Unique

J’ai regardé mes chaussures, puis un carreau de carrelage sur lequel il y avait une petite tache de sauce tomate, puis les chaussures de mon père, puis la chemise de mon père, sans aller jusqu’aux yeux, c’était plus simple de ne pas regarder ses yeux et j’ai dit :

  • Au lycée, il y a beaucoup de … d’élèves qui se moquent de moi. Je n’ai pas vraiment d’ami et les gens qui me parlent c’est surtout pour mes résultats.
    J’appuie mes mains moites sur mes cuisses, il ne doit pas voir que mes mains tremblent.
  • Pourquoi est-ce que ces élèves se moquent de toi ?
  • A cause de mon vitiligo, de la dépigmentation de la peau …
  • Ma chérie, tu sais souvent les ados sont parfois méchants et très moqueurs entre eux. Mais surtout ne te laisse pas faire prend confiance en toi et assume tes différences car c’est ce qui te rend unique ! Tu es tellement talentueuse dans l’art et l’aquarelle, crois en toi !
  • Merci.
    C’est vrai que ma passion pour l’art et le dessin est très importante, quand je fais de l’aquarelle je me sens bien et libre.
  • Et si malgré tes efforts ils continuent je prendrai rendez-vous avec la direction.
    Je hoche la tête. Rassurée d’avoir livré mes secrets.
  • Bon on le regarde ce film d’action ?
  • Bien sûr.
    J’approuve en rigolant. J’ai vraiment de la chance d’avoir un père comme lui.
    Après notre soirée film accompagnée de rires et de popcorn je vais me coucher, heureuse. En regardant mes aquarelles accrochées aux murs de ma chambre je pense : j’aimerais pouvoir être aussi sereine au lycée que je le suis chez moi. Pouvoir abandonner cette carapace que je m’impose. Mais dès que j’arrive au lycée je suis pétrifiée, si bien que je bafouille sans cesse ce qui me rend timide.
    Malheureusement la réalité me rattrape toujours. Le lendemain je me prépare à partir pour le lycée avec mon anxiété habituelle, qui était devenue ma compagne depuis le début de l’année. Je n’ai pas le choix !
    Comme chaque matin je m’assieds dans le car, seule, et je sors une feuille blanche pour commencer un croquis en espérant que les Relous me laisseront tranquille aujourd’hui. D’ailleurs en voilà deux.
  • Ah mais regarde elle est encore là ! dit le garçon.
  • T’as du dentifrice autour de la bouche, chérie. Ah mais non, c’est vrai, c’est parce que tu es malade. ajoute la fille.
    Comme tous les jours je baisse les yeux sans rien dire. Ils s’éloignent. Je ne comprendrais jamais pourquoi cela les amuse de m’insulter comme ça chaque jour ! Comme dans le dernier film que j’ai regardé avec mon amie d’enfance Emilie. On avait adoré mais les critiques étaient mauvaises. Pourtant ce film a été oscarisé ! Je me suis toujours demandé quelle est la matière d’un oscar ? De l’or ? Du laiton ? C’est vraiment lourd ? Est-ce que certains acteurs ne surjouent pas un peu leurs émotions ? Je m’égare encore …
    Je rumine mes pensées en marchant dans les couloirs mon bloc note d’aquarelles (qui est presque plein) serré contre moi. Soudain je percute violemment quelqu’un.
    Je bafouille quelques excuses en me baissant pour ramasser mes affaires :
  • Oh la la ! Je suis vraiment désolée ! Je ne regardais pas devant moi ! Pardon !
  • Wow ! On se calme, c’est de ma faute ! annonce une jolie voix assez grave.
    Je lève les yeux vers cette mystérieuse voix, et reste bouche bée devant la beauté du visage du jeune homme qui se tient devant moi. Il n’était pas plus grand que moi, sa peau avait une jolie couleur métisse. Mais ce qui m’interpelle le plus c’est son visage : il a des yeux bleus magnifiques avec du fard à paupière, un trait d’eyeliner gigantesque, des cils immenses et un rouge à lèvres violet. Il est mieux maquillé que la plupart des filles de tout le lycée. Ces vêtements sont de couleur vive et avec beaucoup de paillettes !
    Je me ressaisis en ramassant mon cahier et mon matériel.
  • Salut je suis nouveau, je m’appelle Charles. Enchanté ! déclare-t-il avec un grand sourire.
  • Enchantée. Moi c’est Orlane. Tu es en quelle classe ?
    Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Deviendrais-je sociable ?
  • Je suis en seconde C.
  • Moi aussi ! On commence par maths et après physique.
  • Oh, comment bien commencer une journée, mes deux pires matières !
  • Je t’aiderai si tu veux !
    Il sourit.
    Je ne me suis jamais aussi bien entendu avec quelqu’un si rapidement. Pourtant Charles parait tellement différent de moi. Mais peut-être que nos différences peuvent nous rapprocher !
    Nous sommes installés avant tout le monde dans la classe. Mais des Relous arrivent pour gâcher mon bonheur ! Cette fois c’en est d’autres que ceux du car, ils sont quatre : deux pestes et deux mecs.
  • Eh regardez ! L’albinos et la tarlouze se retrouvent !
    Ils rigolent.
  • Et toi tu sais ce qu’elle te dit la tarlouze ? Vous savez vous pensez être cool avec votre apparence, mais vous avez les mêmes insultes et mentalités homophobes qu’il y a deux siècles. Il serait peut-être temps d’évoluer non. Et puis avant de nous traiter d’albinos et de tarlouze regardez-vous dans un miroir ! A mon avis vous ne verrez pas que de la pureté et de l’innocence ! Répondit Charles calme et fier.
    Le groupe bafouille quelques mots incompréhensibles avant de s’installer.
    Je me tourne vers Charles :
  • Waouh ! Il faut absolument que tu m’apprennes à faire ça !
    Il me fait un clin d’œil.
    Les cours se poursuivent et je passe la meilleure journée de ma vie, avec Charles car nous n’arrêtons pas de rire. C’est génial ! Si le destin existe vraiment je suis reconnaissante d’avoir heurté Charles ce matin. C’est dingue les rencontres ! C’est exactement comme dans les livres que j’adore, le héros rencontre quelqu’un qui change sa vie. Sauf que lui il a une vie incroyable à la base. Ce genre de vie existe-t-il vraiment ? Est-ce que je rencontrerai une personne comme ça un jour ? Je rêve tellement …
    Charles m’invite à venir chez lui.
    Lorsque je rentre dans sa maison je suis choquée, c’est l’opposé de l’apparence de Charles, tout est parfaitement rangé. On dirait le magazine d’Ikea :
    Il n’y a aucune vaisselle apparente dans la cuisine, aucune tache sur le sol, dans le salon, les poils du tapis ont l’air brossés, les livres sont rangés par genre et par couleur !!!
    Nous empruntons un escalier en parquet clair impeccablement ciré, et Charles me conduit jusqu’à sa chambre. Cela lui ressemble un peu plus mais sa chambre reste bien neutre comparé à son apparence, il me fait un peu visiter. Il y a quelques touches de couleur flashy un peu partout, sur son lit il y a énormément de coussins ! Il ouvre son armoire et je suis éblouie :
  • Il y a tellement de paillettes !
  • J’adore voir le regard des gens outrés, intrigués ou choqués par mon apparence ! explique Charles. Je rigole.
    Mais le plus impressionnant c’est sa coiffeuse sur laquelle il y a plus de maquillage que je n’en ai vu de toute ma vie ! Je suis émerveillée. Je ne sais même pas comment me servir de la moitié de ce qu’il y a sur cette coiffeuse ! Est-ce que le maquillage est considéré comme de l’art ? Pour moi oui. Il existe des concours de maquillage ? Sûrement. Je devrais convaincre Charles d’y participer ! Je rêvasse …
  • Je pars me changer. Déclare-t-il.
    Je suis seule assise sur son lit, soudain j’entends le son d’une notification d’un téléphone derrière moi. C’est celui de Charles. Je jette un œil à l’écran de verrouillage :
    Papa : Tu as intérêt à être démaquillé quand je rentre, petit pédé ! J’espère que tu bosses déjà parce que sinon ça va chauffer quand je rentre ! Tu sais de quoi je suis capable …
    Je relis le message plusieurs fois. Comment un père peut parler de cette manière à son enfant. Je refuse d’y croire. Mais Charles revient habillé tout en noir et démaquillé ! Il s’allonge sur son lit à côté de moi et prend son téléphone. Il soupire en voyant le message de son père.
  • Charles, tes parents te parlent toujours comme ça ?
    Je demande timidement, de peur d’aggraver une blessure déjà trop présente.
  • Oui. Disons qu’ils n’approuvent pas vraiment mon style ni ma personnalité extravagante, et pour ne rien arranger je ne comprends rien en cours donc mes résultats sont nuls, ça ne leur plait pas non plus.
    J’ai l’impression qu’il va pleurer.
  • Je peux t’aider si tu veux ? J’ai 18 de moyenne.
  • C’est vrai ! Je veux bien oui, merci !
    Nous passâmes deux heures à revoir les bases et Charles progresse vite il n’a pas de problèmes tant qu’il comprend ce qu’il apprend.
  • Bon je vais devoir y aller.
  • Attends je peux voir ton cahier d’aquarelles ? demande Charles.
    Je suis un peu surprise mais j’acquiesce en lui donnant mon bloc note.
    Il l’observe, et déclare :
  • Tu devrais les exposer au lycée pour montrer aux débiles qui t’insultent que tu vaux bien mieux qu’eux ! Je peux le garder pour ce soir et je te le rendrai demain ?
    - Si tu veux.
    Trois semaines plus tard …
    J’arrive au lycée avec Charles comme d’habitude nous discutons en marchant dans les couloirs, lorsque j’aperçois un dessin que je connais, je le regarde de plus près. C’est l’une de mes aquarelles. J’observe les autres murs, il y a des photocopies de mes aquarelles partout sur les murs des couloirs.
  • Charles …
  • C’est moi qui ai demandé à la direction pour afficher tes œuvres et comme tu peux le constater c’est fait ! Grâce à toi j’ai des notes au-dessus de la moyenne maintenant sur tous mes contrôles et mes parents commencent enfin à me respecter ! Je pouvais au moins te remercier comme ça !
    Je vois le groupe de Relous passer à côté de nous ils ne m’adressent pas un regard, comme si mes aquarelles constituaient une barrière face à eux.
  • Merci Charles. D’ailleurs tu me considères comme une artiste mais tu en es aussi un. Regarde ton visage le maquillage peut-être un art à notre époque !
  • Oui mais je suis loin d’être le meilleur !
  • Moi non plus, on devrait trouver un lieu pour se réunir par exemple un jour de la semaine, avec d’autres élèves du lycée qui aiment l’art sous toutes ses formes, et on pourrait faire des projets artistiques les exposer dans le lycée et dans les classes après.
    Je souris.
  • Attends, en fait tu voudrais créer un club d’art. complète Charles.
  • Exactement !