Et ensuite

écrit par Claire Chaigne, élève de 2nde (CNED de l’académie de Bordeaux)

Corentin s’étonne de n’être pas plus impressionné. Remarquez, il ne s’est jamais évanoui de sa vie. Mais il n’a jamais rencontré de cadavre non plus. Monsieur Mouron est étendu dans toute sa rondeur. Il porte son costume trois pièces et son éternel nœud papillon. Ce gros dandy cachait ses bourrelets sous des vêtements impeccables. Par terre, tas flasque comme une flaque de boue, il a l’air paisible. Son rictus s’est transformé en sourire d’ange grassouillet. Chacune de ses cuisses est un tronc d’arbre. Cette masse est couverte d’un sang qui coule encore. Une aiguille de métronome en plain cœur, quelle fin horrible pour un prof de solfège. Corentin n’est pas attendri par cet ancien ennemi qui ne respire plus, mais s’il l’a maintes fois maudit, il n’a jamais souhaité sa mort. M.Mouron abusait de son pouvoir et se servait du solfège comme d’un instrument de torture. Mais qui en voulait à ce point au prof sadique ? Combien de fois a-t-il poussé Célia la violoncelliste aux larmes ? Et la petite Natacha, n’a-t-elle pas juré que si elle le rencontrait une nuit de pleine lune, elle lui enfoncerait sa flûte dans la gorge ? Et Guillaume, si sublime au piano, garçon massif et fort qui s’est écroulé après avoir raté l’examen de fin d’année en hurlant : “Qu’il crève !”. Mouron était aussi détesté par ses collègues du conservatoire. Mais nul ne le haïssait autant que la belle directrice, Madame Van den Blois, qui n’attendait que la retraite de ce croque-notes. L’a-t-elle hâtée ? Et si oui pourquoi ? Personne ne connaît le moindre détail de sa vie, mais avec l’arrivée de la police, on ne va pas tarder à être servi.

“C’est un bon début. Et ensuite", demande un des jurys pour l’édition de mon livre.
"
Et bien, je n’ai pas encore écrit la suite, mais je peux vous dire ce qu’il va se passer. Corentin mène son enquête, bien sûr il est freiné par les poulets... Enfin, je voulais dire, par les flics. Non, par les policiers ! Il découvre tout pleins de choses intéressantes..."

"Comme quoi ?"

"Et bien, comme l’assassin ! En fait, l’assassin, c’est Corentin lui-même ! Ou plutôt, Corentin hypnotisé ! Car il faut savoir que le professeur de piano, M.Cloufou, est un scientifique, et qu’il est capable d’hypnotiser qui il veut grâce à un de ses produits miraculeux. Le professeur de solfège essaie de lui voler son produit, et Cloufou décide de le tuer grâce à ce même produit !"

"Ne me dîtes pas qu’il vient de dévoiler l’assassin", commence un membre du jury."

"Et si, dit un autre, désespéré."

"Ohlala, mais c’est pas possible ! "

"Alors, qu’est-ce que vous en pensez", dis-je avec un sourire crispé.

"Oui, le début est bien... Mais comment dire, commence ce monsieur en gesticulant et en se frottant le peu de barbe qu’il a avec son index, la suite est... Euh..."

"Trop simple !", s’exclame un petit bonhomme à côté du monsieur qui gesticule tout en se frottant le peu de barbe qu’il a avec son index.

"Oui, voilà, trop simple, c’est le mot que je cherchais ! Tout à fait, tout à fait, trop simple ! Mais oui bien sûr, c’est trop simple ! "

"Effectivement, oui, c’est trop simple", s’excite un autre bonhomme.

"En effet, oui, on ne peut pas dire mieux, c’est trop simple", s’excite encore un autre bonhomme.

"Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt, mais bien sur, c’est trop simple", s’excite encore et encore un encore autre bonhomme.

"Sans aucun doute, c’est trop simple ! Trop simple", s’excite encore, encore et encore un encore et encore autre bonhomme.

"Cette petite expression désigne à merveille ce petit récit", s’excite encore, encore, encore, et encore un encore, encore, et encore autre petit bonhomme.

"Il faut que vous trouviez autre chose."

"Et si le professeur de piano était en fait un robot ?"

"Non."

"Et si c’était Corentin le robot ?"

"Ca sera pour moi un petit non", répondit le petit bonhomme.

"Et si c’était M.Mouron le robot ?"

"Écoutez, nous allons faire comme si nous n’avions rien entendu. "

Revenez avec un scénario moins simple. Il faut qu’on se pose des tas de questions ! Qu’à la fin de votre livre, on remette tout en question, pourquoi vit-on, comment vit-on, pourquoi meurt-on, comment meurt-on. Il faut que votre livre nous fasses nous remettre en question !

"Mais ce n‘est qu‘un livre pour enfants..."

“Je suis sur qu’au fond d’eux-mêmes, les jurys ont trouvés que j’avais du talent, me dis-je sur le chemin du retour.”

Pendant ce temps-là, les jurys discutent :

"Ce garçon n’a aucune imagination ! Ce ne sera jamais un grand auteur."

"Oh oui, oui, je suis tout à fait d’accord avec vous. "

"Et puis vous avez vu sa cravate ? Qui mettrait une cravate noire avec une chemise jaune ? "

"Ce petit homme n’a aucun talent, aussi petit soit-il."

"Oh, ça c’est petit M.Petiot !"

"Un petit peu, c‘est un petit peu vrai."

Je rentre donc chez moi après ce refus, et décide de me mettre au travail. Je m’assoie sur ma chaise à petites roues, je tournicote quelques instants en attendant que mon ordinateur s’allume. Puis je me rends compte que je n’ai pas appuyé sur le bouton démarrer, j’appuie donc sur ce bouton, je re-tournicote quelques instants en attendant que mon ordinateur s’allume, mais j’attends moins longtemps que la dernière fois car je n’ai pas oublié d’appuyer sur le bouton cette fois-ci.
J’entends la petite musique qui indique que l’ordinateur est en marche, je tournicote encore sur ma chaise en attendant que le logiciel se mette en route, j’attends, j’attends, j’attends encore.
Enfin je me dis que je suis très bête, car j’ai encore omis d’appuyer sur le bouton. J’appuie donc sur le bouton, je tournicote sur ma chaise, je me sens mal à force de tournicoter, je pars aux toilettes, je reviens, et je commence enfin à réfléchir.
Le regard fixe, les doigts sur les touches du clavier, les jambes croisés, la cigarette au bec, je prend mon air écrivain.

“ Ca y est, j’ai une idée ! Ah, en fait non... Ouh, en voilà une autre ! Non, toujours pas...”

Et après quelques heures “d’orage de cerveau”, comme disent nos amis anglophones, c’est l’heure de la délivrance !
Je finis enfin, ma partie de démineur ! Après quelques bonds sur ma chaise, puis une chute dans les escaliers, car la chaise a des roulettes, je me remets au travail. Et au bout d’une minute, j’arrête. Assez travaillé pour aujourd’hui !

"Ils ont dit que ton livre était trop simple !", s’exclame Hélène, une amie.

"Oui, c’est ce qu’ils ont dit. D’après eux, à la fin de la lecture, on doit se poser pleins de questions."

"Mais ce n’est qu’un livre pour enfants !"

"C’est ce que je leur ai dit !"

"Autant découper un livre de Sherlock Holmes, mettre les mots dans le désordre, et on s’en posera des questions ! "

"Hmm... découper un livre de Sherlock Holmes..."

Après le rendez-vous avec le jury :

"Alors, qu’est-ce qu’ils ont dit ?" , demande Hélène.

"J’ai fait comme tu m’as dit, tu sais, j’ai découpé un livre de Sherlock Holmes, mis les mots dans le désordres, et ça m’a fait la suite du livre."

"Tu n’as pas fait ça ?"

"Si si ! L’un a dit que c’était excellent, puis un autre a dit qu’on se posait beaucoup de questions, comme il avait demandé. Pourquoi Corentin disparaît, pourquoi le mort n’est pas le même, pourquoi maintenant il y a un personnage qui s’appelle Watson, etc..."

"Mais c’est parfait alors !"

"Au début c’était parfait. Jusqu’à ce que l’un d’eux dise que c’était finalement un petit peu trop compliqué, qu’on se posait beaucoup trop de petites questions, que ce n’était qu’un petit livre pour petits enfants. Du coup tout le monde a dit pareil, tout est à refaire."

" Bien, si nous vous avons appelé aujourd’hui, commence un des membres du jury, c’est parce que cela ne peut plus durer. Votre livre a été rejeté maintes et maintes fois, et on en a marre de vos idées stupides. Alors nous avons décidé de vous aider."

"Oui, et puis finalement, votre cravate noire s’accorde bien avec votre chemise jaune..."

"Mais tu te souviens quand il est venu avec une cravate rose sur une chemise verte ? Qu’est-ce que ça s’accordait mal ensemble !"

"Oui, et la fois où il est venu avec une cravate rouge sur une chemise rose ! Ohohoh !"

"Bon, passons, ce n’est pas le plus important. Je disais donc que nous avons décidé de vous aider à écrire votre livre, parce qu’on en a marre de vous."

"Merci, c’est gentil", dis-je.

"Tout d’abord, avez-vous des idées pour la suite du récit ?"

"Et bien oui, j’avais pensé à ce que M.Cloufou soit en fait un extra-terrestre."

"... Ah, je crois que M.Petiot a une idée."

"Effectivement, j’ai une petite idée pour la suite du petit récit. Et si M.Cloufou n’était pas un petit professeur de piano, mais de petite harpe, et qu’avec M.Mouron, ils préparaient un petit numéro de petites aiguilles de métronome, un petit dérivé du lancer de petits couteaux ?
Les petites aiguilles de métronomes seraient lancées sur le petit M.Mouron à l’aide d’une petite corde de petite harpe tirée comme un petit arc. Et un petit soir, ils loupent leur petit numéro, une des petites aiguilles de métronome se plante dans le petit coeur du professeur de solfège. M.Mouron meurt."

" Oui, c’est très bien, on prend ça !", s’exclamèrent les membres du jurys tous en cœurs.

"Mais j‘aimais bien cette idée d‘extra-terrestres moi..."

"Et bien Monsieur, comment avez-vous cette merveilleuse idée de best-seller, ce meurtre d’un professeur de solfège, M.Mouron ?"

"Oh, écoutez, c’est très simple. Ca ne s’invente pas, c’est venu tout d’un coup, comme ça ! J’ai du talent, il ne faut pas le nier !"