Métamorphose

Écrit par GASTOUT Laurie (Term, Lycée Pierre de la Ramée de Saint-Quentin)

Elle esquissa un pas à reculons, puis fit une brusque volte-face et s’éloigna en s’efforçant de ne pas courir.

Elle avança d’un pas raide jusqu’au couloir et se plaqua contre le mur, la respiration hachée et sifflante. Une sueur glacée de panique lui dégoulinait le long du dos. Elle s’efforça d’inspirer profondément. Son cœur martelait violemment ses côtes.

  • Ce n’est rien, songea-t-elle en frottant ses mains moites contre son jean, tu as du halluciner ma pauvre Lola.
    Un bruit de verre cassé la fit sursauter. Elle passa la tête discrètement et se glaça lorsqu’elle vit la créature tenter de traverser la vitre, sa main large et poilue tâtonnant le rebord brisé de la fenêtre. Lola songea l’espace d’un instant prendre un couteau dans la cuisine en guise d’armes, mais finit par se ruer sur la pointe des pieds jusqu’au téléphone fixe. Elle tendit une main tremblante vers le combiné et fila jusqu’à sa chambre. Elle referma la porte le plus vite possible derrière elle, et s’empressa de la bloquer à l’aide d’une chaise. Dans le salon, elle entendait les grognements de la créature, ses lourds bruits de pas alors qu’elle parcourait la pièce. Lola n’en doutait pas, celle-ci avait entendu la porte se refermer et ne tarderait pas à venir jusqu’ici. D’une main fébrile, elle composa le numéro des policiers, porta le téléphone contre son oreille. La créature dehors semblait se rapprocher. Lola ferma les yeux, assise dans son coin, priant d’une voix suppliante que quelqu’un décroche. Elle faillit hurler de joie lorsqu’elle entendit le bip significatif. Elle n’attendit pas que quelqu’un prenne la parole et souffla d’une voix rapide :
  • Je m’appelle Lola, j’ai quatorze ans, j’habite huit rue Vaugirard. Il y a quelque chose dans ma maison qui vient d’entrer par la fenêtre, je ne sais pas ce que c’est, mes parents ne sont pas là et …
    La jeune fille ne pue prononcer davantage qu’un grognement rocailleux se fit entendre à l’autre bout du fil. Elle lâcha le combiné en poussant un petit cri, comme s’il lui avait brûlé les doigts. Elle s’affola lorsque la chose frappa une première fois contre la porte. Elle mit une main contre sa bouche et retint sa respiration. Elle sentait les larmes lui brûler les yeux mais ne pouvait se résoudre à pleurer. La créature frappa une seconde fois, plus violemment, et comme mue soudainement d’une nouvelle intelligence, elle sembla se concentrer sur la poignée. Le sang de Lola bouillonnait dans ses veines quand elle vit la cliche s’abaisser et se relever de plus en plus frénétiquement, comme si l’espèce de gorille s’acharnait dessus avec véhémence. Elle trembla encore plus quand elle vit que la maigre chaise servant de rempart ne tiendrait pas bien longtemps.
    En proie à la panique, elle chercha une issue des yeux et son regard se planta alors sur la fenêtre close de sa chambre. Sachant qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps, elle se leva et se força à tenir debout malgré ses jambes cotonneuses. Elle enfila rapidement un manteau, glissa ses pieds dans une vieille paire de baskets et prit un sac. Elle ouvrit la porte de sa fenêtre, prit au passage une casquette verte qu’elle vissa sur ses cheveux roux et s’agrippa à la rambarde. Heureusement pour elle, la maison se limitant au rez-de-chaussée, elle sentit bien vite le sol boueux sous ses pieds et s’élança à toute vitesse dans la rue.
    Son maigre sac ballotant dans son dos, Lola courut le plus vite et le plus loin possible de chez elle. Elle ne se souciait pas de la pluie qui lui martelait le visage et lui rentrait dans les yeux, mais quelque chose dans les rues lui paraissait étrange. Elle se contentait de se diriger à l’aveuglette dans les rues qu’elle foulait depuis des années, tournant de temps à autres dans une ruelle pour s’échapper. Le souffle court, elle finit par prendre une halte en face de la devanture de la boulangerie. Elle prit plusieurs inspirations, tenta de calmer les battements affolés de son cœur.
    Envisageant qu’elle était enfin en sécurité, elle entra dans la boulangerie. Tandis que la porte faisait tinter le clocher, elle se racla la gorge et héla :
  • Heuuu… Bonjour ? Il y a quelqu’un ?
    Personne ne lui répondit. Elle fronça les sourcils mais haussa les épaules. Elle s’appuya contre le mur et secoua son blouson. Elle ignorait l’heure, mais elle se doutait que ses parents ne tarderaient pas à rentrer chez eux. Ils tomberaient alors nez à nez avec cette chose à l’apparence presque humaine et Lola réprima un frisson. Son cœur se serra. Elle espérait de tout cœur qu’il ne leur arriverait rien.
    La boulangerie n’était pas très grande, et quelques minutes plus tard, ses yeux en avaient fait déjà maintes fois le tour. Son regard se posait de temps à autres sur les nombreuses pâtisseries, mais elle se mordait les lèvres pour ne pas succomber à la tentation.
  • C’est quand même bizarre, pensa-t-elle en plissant le front.
    Elle s’approcha du comptoir et se pencha par-dessus. Ce qui devait être les cuisines semblaient plonger dans l’obscurité. Elle ne distinguait rien de bien concret. Elle réitéra sa question :
  • Youhou ? Il y a quelqu’un ?
    Elle entendit un bruit mou et une respiration saccadée. Sa gorge se serra, elle déglutit avec difficultés.
  • Je peux vous aider ?
    Deux mains jaillirent soudainement de la pièce et lui saisir le col. Lola hurla et se débattit tandis que la poigne se faisait plus ferme et la tirait jusqu’à elle. Dans un geste désespéré, elle mordit le poignet de son agresseur qui poussa un glapissement de douleur suivit d’un juron.
  • Aie, mais tu es complètement folle ou quoi ? Persiffla-t-il d’une voix sourde, tais-toi où ils vont te repérer.
    Lola s’immobilisa lorsqu’elle comprit que la voix était celle d’un adolescent à peine plus âgé qu’elle. Elle secoua encore un peu la tête et le dit assaillant relâcha un peu sa prise. Il lui souffla à l’oreille :
  • Je te relâche à condition que tu me promettes de ne plus crier.
    Lola leva une main en signe de serment, elle pu enfin retrouver l’usage de la parole. Les yeux emplit d’une certaine colère, elle se retourna et fit face à quelqu’un de beaucoup plus grand que ce qu’elle avait imaginé. Elle fut obligée de lever les yeux pour distinguer son visage. L’inconnu faisait presque deux têtes de plus qu’elle, semblait avoir dix-sept ans. Des mèches de cheveux bruns tombaient devant des yeux ébène où brillait un soupçon d’interrogation. Lola avala sa salive.
  • T’es qui ? Demanda-t-il d’une voix abrupte en croisant les bras sur son torse.
    Son comportement agaçait déjà la jeune fille. Elle reprit ses esprits et afficha un regard dur. Elle croisa les bras de façon à l’imiter et redressa la tête.
  • Je m’appelle Lola. Et toi ?
  • Mathieu.
    Celui-ci esquissa un bref sourire devant la posture de la jeune fille.
  • Qu’est ce que tu fais ici ? Poursuivit-il, l’air légèrement plus détendu.
    La gorge de Lola se noua une nouvelle fois. Elle passa une main nerveuse sur son visage et ôta sa casquette.
  • Il y a… Une chose bizarre qui est rentrée chez moi. Une sorte de gorille humain, je ne sais pas trop. J’ai eu peur qu’il m’attaque et je me suis enfuie.
    Mathieu fronça les sourcils.
  • Quelque chose comme un gros gorille ? Avec un visage presque humain ? Des yeux presque animal ? Il semblerait qu’il y en ait partout en ville, marmonna-t-il en se dirigeant vers l’accueil de la boulangerie. Le regard dur, il poursuvit à voix basse.
  • J’avais dis que ça arriverait...
    Le cœur de Lola tambourinait dans sa poitrine. Partout ? Comment-ça partout ? Ca veut dire que beaucoup de ces choses se baladent tranquillement dans la ville ? Et puis quoi encore, elles se sont échappées d’un cirque ?
    Mathieu s’était approché de la vitre et ses yeux scrutaient les rues. Quand Lola s’avança, elle comprit ce qui l’avait perturbé lorsqu’elle avait fuit sa maison. L’avenue d’ordinaire agitée et saturée d’automobilistes, était aujourd’hui vide et étrangement silencieuse. Aucune âme qui vive ne traversait la longue promenade. Pas même un chat.
    Soudain, elle sentit Mathieu se tendre à sa droite. Celui-ci ne lâchait pas la rue des yeux, les lèvres pincées, ses grands yeux sombres se plissèrent vers quelque chose au loin. Elle l’imita, scruta les ténèbres à travers la pluie. Elle distingua ce qui attirait l’inquiétude du jeune homme. Bien plus loin, environ une centaine de mètres dans l’avenue, une sorte de masse sombre profilait. D’ici, Lola songea qu’il devait s’agir d’automobiliste ou de piétons.
    Toutefois, le mouvement n’était pas ordinaire et il se rapprochait bien rapidement. Mathieu hoqueta, saisit le bras de Lola et lui ordonna de la suivre d’un ton sec. Sans bien saisir pourquoi, elle le suivit dans l’échoppe, traversa les quelques pièces jusqu’à la porte arrière de la bâtisse. Mathieu saisit un blouson et ouvrit la porte, révélant une rue étroite. Il poussa Lola à l’extérieur tout en enfilant son veston, puis, tenant toujours son bras, ils commencèrent à descendre la rue. A travers la pluie et les rafales de vents, Lola parvint à entendre des hurlements stridents et des acclamations sauvages. Elle accéléra la cadence à l’idée de se retrouver poursuivit par les créatures tout droit sorti d’un livre de Tolkien.
    Mathieu avançait à une vitesse impressionnante, sa poigne de fer était si incroyablement serrée autour de son poignet qu’il l’arrachait presque de terre à chaque foulée.
    Le jeune homme traversait la ville sans réellement se soucier de ce qu’il voyait. Puis sans prévenir, il s’immobilisa, manquant de faire tomber Lola à la renverse. Haletante, elle fixa Mathieu. Celui-ci se tenait le ventre, le visage crispé de douleur. La jeune fille s’approcha et effleura brièvement son épaule.
  • Est-ce que ça va ? Demanda-t-elle d’une voix inquiète.
    Le visage du jeune homme était devenu très pâle. Lola ne savait si les gouttes qui perlaient sur son front étaient due à la pluie ou à la douleur. Il respirait fort et ses mains tremblaient. Son visage semblait avoir sensiblement changé depuis qu’ils étaient partis. Quand tout à l’heure il lui avait paru immense, elle lui trouvait à présent un air bizarre. Elle songea même qu’il avait rapetissé. Mathieu reprit ses esprits et passa une main tremblante sur son menton. Il baissa les yeux vers Lola qui réprima un frissonnement. Les yeux de Mathieu n’étaient plus bruns, ils oscillaient entre le jaune et le marron. L’espace d’un instant, elle eut l’impression de se trouver face à un animal sauvage. Il battit des paupières et l’étrange scintillement disparu. Il poussa la jeune fille par l’épaule.
  • Il faut qu’on trouve des secours, dit-il simplement en la poussant vers une nouvelle avenue.
    Lola approuva vivement et obéit. Ses grands yeux verts scrutaient la ville silencieuse. Elle n’avait jamais vu sa bourgade aussi calme, et elle se demandait où les gens pouvaient bien se cacher. Peut-être avaient-ils été prévenu d’une grosse tempête et qu’ils avaient fuit. Tandis qu’elle réfléchissait, elle ne sentait pas la poigne de Mathieu se durcir contre son blouson. Derrière elle, ce dernier ouvrait la bouche par intermittence, les yeux révulsés. Il suivait d’un pas titubant, et c’est lorsqu’il tomba à terre que Lola se tourna vers lui. Elle se mit à trembler de terreur en le découvrant. Si quelques secondes plutôt il était encore un jeune homme de dix-sept ans, il n’était plus à présent qu’une chose trapue au regard fou. L’étincelle sauvage qu’elle avait discernée dans ses yeux un peu plus tôt la fixait voracement. Une bouche tordu d’un rictus peu humain découvrait des dents irrégulières. Les épaules de Mathieu s’étaient élargies, arrachant les vêtements qu’il portait sur lui, et il ne se tenait à présent plus debout mais accroupi, les mains posées sur le sol en appuie. Lola s’écarta vivement tandis qu’il tendait une main énorme vers elle pour la saisir à la gorge. Elle ôta son sac qu’elle lui envoya dans la figure d’un large geste de la main et elle détala à toute vitesse. Les larmes qu’elle avait refoulées un peu plus tôt dévalaient ses joues qu’elle peinait à essuyer. Elle fut bien vite à bout de souffle. Un peu plus loin, elle entendait l’ogre-Mathieu la poursuivre et elle comprit qu’elle n’arriverait pas à s’enfuir. Cette panique s’insinua davantage quand des bruits vinrent de tous les côtés. Elle se trouvait au milieu d’un carrefour et des quatre avenues venaient plusieurs dizaines de ces choses. Clouée sur place par la peur, elle les regarda venir vers elle.
    Elle songea que les hommes n’étaient plus. Elle songea à ses parents. Qu’étaient-ils devenus ? Peut-être avaient-ils subi le même sort que Mathieu.
    Alors que les créatures l’encerclaient, toujours plus proches, tellement proches qu’elle sentait presque leurs souffles contre son cou, elle fut secouée d’une violente crampe à l’estomac. Le coeur au bord des lèvres, un spasme lui traversa le corps quand ses yeux se posèrent sur ses mains. Elles se couvraient de poils épais et drus, et ses os craquaient sous le changement violent. Plus elle bataillait pour continuer à formuler une pensée concrète, plus ses idées s’égrenaient.
  • Qu’est ce qu’il se passe, paniquait-elle en retenant ses hauts le coeur, qu’est ce qu’il m’arr... Qu’est ce que... Je... Gmfffrrrr...
    Tandis qu’elle se forçait à penser de façon intelligible, l’un des gorilles s’était approché d’elle. Elle tomba à genoux, fixa son reflet dans un flaque d’eau sale, et regarda son visage... se métamorphoser.