La rose de Lola

Ce fut au moment où la coque basculait que Simon comprit qu’il n’irai pas pêcher ce jour-là, pas plus que les autres jours.

Il se souvient très bien de ses boucles brunes lui descendant dans le cou, lui caressant les oreilles. C’était d’une telle beauté, d’une telle finesse que Simon en avait toujours la tête qui tourne. « Lola. Lola. Lola… » son nom lui résonnait toujours comme une mélodie pour enfant, comme un écho de son rire.

  • Je te trouve magnifique ma Lola.
  • Oh qu’elle flatteur !

Non. Arrête Simon. Ne pas se souvenir. Tu t’étais promis…

Le garçon recula d’un pas, effrayé. Le chien aboya de plus belle. Des gouttes d’eau chaude venant du ciel, lui tombèrent dessus, s’écrasant, disparaissant dans la laine de son pull. « Lola, Lola, Lola…. » murmura-t-il. Il secoua la tête. Stop, Stop, Stop !! Le chien tira de plus belle sur sa laisse, autant effrayé que son maitre.

  • Est-ce que tu m’aimes Simon ?
  • Et toi ?
  • Toujours…

« Toujours… »

Il déteste la pluie, c’est triste et boueux. Elle a toujours aimée, l’eau qui s’écrase sur le parapluie en un bruit gracieux, elle trouvait ça romantique. Des larmes se mêlent à l’eau du ciel. Il ne devrait pas pleurer, ou bien si ? Qui a dit que c’était ridicule ?

C’était un petit bourgeon de rose, poussant sous le bateau, en plein mois de Janvier. Quand il avait soulevé la barque ce fut comme un choc.

Les roses poussent en été. Pas en hiver. Alors pourquoi ce bourgeon était-il là quand il a soulevé le bateau ?

C’était elle qui l’avait planté. Lola… Oui Lola. Ca la représentait bien. Elle visait toujours les choses impossibles… Mais c’est cela qui fait que tout le monde l’aimait… Elle était un tourbillon de défi… De choses impossibles…. Ce qui faisait sourire les gens.

  • regarde Simon ! regarde ce que j’ai apporté !
  • une graine ?
  • Oui… Je vais la planté… ici !
  • Ici ?
  • Oui !
  • T’es pas croyable…
  • Ah… J’ai hâte de la voir éclore !

Le petit bourgeon sortait un peu, ses pétales refermés, comme si la rose avait peur de sortir. Le garçon la comprend, cet endroit est si sombre que personne n’a envie d’y vivre. Simon aurait voulu prendre ce miracle dans ses bras, le serrer, l’embrasser, le couvrir, lui promettre de le protéger… Mais il se retint. Ce serait stupide de faire cela. La pluie continuait à tomber, mais un peu plus fort. Ploc, ploc… Chut ! se répétait Simon.

  • Ouhhh… On devrait revenir sur la plage.
  • Mais Simon… Les vagues ne sont même pas encore enragées… Et regarde comme il pleut, ne trouves-tu pas cela magnifique ?
  • Oui, il pleut. J’ai froid moi !
  • Encore quelques minutes…

C’étaient peut-être les minutes de trop. Mais il n’a pas pu lui dire non. Il l’aurait déçu. Et décevoir Lola ? Non.

Il avait la tête qui tournait, mais ça lui faisait du bien, enfin… Ca montrait qu’il était encore en vie, même si, il a perdu son sourire depuis longtemps. Il était maintenant allongé, ses bras écartés, la pluie tombant sur son visage. Les arbres craquaient autour de lui, c’est comme si la pluie et la nature faisait un concert, tout était en rythme… Tout était doux… Elle aurait adoré. Elle aurait sûrement commencé à danser, à bouger ses cuisses en rythme, à balancer ses bras, les bouger dans tout les sens, tout en tapant du pied en même temps que les ploc et les crac des branches, elle aurait ri aux éclats… tout aurait été parfait…

Ils avaient l’habitude de venir tous les week-ends pêcher sur ce lac, c’était une sorte de rituel. Et on dirait qu’il a gardé l’habitude, ou alors il culpabilise. Il avait fallu une seconde…. Une putain de seconde… Il avait juste… Une seconde…

  • Lola ?

….

  • Lola ?!

….

  • Putain Lola ?!

Il se souvient, les vagues avait commencé à devenir dangereuses, à pousser le bateau au milieu du lac. Oui c’est ça. A pousser le bateau… Au milieu du lac… Peut-être que ce n’était pas bon. D’essayer de se rappeler. Ou alors si. Si, il remettait c’est esprits en ordre, peut-être qu’il pourrait de nouveau vivre, de nouveau ressentir le besoin de se lever du lit… Un tourbillon de défi… Oui, ça la définissait bien : elle était son tourbillon de vie.
Alors c’était il y a 2 ans…

  • Tu es sure de vouloir y aller ?
  • Pourquoi pas ?
  • La météo dit qu’il y a une tempête qui se prépare.
  • Et depuis quand écoutes-tu la météo ?
  • Je dis juste que ça pourrait être dangereux.

La jeune fille poussa le bateau en lui tirant sa langue, moqueuse.

  • Je ne pensais pas que t’étais un trouillard. Bon tant pis j’irai toute seul…
  • Non ! C’est bon je viens avec toi.

Le couple s’assirent de chaque côté du bateau. Simon prit les rames et commença à ramer. Lola regarda émerveillé la clarté du lac, les rayons du soleil venaient se déposer d’une façon gracieuse.

  • C’est magnifique !

Elle toucha l’eau de ses doigts fins, elle frissonna de plaisir au contact de l’eau. Des poissons chat se faufilèrent sous le bateau.

Quand il y eu suffisamment de fond, Simon avait sorti les cannes à pêche. Ce jour là il avait pêché de belles prises.

  • On va se régaler ce soir ! roucoula-t-elle.

Elle prit une mèche de cheveux et la mit dans sa bouche. C’était une manie agaçante et sexy.

  • j’ai senti une goutte ! Je te l’avais dit ! cria Simon, content d’avoir raison.
  • T’es juste parano. Je n’ai senti aucune goutte.. Moi !

Simon haussa les épaules et rangea sa canne à pêche :

  • Je m’en fiche que tu n’as pas senti de goutte, on rentre, je n’ai pas envie de revenir à la maison, gelé.
  • 5 minutes ! S’il te plait, j’adore ces moments qu’on passe tout le deux… Aller…

Simon lâcha les rames, et se mordit la lèvre.

  • bon d’accord 5 minutes !
  • Oui. 5 minutes.

Simon ne reprit pas sa canne à pêche, il se contenta de regarder le paysage. Il sentait toujours des gouttes lui tomber dessus, mais cette fois il y en eu de plus en plus.

  • Ouhhh on devrait revenir à la plage.
  • Mais Simon… Les vagues ne sont pas encore enragées… Et regarde comme il pleut, ne trouves-tu pas cela magnifique ?
  • Oui il pleut, et j’ai froid moi !
  • Encore quelques minutes…

Simon avait trouvé ça bizarre, qu’elle allonge cette soirée de pêche, alors qu’une tempête allait bientôt tomber…. Peut-être qu’elle l’avait sentie…
Le lac commençait à danser sous la petite barque. Le bateau tanguait sur le côté. La pluie devenait violente, elle s’abattait sur leurs fronts. Des éclairs zébraient le ciel, le spectacle était certes beau mais effrayant. Simon n’arrivait plus à contrôler la barque, elle allait dans tous les sens, mais en suivant toujours la même direction : l’endroit le plus profond, comme attiré par un aimant. Simon ferma fort les yeux, priant pour que tout s’arrête…..

  • Lola ?

  • Lola ?!

  • Putain Lola !!!

Ploc, ploc….

La pluie ne le touche même plus. Elle le traverse, comme si, il était devenu lucide, invisible au yeux du monde.

Il prit une rame. La brisa. Il tapa assez fort pour que le bois cède. Il s’attaqua à la deuxième, avec autant de férocité, mais le visage fermé. Il ne sentait plus ses larmes. Le chien s’était calmé, il s’était assis, et regardait son maitre faire, calme. Comme si lui non plus, n’avait plus rien à perdre. Simon suait, ses aisselles était humides, et des gouttes de sueur lui coulaient le long de la tempe. Oui il n’avait plus rien à perdre, ou alors il voulait juste se débarrasser de souvenirs qui pèsent trop lourd.

Il avait froid. Terriblement froid. Quand il eut fini la deuxième rame, il arracha les planches du petit bateau, la barque était maintenant trouée de partout. Le garçon n’en pouvait plus. Il était épuisé. Il jeta un regard à la rose, toujours intact. Le petit bourgeon était illuminée de petites gouttelettes. Le soleil était revenu, avait réussi à traverser l’épaisseur des nuages, des fins rayons venaient délicatement se déposer sur les gouttes, ce qui donnait un effet lumineux à la plante.

Simon soupira. Il se dirigea vers le bord du lac. Ses chaussures s’enfonçant dans le sable humide. Quand il commença à sentir l’eau sous ses pieds il s’arrêta. Et pour la première fois depuis deux ans, il sourit.

Oui il n’allait plus revenir pêcher ici. Pas que ce soit trop dure. Non. Le monde à trop de merveilles à découvrir, pour qu’il revienne. C’est ce qu’elle aurait voulu…. Lola… Lola. Lola. Lola. Lola !

  • Je t’aime Lola !!! cria Simon.

Il cria si fort qu’il en eu mal à la gorge. Il rit. Il rit bien haut. Pour qu’elle puisse l’entendre….

  • je t’aime…. Mais ne t’inquiètes pas. Ou que tu sois je te rejoindrai, même si je tarde un peu, attends-moi. Je t’ai donner cinq minute… alors donnes-moi le temps… Le temps qu’il faudra pour que j’explore le monde, que je découvre, observe, pour que j’apprenne…. Oui laisse moi juste le temps d’apprendre…. comme ça.. quand je te rejoindrai, je te raconterai tout ! Je te ferai ressentir, rire… Oui ! je te conterai le rire, de tous ces gens que j’ai rencontré. Je te conterai leurs aventures, leurs vies… je te conterai leurs actions, comment ils ont avancées…. Je te raconterai… Je te raconterai le monde dont tu n’as pas pu profiter ! Je te ferai sentir vivante.

Lola… Lola le tourbillon. Lola la rose, en plein mois de janvier. Lola aux boucles brunes. Sa Lola. Sa vie. Oui. Lola était le symbole de la vie. Elle était le symbole du sourire. Alors aujourd’hui il allait arrêter de la décevoir. De se décevoir.

  • Personne ne sait ce qu’est la mort, mais sache que le moment venu je te rejoindrai et tu me fera découvrir ce monde ! Et… Et si tu veux... On y fera pousser un rosier ! Oui ! Un magnifique rosier ! Alors… Attend moi… Laisse-moi juste… du temps. Du temps pour revivre.