L’Odysée de Junid

Il se met à courir.
Il court à perdre haleine jusqu’à l’endroit où il a l’habitude d’observer les oiseaux avec ses amis. Toujours le même silence terrifiant, oppressant. Au loin, il aperçoit un groupe de personnes. Parmi elles, il devine la silhouette de son père. Il court à la vitesse de la lumière pour les rejoindre.
Arrivé vers l’attroupement, il se faufile dans la foule jusqu’à son père. Il est très vite soulagé, car il voit aussi sa mère à quelques mètres. Les adultes sont inquiets, car tout le monde parle fort et en même temps. Junid, dans ce brouhaha, entend les mots « tsunami », « catastrophe » qui se répètent. Il sent l’angoisse monter.
Tout d’un coup il entend une voix plus forte que les autres s’élever. Le brouhaha cesse et le chef du village se met à parler :
« Mes amis, il faut fuir le village, un tsunami va arriver. Il faut monter, tout de suite, au plus haut point de l’île, au temple de Kakounra, là-bas ! Vite les femmes et les enfants, partez tout de suite ! Les hommes forts avec moi, nous allons aider les plus vieux. On se retrouve au temple de Kakounra. »
Junid rejoint sa mère, prend sa main et l’entraine. Ils commencent à grimper. L’ascension est difficile, épuisante, le chemin est pentu. Les plus petits ont peur, ils pleurent, ils glissent. Jili, un des plus petits, trébuche devant Junid et se met à pleurer. Junid le met sur ses épaules et continue la marche.
Enfin, ils arrivent au temple et Junid tape à la porte. Le gardien du temple leur ouvre. Il regarde Junid bizarrement et murmure :
« Ha… ! Ca doit arriver… Je t’attendais…
Puis il se reprend et s’adresse à tout le monde :

  • Que se passe-t-il ?
    Junid lui répond :
  • Nous fuyons notre village car un tsunami arrive. Monura, le chef du village, nous a dit de nous réfugier ici. Les hommes sont encore au village. Ils arrivent avec les plus faibles. Peux-tu nous aider ?
    L’homme leur dit :
  • Entrez, entrez, je vous en prie. Il y a de l’eau à la fontaine derrière, il y a de la nourriture à droite et il y a de quoi se reposer dans la salle à gauche. »
    Soudain des cris se font entendre. Junid court pour voir ce qui se passe. Il voit le tsunami arriver au loin, une énorme vague, grande comme dix hommes, avance rapidement. Les hommes viennent juste de commencer à monter. Junid et les autres sont pétrifiés de peur en assistant à cette scène épouvantable.
    L’eau ravage tout sur son passage : les arbres sont balayés, les murs des maisons sont détruits, l’eau submerge tout et continue d’avancer avec violence. Junid et les autres sont atterrés. Les hommes sont toujours en bas de la montée et l’eau progresse très rapidement.
    Le gardien pause sa main sur l’épaule de Junid. Le garçon sursaute. L’homme lui chuchote dans l’oreille :
    « Petit, j’ai peut-être une solution à tout ça, mais j’ai besoin de toi. Viens avec moi ! »
    Avant de partir, Junid regarde une dernière fois, les hommes en train de monter la montagne, puis le suit. L’homme l’emmène derrière le temple et lui dit :
    « Tu vois derrière ce pont suspendu, il y a un vieil autel de pierre dédié au Dieu Kakounra, qui est le protecteur de cette île. Sur cet autel il y a une légende gravée qui dit :
    Un jour il arrivera un malheur
    Et un jeune garçon courageux,
    Qui a un grand cœur,
    Arrivera en étant malheureux,
    Mais il pourra ramener le bonheur.
    La pierre magique l’aidera,
    La serrer il devra,
    Deux vœux il fera,
    A haute voix il les dira,
    Et si son cœur est pur,
    La pierre les exhaussera,
    Il disparaitra,
    Et le bonheur reviendra.
    Voilà la légende et je pense qu’elle parle de toi. Je sais qu’elle est terrifiante, je ne sais pas si elle est vraie. Mais pour qu’elle se réalise, il faut y croire. J’espère que tu veux bien essayer. Il faudra que tu traverses ce pont suspendu qui est vraiment mal-en-point. Es-tu partant ?
  • Mais ça à l’air risqué…, et que veut dire : il disparaitra… ? J’ai vraiment peur…, mais si c’est pour sauver le village je veux bien essayer...
  • Merci de ton courage, bonne chance ! A toi de jouer ! Fait vite et fait attention à toi ! »
    Pendant que Junid tente de traverser le pont en piteux état, il entend des cris qui sont de plus en plus forts. Il continue d’avancer, glisse sur une planche, elle se brise et tombe jusqu’au fond du ravin. Il a failli tomber, mais Junid s’agrippe à bout de bras à la corde et de toutes ses forces il remonte petit à petit sur le pont.
    Il est épuisé, mais il continue sa route jusqu’à la fin du pont. Il entend des cris de joie, les hommes ont dû arriver, il sourit. Il arrive enfin vers l’autel, récupère la pierre…Il hésite… Il regarde de l’autre côté du pont et aperçoit au loin sa mère qui prend son père dans ses bras.
    Il a les larmes aux yeux car au fond du ravin il distingue l’eau qui continue à progresser très vite, ils ne sont pas sauvés. Alors il serre très fort la pierre dans sa main en regardant son père, sa mère et les autres villageois au loin et crie :
    « Voici mes deux vœux : que ce tsunami disparaisse jusqu’à la fin des temps et que tout redevienne comme avant ! »
    Un grand silence se fait, le temps parait figé, rien ne se passe… Junid ouvre sa main, la larme qui coulait sur sa joue tombe sur la pierre. Finalement la pierre s’illumine, chauffe et grésille dans sa main. Il la lâche et crie « Aie ! » et tout se met à tourner autour de lui…. Il s’évanouie.

Junid se réveille. Il est dans son lit. Il ferme les yeux, écoute, retenant sa respiration, et fait le décompte de tous les sons qui sont revenus. Le vent, les oiseaux, les chiens et la mer…
Il sort de sa maison et se dit que tout n’était qu’un cauchemar. Il court vers sa mère et lui prend la main en l’embrassant. Elle lui rend son baiser et lui demande en souriant :
« Tu es bien câlin ce matin Junid ! Tiens, que t’es-tu fait dans la main ? »

FIN