans une forêt tropicale, nous sommes en Europe, nous sommes dans le pays sauveur. »
    Surpris par cette réaction, Jason eut un sursaut de lucidité, ce qu’il croyait être la jungle n’était pas la jungle et ce qu’il croyait être des animaux ne l’étaient pas, c’était bien des Hommes. Jason de souvint alors d’un autre mot qui était apposé à coté du mot « jungle » mais lequel exactement, mystère, il savait que ce mot était important et pouvait tout changer. Mais malgré tout il n’arrivait pas à s’en remémorer. Il était maintenant sûr d’une seule chose, il n’était pas en Amazonie.
  • « Attends, attends ne pars pas, je suis confus, je m’exprime mal, je ne voulais surtout pas te faire peur » bégaya Jason. Il rajouta « Que veux-tu dire par pays sauveur ? »
  • « Je ne sais pas très bien où je suis ou ce que je fais ici, mais ce que je sais est que l’endroit on nous sommes moi et ma famille et un endroit qui nous sauve d’un grand danger. » expliqua Amira.
  • « Mais quel type de danger ? Que fuis-tu ? De quoi as-tu peur ? » ajouta Jason
  • « Mon papa saurait mieux l’expliquer que moi, mais je crois que nous fuyons des grands méchants qui veulent faire du mal à ma famille ». Amira compléta : « un jour ma maman m’a dit que ces méchants voulaient faire du mal à Rafiq. »
  • « Mais qui est Rafiq, Amira ? »
  • « Rafiq c’est mon nounours bien évidemment, je l’aime beaucoup et il me manque. Il est resté à la maison avec Papa. »
    C’est alors que Jason comprit de quoi Amira avait peut-être essayé d’échapper. Jason comprit quel était ce monstre sans pitié et sans scrupules qui poussait une petite fille de six ans a quitter sa maison et se retrouver avec sa famille dans une jungle où tout aspect humain de ces personne était effacé au profit de celui d’un animal. Un monstre qui oblige ces familles à vivre dans un lieu où le respect des droits fondamentaux d’un être humain n’est que foutaise et illusion. Un lieu où ces personnes essaye seulement de satisfaire leur besoin primaire, se nourrir, tel un animal, et où toute la complexité et les facettes iconoclastes et singulières d’un être humain est rendu à néant. Un lieu où les petites filles et les petits garçons n’ont pas le privilège d’avoir accès à l’éducation. Un lieu qui empêche toute petite fille non pas seulement de réaliser leur rêve mais tout simplement d’en créer et d’en faire. Le monstre responsable de toutes ces ignominies n’est autre que la guerre.
    Jason demanda à Amira :
  • « De quoi rêves-tu Amira ? » Jason avait envie que Amira réponde qu’elle souhaitait devenir un princesse, rencontrer un prince charmant, vivre dans un grand château. Jason avait envie d’entendre Amira parler comme n’importe quelle autre autre petite fille du monde occidental, mais il savait au fond de lui qu’il n’aurait pas ce type de réponse.
  • « De quoi-je rêve ? Rêve qu’est-ce que cela veut dire monsieur ? » rétorqua Amira.
  • « Tu peux m’appeler Jason. Un rêve tu sais, c’est quelque chose que tu veux le plus au monde, quelque chose qui te rendrait tellement heureuse. »
  • « Oui, oui, oui je sais alors, je rêve de retrouver mon papa et Rafiq. Mais ma maman m’a dis que je ne les reverrais pas tout de suite. Mais je continue d’espérer tous les jours, comme aujourd’hui, en allant à l’entrée de la jungle, exactement où nous sommes, et j’attends mon papa et Rafiq. »
  • « Et il fait quoi ton Papa en ce moment ? »
  • « Mon frère m’a dit qu’il combattait les méchants pour qu’on puisse rentrer à la maison. » répondit Amira.
  • « Il doit être très courageux ton papa, j’aurais beaucoup aimé le connaître. » dit Jason.
  • « Regarde, regarde je garde toujours une photo de lui dans ma poche ! » s’exclama Amira.
    C’est alors que Jason reconnu le visage du père d’Amira, il n’arrivait ni à se souvenir où ni quand mais sa tête lui disait quelque chose. Il ressentait comme un sentiment de déjà vu. Mais impossible de se souvenir de plus de détails. C’est alors que Jason demanda à Amira le nom de son pays d’origine, Amira avait l’air perdue, tout ce qu’elle connaissait était le mot maison. Avec sa petite taille d’un mètre trente et ses six ans, Jason se dit qu’Amira ne s’était jamais posé la question, d’où elle venait. Pourtant cette question était cruciale, comment espérer être tourné vers l’avenir sans connaître ses propres racines, comment espérer tout quitter, et voir les fondations d’une vie construite au fil d’années se faire détruire sans n’avoir jamais vraiment su le lieu et la nature de ces fondations. Jason se rendit compte qu’Amira était une petite fille qui n’aura jamais vraiment connu ses racines et qui en plus en a été arrachée. Jason entendit des cris venant des routes parallèles à la jungle. Des hordes de reporters arrivaient, caméras et micros à la main. Le monde entier avait rendez-vous aux abords de cette forêt tropicale occidentale. On entendait des cris « Dehors ! Nous ne voulons plus de vous ! Sales animaux ! », Jason eu un doute, était-il finalement bien dans une jungle entouré d’animaux ? Parlait-il avec un animal depuis tout ce temps ? Non cette fois-ci Jason en était bien sûr, ce n’était pas des animaux, non c’était bien des Hommes, des êtres humains méritant respect et estime. Puis Jason entendit un slogan « La France aux français ! », et tout d’un coup tout sonna clair dans sa tête, le smog des ces dernières heures s’était dispersé, et Jason en était maintenant convaincu, il n’était pas dans une jungle d’Amazonie mais bien en France. Jason demanda inquiet à Amira :
  • « Que se passe-t-il ? Que veulent-ils ? Qui sont tous ces gens ? Tu les connais Amira ? »
  • « Oui ils viennent de plus en plus et il me font peur, je crois qu’ils ne veulent pas de nous ici. »
    Jason réalisa qu’en plus de ne pas connaître ses origines et ses racines, Amira n’allait jamais en découvrir de nouvelles car on allait lui empêcher, car personne ne voulait d’elle. Amira allait grandir dans un terreau où on la rejetterait non pas pour ses actions ou ses erreurs mais pour qui elle est et ce qu’elle représente.
    Amira cria :
  • « Jason je dois m’en aller, je dois retrouver ma famille, nous devons nous cacher, nous protéger, c’est fini ils veulent nous voir partir ! »
  • « Mais Amira tu dois rester ! Toi et ta famille fuient la terreur et la guerre, c’est notre devoir de vous protéger et de vous accueillir ! Reviens ! »
  • « Au revoir Jason, j’espère te revoir un jour ! Tu viendras à la maison et tu rencontreras mon père et Tariq. Adieu ! »
    C’est alors que Jason entendit des cris se rapprocher, des cris en Français et dans tant de langues qu’il ne comprenait pas. Des dizaines de personnes l’entourèrent, il chercha Amira mais ne la trouva pas. Il sentit une odeur, une odeur de brûlé. Il sentit ces dernières heures tout types d’odeurs exécrables, fétides et répugnantes mais cette fois-ci cette odeur était différente. C’était l’odeur du feu, de la chaleur, du pneu brûlé. Une grenade avait été lancée dans la jungle. Les habitations sommaires des habitants du camps prennent feu. Des gens courraient de tout côtés, la panique était à son comble. Soudain Jason sentit une main sur son épaule gauche, il s’exclama :
  • « Amira c’est toi ? »
    C’était en réalité un membre de la police et des gardes côtes lui demandant de quitter les lieux immédiatement. Jason demanda :
  • « Que voulez-vous ? Que se passe-t-il ? »
    Un officier répondit :
  • « Vous n’êtes pas au courant c’est le démantèlement de la jungle, dégagez ! »
    Jason courut pour échapper à ce brouhaha et cette panique puis passa à travers la meute de journalistes. Epuisé il s’assit sur un banc. Alors qu’il se remémorait tous les évènements marquants de cette dernière heure, Jason vit un journal, il le reconnu, il était daté du Lundi 24 Octobre 2016, Jason l’avait lu le matin même au petit déjeuner. Puis Jason vécut comme un flash qui mettait enfin de la lumière sur tout ce qui s’était déroulé, tout trouva enfin des réponses et du sens. Le journal était titré « Début du démantèlement de la jungle de Calais ». Enfin Jason pu mettre ce mot qui lui manquait depuis tout ce temps et qui changea tout, Calais. Non Jason n’était effectivement pas en Amérique du Sud mais bien dans le Nord de la France, dans l’un des plus grands camps de réfugié politique qu’est connu le vingt-et-unième siècle. Jason tourna la page puis vit une photo. Cette photo il la connaissait, c’était celle du père de Amira. Au dessus était marqué « Nouveau naufrage de migrants sur les côtes de Lampedusa, plus de 15 morts dont voici la liste des victimes. »