Le pouvoir d’une fleur

Écrit par CAPUTO Oriane (2nde, Lycée Les Eucalyptus de Nice)

Le pouvoir d’une fleur

Jason arracha ses semelles à la terre gluante et se dirigea vers elle.

Elle souriait. Cela incita Jason à s’avance. Il approcha lentement, comme s’il avait peur de l’effrayer et qu’elle disparaisse. Elle était petite et très menue. Pourtant, Jason ne voyait qu’elle, et ses grands yeux violets qui le fixaient. Jason s’arrêta à sa hauteur et l’observa. Ses traits étaient fins et réguliers mais, une grande tristesse marquait ce joli visage. Sa silhouette frêle la faisait paraître beaucoup plus jeune qu’elle ne l’était. Etait-ce un des effets de la malnutrition ?
Jason resta sans voix quand elle s’adresse à lui :
— Bonjour. La voix de la fille était calme et posée.
Jason lui sourit et répondit un peu maladroitement :
— Je m’appelle Jason Meurise.
— Je le sais. Cette réponse aurait dû le surprendre, pourtant, il n’en était rien. En fait, c’est un peu comme s’il s’y attendait.
— Qui es-tu ?
— Je suis Cataleya.
— Vraiment ? Comme la fleur ?
— Fleur ? Ah oui, c’est cela. Donne-moi ta main Jason.
A ce moment précis, il ressentit une drôle de sensation, comme si plus rien n’allait être comme avant. Ce qu’il ne savait pas, c’est que c’était le cas. Après une demi seconde d’hésitation, il obéit.
Lorsqu’il rouvrit les yeux, la jungle avait disparu. Il n’y avait plus de tentes collées les unes aux autres, plus de volontaires distribuant vivres et couvertures, plus d’enfants jouant entre les habitations de fortune, plus de visages tristes et fermés des personnes aspirant à une vie meilleure. Ebahi, il se tourna vers Cataleya pour obtenir des explications.
— Je viens de futur, Jason. Je vais te raconter une histoire, mon histoire. En fait, je vais te la montrer.
Jason regarda plus attentivement autour de lui. Il se trouvait dans une petite pièce carrée presque vide. Elle était seulement meublée d’un tapis qui devait servir de lit. Intrigué, Jason demanda :
— Où sommes-nous ?
— C’est chez moi. Enfin, c’est là que j’ai vécu les neuf premières années de ma vie. Tous les logements sont identiques à mon époque : même forme, même surface, même meuble.
— Par ailleurs, tu ne l’as pas dit en quelle année nous nous trouvons.
— Là, je t’ai amené en 3032. A présent, ne parle plus. Contente-toi de regarder.
C’est alors que la porte s’ouvrit et qu’une femme, vêtue d’une combinaison blanche entra. Elle tenait un bébé dans ses bras. Il était habillé de la même façon qu’elle. Plus étrange encore que leur accoutrement, les nouveaux venus ne prêtaient absolument aucune attention à Jason et Cataleya. Cette dernière lui donna l’explication :
— Ils ne peuvent nous voir ni nous entendre.
Après avoir refermé la porte derrière elle, la femme enleva sa combinaison puis retira celle de son enfant.
Jason allait poser une nouvelle question lorsque la femme se mit à parler :
— Comment vais-je t’appeler ? Tu as les yeux de la couleur des fleurs d’antan… Tu seras Cataleya. Cela te plaît-il petite fleur ?
Le bébé se mit à rire.
— Je prends cela pour un oui, reprit la mère en souriant.
Cataleya se tourna vers Jason.
— Le monde dans lequel nous vivons est très pollué. En fait, la pollution est tellement présente que nous ne pouvons pas sortir sans nos combinaisons. Si nous le faisons, l’air atteint notre peau, on tombe malade et on ne survit pas.
Prends ma main, je vais t’amener à l’extérieur. Ne t’en fais pas, nous ne tomberons pas malade puisque nous ne sommes pas vraiment présents. Ce ne sont que mes souvenirs.
Cette fois, Jason n’hésita pas.
Lorsqu’il lâcha sa main, Jason et Cataleya étaient dans la rue. Tout le monde était en combinaisons blanches. La plupart des gens marchaient dans la même direction en se bousculant. Seuls des gens vêtus de combinaisons noires et armés d’énormes mitraillettes les empêchaient de se piétiner. Jason observait une fillette qui se faisait pousser non loin de lui. Elle ne devait pas avoir plus de sept ans. Lorsqu’elle tourna la tête, Jason remarqua qu’elle avait les yeux violets et compris immédiatement de qui il s’agissait. Tous les gens allaient dans la même direction. La petite Cataleya ne faisait pas exception. Jason tenta de distinguer où ils allaient mais l’air était tellement pollué qu’il ne percevait qu’un brouillard sombre au loin. Au bout de quelques minutes de marche, ils arrivèrent enfin à une grande place. Au centre, Jason vit deux machines. Il y avait plusieurs files, chacune menant à un distributeur. Les hommes armés imposaient la discipline. Cataleya raconta :
— Cela fait des centaines d’années à présent que la végétation a disparu à cause de la pollution. Tout a cessé de pousser. Bien sûr, sans flore, la faune a aussi disparu. Même l’eau est rare et polluée. L’Etat a installé ces machines pour notre survie. Il y en a une qui distribue de l’eau potable et l’autre qui distribue de la nourriture en poudre. Personne ne sait ce qu’elle contient mais nous ne pouvons pas nous poser trop de questions si nous voulons vivre… Malgré l’interdiction d’avoir des enfants sans l’autorisation de l’Etat, la population reste trop importante pour le peu de nourriture. Les premiers arrivés sont les premiers servis et tant pis pour les autres…
Jason regarda la petite Cataleya repartir tristement. Il n’y avait plus rien dans les distributeurs lorsque son tour était arrivé. Depuis combien de jours n’avait-elle pas mangé ? Deux ? Trois ? Elle se dirigeait vers une vieille femme qui semblait l’attendre. Une fois à sa hauteur, Jason eut un mouvement de surprise en la reconnaissant. Ce n’était pas une vieille femme. C’était la mère de Cataleya. Sa peau, ridée avait noirci par endroits. Ses cheveux, auparavant épais et soyeux, étaient devenus blancs et ternes. Seul son sourire restait inchangé.
Frappé, Jason demanda :
— Que lui est-il arrivé ?
— Sa combinaison trop usée s’est trouée. Elle a été exposée à l’air extérieur. Elle est malade… répondit Cataleya, émue.
La petite Cataleya se pencha sur sa mère mais cette dernière, trop faible ne parvenait pas même à parler. C’est à cet instant que le corps fatigué s’affaissa. La petite fille se mit à pleurer, les larmes coulant sans qu’elle puisse les arrêter. Son père étant mort lors d’une fusillade près d’un distributeur de nourriture, elle était seule désormais.
Cataleya reprit la main de Jason.
Ils étaient à nouveau dans la rue. La petite Cataleya devait avoir neuf ans maintenant. Elle marchait vite. Elle était suivie. Il vit un des hommes l’attraper par le bras. Celle-ci s’évanouit. Etrangement, Jason sentit une douleur lui aussi et perdit connaissance. Lorsqu’il se réveilla, ils étaient dans une pièce carrée, la porte était verrouillée. Un homme était présent également. Il devait être âgé d’une quarantaine d’années et se tenait devant la jeune Cataleya. Lorsqu’il vit que celle-ci était réveillée, il s’adressa à elle :
— Bonjour Cataleya. Je m’appelle Éric. Je fais partie du gouvernement. Comme tu peux le constater, notre planète est à bout de souffle. Bientôt, nous mourrons tous. Or, l’Etat a un projet pour permettre à la planète de revivre. Nous aimerions que tu en fasses partie. Tu as des gènes uniques qui nous sont nécessaires. Tu ne peux pas refuser de nous aider, cela reviendrait à condamner ta planète et tous ses habitants. De plus, si tu acceptes, tu seras nourrie et logée. Alors, qu’en dis-tu ?
Après quelques secondes de réflexion, elle regarda Éric droit dans les yeux et répondit enfin :
— C’est d’accord.
Il déverrouilla la porte et entraîna la petite fille dans un dédale de couloirs. Pendant qu’ils marchaient, Éric expliquait :
— Le but du projet est donc de remonter le temps afin de prévenir nos ancêtres. Tu comprends ton rôle maintenant ? Tu iras dans le passé, au début dans un passé proche puis de plus en plus lointain, jusqu’à l’époque où tout peut encore changer.
Jason les suivait sans peine mais il remarqua que Cataleya haletait.
Enfin, ils s’arrêtèrent et Éric ouvrit une porte.
— Place-toi devant la machine. Prête ?
Cataleya fit un signe de tête affirmatif.
— Parfait, je t’envoie en 2900.
Jason sentit un léger vertige. Lorsqu’il rouvrit les yeux, ils étaient dans une ville entourée de remparts. Elle était en construction. Son regard s’arrêta sur une foule de gens qui semblaient vouloir entrer. Deux hommes leur barraient la route. Cataleya qui les avait remarqués également s’approcha pour mieux entendre leur conversation. Jason la suivit :
— Il ne faut pas les laisser entrer. Le chef a dit qu’ils étaient infectés par le virus.
— Oui mais nous pouvons les soigner.
— Peu importe, dans tous les cas, il n’y a pas assez de vivres ni de place pour tout ce monde.
— Que veux-tu dire ? Que nous devons les laisser mourir ? demanda l’homme effaré.
Une femme hurla. Elle les suppliait de prendre son bébé. On n’entendait qu’elle. Alors, l’un des deux hommes sortit une arme, tira sur la femme et son enfant et annonça :
— Que cela serve d’exemple. Ne revenez plus, ou vous finirez comme eux.
La foule se dispersa rapidement. Cataleya reprit la main de Jason mais l’image se brouilla. Jason était à nouveau dans la jungle. A côté de lui, Cataleya tomba à genoux, pâle et essoufflée. Elle se reprit vite, expliquant qu’elle avait eu des vertiges. Jason, inquiet, la regarda. Elle lui tendit la main et ils apparurent dans un désert. La jeune Cataleya était devant eux. Elle dit à Jason :
— Nous sommes en l’an 2700. La plupart des villes que tu connais ont été détruites par la famine, les épidémies et les guerres.
Jason regarda attentivement autour de lui. Il n’arrivait pas à croire ce qu’il voyait. Le sol était sombre et sec. Il n’y avait pas une seule trace de vie. Sa chère planète n’était plus qu’une terre craquelée sans aucune végétation. Le ciel et l’horizon étaient recouverts d’une brume noirâtre. Il avait envie de faire quelque chose pour la planète, mais que pouvait-il accomplir ? Il n’était personne… Cataleya lui sourit tristement.
— Nous sommes en 2500 maintenant, le renseigna-elle.
Le paysage n’avait pas beaucoup changé à l’exception d’un détail : un animal était présent. C’était un loup. Il était très maigre. Il reniflait le sol, probablement à la recherche de nourriture. Mais lorsqu’il tourna la tête, Jason fut interloqué. Il n’avait pas une mais deux têtes ! Cataleya expliqua :
— La pollution n’a pas tué les animaux directement. Elle a modifié leur système et ceux de leurs bébés. Ils ont commencé à muter jusqu’à former ce genre d’aberrations. Donne-moi ta main, nous allons continuer.
— Maintenant, reprit-elle, nous sommes en 2300. Le paysage avait changé : quelques brins d’herbes étaient présents et le ciel avait une couleur qui ressemblait davantage au bleu.
Jason vit un petit garçon s’exclamer :
— Oh ! Maman, regarde ! Une fleur ! Qu’elle est jolie !
Jason vit l’enfant se précipiter sur la fleur et la cueillir. Puis il revint vers sa mère et avec un grand sourire, la lui offrit. Mais la jeune femme pleurait. L’enfant, qui ne comprenait pas, demanda :
— Mais que t’arrive-t-il ?
— Aron, c’était la dernière fleur sur la Terre, la dernière ! Et tu l’as tuée.
Le jeune garçon comprit trop tard la faute qu’il avait commise.
— Je…je suis désolé, je ne voulais pas… Oh non, qu’ai-je fait ?
Jason pensa tristement que même lorsqu’elle n’avait pas de mauvaises intentions, l’humanité était néfaste pour la planète. Cataleya sembla lire dans ses pensées et hocha lentement la tête, avant de lui dire :
— Vite, prends ma main, je n’ai plus beaucoup de temps.
Jason ne comprit pas le sens de cette phrase mais lui obéit. Éric parlait à Cataleya :
— Tu es prête. Cela fait maintenant trois ans que tu t’entraînes. Tu vas pouvoir partir parler aux hommes du vingt-et-unième siècle. Malheureusement, cette époque est trop loin dans le passé pour que l’on puisse te ramener.
— Je…je ne pourrai plus jamais revenir ? bégaya la fille,
— Tu as bien compris… Il te faudra trouver un adolescent. Lorsque tu le verras, tu le reconnaîtras, tu ne peux pas te tromper. Son nom est Jason Meurise. Quand tu l’auras trouvé, tu lui raconteras notre histoire. Tous nos espoirs reposent sur lui.
Cataleya se positionna au centre de la pièce.
— Je suis prête.
Jason vit que Cataleya lui tendait la main.
Quand il la lâcha, ils étaient revenus dans la zone industrielle, en 2017.
Cataleya était couchée à même le sol. Sa peau se détériorait très vite. Elle trouva la force de dire :
— Mon organisme ne peut pas survivre indéfiniment à ton époque, Jason. Je t’ai montré ce que l’Humanité va faire subir à la planète si vous n’agissez pas. J’ai effectué ma mission… Change notre histoire, Jason, je t’en prie…
Ce furent les dernières paroles de Cataleya. Là où son corps reposait auparavant, une fleur violette avait poussé.

Trente ans plus tard, à Washington.
— Monsieur, dépêchez- vous, vous allez être en retard à votre cérémonie d’investiture !
— Je suis prêt !
Jason Meurise regarda une dernière fois la cataleya posée sur son bureau. Après une ultime pensée pour la fille aux yeux violets, il sortit.