1991-1992 : Le grand retour de l’aventure et le Nouveau Monde

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Last of the Buffalo, par Albert Bierstadt (1888). Affiche de l'édition 1992 du festival.

Un moment de magie, comme s’il fallait qu’après les journées de la première édition, nos retrouvailles, un an plus tard, se marquent par une commune célébration de l’imaginaire du festival et de l’imaginaire de la ville…

1991 : Le grand retour de l’aventure ...

Un moment de magie, comme s’il fallait qu’après les journées de la première édition, nos retrouvailles, un an plus tard, se marquent par une commune célébration de l’imaginaire du festival et de l’imaginaire de la ville : le lancement de notre corsaire de Surcouf, le Renard, reconstruit à l’identique, le samedi 18 mai, à 11 heures, sur la cale de Dinan, face à l’hôtel jadis habité par Robert Surcouf, devant une foule énorme, émue. Le Renard, qui soutint victorieusement, le 10 septembre 1813, l’ultime combat corsaire de l’histoire de France, contre l’anglais Alphée – pour ajouter à l’émotion, des centaines de Malouins s’étaient même habillés en costumes d’époque.

Et en réponse à cette ferveur, une égale passion dans les salles du festival, des expositions un peu partout, un hommage à Kerouac (avec Gregory Corso venu tout exprès) une exposition de deux cents photos, restaurées par Nicolas Bouvier, d’Ella Maillart, une autre de photos de Bouvier sur le Japon, « Chambres d’Asie » de Gérard Manset, « L comme Loisel », une expo Rimbaud par Alain Borer, une autre « L’or des mots : J.-M. G. Le Clézio et la Bretagne » – entre autres. Les premiers débuts d’un festival de cinéma, sous la pression de cinéastes partageant notre idée d’une création soucieuse de dire le monde. La BD présente en masse, avec Druillet, Bourgeon, Loisel, Fournier, F’Murr, Pétillon, Pierre Dubois, cent vingt écrivains au total, une centaine de journalistes, cinquante-sept journaux parisiens, cinq télévisions, « Thalassa » de nouveau, la presse britannique, hollandaise, allemande, suisse, espagnole, portugaise, sud-américaine venue découvrir ce phénomène littéraire. « C’en serait donc fini de l’invraisemblable obstination de la littérature française à confondre le centre du monde et son nombril ? », me demandait, radieux et un rien perfide, le journaliste du Times qui finissait par avouer tout de même qu’il n’avait jamais rien vu de tel. Richard Gilbert de The European écoutait bouche bée Nicole Villoteau expliquer que pour capturer un serpent sans problème il fallait juste connaître ses zones érogènes, Ivy Jardine, dernière descendante de Selkirk, le véritable Robinson Crusoe, se taillait un joli succès, Alvaro Mutis restait « admiratif et sans voix » à l’écoute d’Ella Maillart, et la ronde reprenait comme si nous ne nous étions pas quittés, tout ce temps…

Edito du festival 1991 :
"Écrivains, ils ont couru le monde pour en dire le poème, convaincus que l’espace du voyage et celui de la littérature se confondent. Voyageurs, ils ont tenté de dire leur émerveillement dans des livres qui se voulaient sans prétention « littéraires », et presque sans le savoir, sont devenus des chef-d’œuvres. Dans les deux cas, c’est la tension entre le monde et leur texte, leur texte et leur vie, qui toujours nous fascine. Les sociologues ont parfois un peu trop tendance à réduire les textes (et les individus) à leurs « contextes » : ces gens du voyages », écrivains, explorateurs, aventuriers nous émeuvent peut-être tant que que parce que, disant le texte du monde, ils viennent aussi nous rappeler qu’un homme ne se réduit pas, non plus, à ses contextes, mais peut faire de sa vie une aventure - un texte. Bref il a suffi que s’effondrent les grandes idéologies, que s’essoufflent les avant-gardes littéraires qui leur étaient liées, et leurs prétentions à régenter le cours de la littérature pour que soufflent à nouveau les grands vents. Récits de voyages, films, BD : c’est aujourd’hui le grand retour de l’aventure."

1992 : Un Nouveau Monde

Cinq centième anniversaire de la découverte du Nouveau Monde : dans une ville où est partout présente encore la mémoire de Jacques Cartier, il nous fallait célébrer dignement l’événement, mais à notre façon. Et ce fut pour nous l’occasion de parcourir quelques-unes de nos Amériques. D’accueillir un immense écrivain indien du Montana : James Welch, qui allait marquer l’histoire du festival. Mais aussi les Américains Peter Matthiessen, auteur de In The Spirit of Crazy Horn, et John Saul, le Brésilien Jorge Amado, l’Haïtien Jean Métellus, l’Antillais Raphaël Confiant, les Mexicains Paco Ignacio Taibo II, Eraclio Zepeda et José Agustin, le Chilien Luis Mizon, mais aussi les historiens Philippe Jacquin (Les Peaux-Rouges), Serge Gruzinski (Histoire de la conquête du Nouveau Monde), les cinéastes ethnologues Jean Monod, Paul Bussières, Michel Perrin, Élise Marientras, Jacques Lizot – entre autres… Une exposition superbe sur Juan Rulfo, une autre, pur enchantement, proposée par le Muséum d’histoire naturelle, sur les insectes d’Amérique, une autre encore de soixante parmi les plus belles photographies d’Edward Curtis, et, surprise à l’attention d’Alvaro, qui faillit s’évanouir d’émotion, une exposition des plus belles planches de son ancêtre Celestino Mutis (1732-1808), grand naturaliste de la Nouvelle-Grenade.

Les écrivains-voyageurs n’étaient pas en reste, avec quelques nouveaux venus de première importance : Patrick Leigh Fermor, une légende vivante, du dernier chic anglais dans l’usage de sa canne – oublié dans l’instant quand une somptueuse créature l’invita à danser, un soir ; et une autre légende, de beau calibre elle aussi, Jean Malaurie. Sans compter tous les autres, dont bon nombre s’étaient mobilisés pour un livre manifeste qui allait faire quelque bruit : Pour une littérature voyageuse (Éd. Complexe). Et comme un conte de fées, pour conclure, la venue d’un écrivain inconnu, malade, atteint de tuberculose osseuse, portant un corset pour tenir le temps du festival, amené là par son éditrice, et qui repartit en héros de ces journées, acclamé par le public, entouré par les journalistes, intrigués : Luis Sepulveda, l’auteur du Vieux qui lisait des romans d’amour, qui aujourd’hui compte deux millions et demi de lecteurs en France. Tout un symbole, de ce que devenait le festival…