Inquiétante rencontre

écrit par Alexia Blanchard, élève de 5ème au collège du Diamant à Diamant (académie de Martinique)

Le sac à dos de Marine n’est pas comme tout le monde ! Elle s’assure tous les soirs qu’elle y a mis des pansements, de l’aspirine, du désinfectant, du fil et une aiguille, des crayons et des stylos en plus des cahiers blancs, des trombones, un stick de colle, des ciseaux, des mouchoirs en papier, des tampons, du sel et du poivre, de l’huile d’olive, une culotte de rechange, des enveloppes, son couteau suisse, un compas, une bouteille d’eau, des barres énergétiques, des allumettes, une pince à épiler, une lime à ongle, du savon, du shampoing, des cubes de bouillon, des sachets de thé, du sucre, des épingles à nourrices, du chocolat une lampe de poche, son téléphone portable, un dictionnaire, son doudou. On ne sait jamais quand il va falloir sauver une vie. Peut-être même… la sienne. Aujourd’hui, elle est allée jusqu’à y enfoncer sa brosse à dents et un tube de dentifrice neuf, son oreiller et tous les sous de sa tirelire. Parce que cette fois-ci ça y est, elle a décidé de quitter la maison. Il est temps que sa vie commence.

« À ce soir ma chérie ! » crie sa mère en entendant la porte claquer.

Marine ne répond pas. Elle part comme si elle, la bonne élève, la fille modèle, allait sagement au collège, comme tous les jours. Aujourd’hui, elle ne court pas, elle suit doucement ses jambes vers la gare. Aujourd’hui est le premier jour du reste de sa vie.

Sur le chemin de la gare, Marine aperçoit une bande de garçons qui jouent avec une arme à feu. Soudain, un des garçon reçoit une balle dans la tête. Marine court vers lui et l’aide à se relever. Le jeune garçon a un trou dans la tête et Marine se dépêche de lui mettre un désinfectant et un tampon pour absorber le sang de façon très efficace. Le garçon la remercie avec un sourire chaleureux et lui propose de l’accompagner à l’endroit où elle doit aller. Marine accepte et lui demande son prénom.

« Je m’appelle Blaine, Blaine Joli et toi ? »

« Moi c’est Marine Amour. »

« C’est joli comme prénom : Marine Amour ! »

« Et toi donc c’est mignon Blaine Joli. Hahahaha !! »

« Merci ! Tu es gentille toi au moins ! »

« Pourquoi tu dis ça ? »

« Écoute, je peux passer chez moi, je vais prendre un sac et je vais fuguer !
 »
« Oh ! Comme moi ! »

Arrivée chez Blaine, Marine l’attend le temps qu’il fasse son sac. Les voilà maintenant à la gare, ils prennent un billet pour Saint-Malo.
En attendant le train, Marine sort son doudou et repense à tous les bons moments passés avec ses copines, ses parents et son professeur qu’elle adore. Elle se revoit félicitée par Madame Ibon pour son centième 20, jouant avec Isamoche et Ninon à la corde à sauter, avec ses parents le jour de son premier voyage en Bretagne. Elle peut encore reculer ; le train arrive et Marine saute dedans sans même un regard en arrière.
Blaine n’est pas dans le même compartiment qu’elle mais lui promet de venir la voir aussi souvent que possible. Elle s’assoit à sa place et sort un de ses cahiers blancs et un stylo. Soudain une grosse dame arrive. La dame a un énorme postérieur, des seins comme des pastèques et un chignon aussi gros qu’un melon. Marine lâche son cahier et son stylo et, absorbée par l’énorme choucroute laquée, ne se rend pas compte tout de suite que la dame veut s’asseoir à côté d’elle.
L’énorme dame est habillée avec une robe rouge, un sac à main jaune et elle porte des chaussures vertes. En s’asseyant, la robe de la dame se déchire avec un énorme bruit, la grosse dame ne s’en rend pas compte. Marine prend alors son sac, son épingle à nourrice et elle la tend à la dame, qui la remercie dans un souffle.
La grosse dame engage la conversation avec Marine :

« Bonjour jeune fille, ne devriez-vous pas être à l’école aujourd’hui ? »

« Non, madame, ma prof’ est absente. »

« Ah ! Et comment t’appelles-tu ? »

La jeune fille se demande si elle doit répondre ou non, l’odeur de transpiration de la dame l’empêche de réfléchir. Mais elle répond :

« Marine Amour et vous ? »

« Madame Fil-de-Fer. »

« OH ! »

Marine se dit : « Fil-de-Fer, et bien va falloir qu’elle perde des kilos » !!
Madame Fil-de-Fer continue :

« Mon fiancé, monsieur Patate, m’attend à St Malo. »

Blaine arrive. Elle lui propose de venir s’asseoir avec elle. Le jeune garçon accepte avec empressement. Blaine s’assoit donc et Madame Fil-de-Fer recommence les mêmes questions qu’avec Marine. Durant le trajet à Saint-Malo, Madame Fil-de-Fer leur demande ce qu’ils ont dans leur sac. Marine étonnée répond :

« Mes mouchoirs. »

« Non ! À manger ! »

« Euh … du sel et du poivre, de l’huile d’olive, des barres énergétiques, des cubes de bouillon… »

« Chut ! tais-toi et donne-moi ton sac ! Toi aussi ! » Ajoute-t-elle à l’adresse de Blaine.

Les jeunes collégiens donnent leur sac à dos. La grosse dame prend tout ce qu’elle trouve de bon à manger, sauf l’huile, prétextant que c’est un peu gras. Elle va même jusqu’à boire le shampoing et à croquer dans le savon de Marine. Ensuite elle demande aux jeunes abasourdis ce qu’ils font dans ce vieux train. Marine encore sous le choc répond :

« Et bien je l’avoue, nous avons fugué. Nous en avons assez, tout le monde nous énerve donc résultat, on a envie de mourir parfois. Et vous ? »

« Et bien, moi je vais manger des humains, euh des frites avec mon fiancé. Si vous voulez, vous pouvez venir chez nous ! Hein, hein, hein. »

Soudain, Marine et Blaine prennent peur, ils croient avoir entendu « manger des humains » et son rire diabolique les glacent d’horreur.

« En fait non, nous … nous ne voulons pas », répond Marine.

« Ha, tu ne veux pas hein. »

Les yeux de madame Fil-de-Fer sortent de leurs orbites et elle sourit d’un air menaçant, découvrant des dents jaunes, grises, noires, de couleurs indéfinissables, des dents de vampire. Marine s’évanouit ! Blaine essaie de la réveiller mais n’y arrive pas. Il la met alors sur son dos, et saute pour fuir la dame qui, espère-t-il, ne pourra pas les suivre si facilement. Hélas, sa carrure imposante ne l’empêche pas d’être assez leste, elle saute aussi ! Blaine la regarde ,pétrifié, et court le plus vite possible en bas du chemin de fer, c’est alors qu’il entend Marine éclater de rire. Surpris de la voir revenue à elle, il s’arrête, la dépose, se retourne et … se prend d’un fou rire mémorable : le train s’éloignait à bonne allure, la robe de Madame Fil-de-Fer flottant à la porte de celui-ci. Il semblerait que l’épingle à nourrice de Marine était bien plus solide que la robe, elle a dû s’accrocher à un clou, c’est la robe qui a craqué ! Par ailleurs, l’horrible dame, qui n’a pas su se réceptionner convenablement, s’est mise à rouler, rouler, rouler … en sous-vêtement ! Le spectacle leur ferait presque oublier pourquoi ils ont voulu fuir. Reprenant leurs esprits, ils se sauvent pour échapper à la mangeuse d’hommes avant qu’elle ne cesse de rouler, rouler, rouler …

Après avoir fait des kilomètres sur les routes menant à Saint-Malo, ils se retrouvent essoufflés devant une maison lugubre et noire qui semble avoir surgi de nulle part.

Soudain, ils sentent la terre trembler sous leurs pieds, ils se retournent et voient l’énorme dame arriver en courant ! Eux qui pensaient en être débarrassés ! C’est qu’elle est résistante la Fil-de-Fer ! Ils décident de rentrer vite fait dans la grande maison et courent chacun de leur côté se cacher. Marine se glisse dans la salle de bain. Mais elle est découverte assez rapidement. Marine pétrifiée, un peu moins par la vision du spécimen en culotte qu’elle a devant elle, fouille dans son sac et en sort sa lampe de poche pour aveugler son adversaire, le temps de prendre son dictionnaire. Madame Fil-de-Fer ne le vit pas de cet œil-là et se rue sur Marine qui lui jette alors le dictionnaire au visage, lui écrasant ainsi le nez dans un bruit assez étrange. Elle pense un court instant pouvoir lui échapper en passant entre ses grosses jambes or madame Fil-de-Fer a l’intelligence de les refermer, bloquant la pauvre Marine qui en perd son souffle. Elle s’évanouit de nouveau.

Blaine, de son côté, observe la scène par le trou de la serrure de l’armoire dans laquelle il a trouvé une petite place pour se cacher. Lui aussi, partagé entre l’horreur et l’amusement, réfléchit à la manière dont il pourrait aider son amie. Il se souvient alors de ce que Marine a emporté dans son sac. Il tient son idée …

Profitant d’un instant où Madame Fil-de-Fer était occupée à ramasser Marine pour l’emporter dans la cuisine, il se précipite dans la salle de bain afin d’y récupérer le sac. Il y trouve son bonheur et s’approche en silence de la cuisine pour mettre son plan à exécution. Il sort la lime à ongles métallique de Marine de sa poche et la plante sauvagement dans les fesses de la grosse dame. Celle-ci se donne une tape sonore sur les fesses, s’imaginant écraser un vilain moustique…
Pendant ce temps, Blaine lui applique de la colle sur le dos. Elle se retourne, lui, l’air de rien continue de la badigeonner devant aussi. Elle lui demande ce qu’il peut bien fabriquer avec ça. Il lui applique alors sur le ventre les enveloppes et les mouchoirs trouvés dans le sac de Marine en lui expliquant que la vue qu’elle offre est plutôt désastreuse et qu’il est préférable qu’elle soit un peu plus couverte. Outrée, Madame Fil-de-Fer tente de l’attraper mais il se faufile derrière la table et commence à la repousser un peu.
Elle recule alors un peu. Elle se dit, mais quelle force ce Blaine ! Elle n’a pas compris que Blaine était beaucoup plus malin que fort, il a aussi tout simplement versé de l’huile sur le sol et les pieds de l’affreuse dame glissent tout bêtement en arrière !
Blaine saute par dessus la table et plaque le monstre contre le mur, recule et admire le résultat : Madame Fil-de-Fer reste collée à la cloison comme prévu !

Dans l’embrasure de la porte se tient un homme. Blaine le regarde, lui sourit alors que la grosse cannibale hurle :

« Monsieur Patate, ne reste pas comme ça planté là , viens m’aider tout de suite ! »

En effet, monsieur Patate, le chéri de madame Fil-de-Fer, un homme maigre comme un clou, comme s’il ne mangeait jamais à sa faim semblait la contempler d’un air mêlé de regret et de soulagement. Il jette un œil à Blaine et lui dit avec un grand sourire :

« Tope-là mon garçon, c’était bien joué ! Bon allez, je retourne m’occuper du feu que j’ai allumé dehors pour le rôti de ce soir. Mais avant, on va préparer la gamine. Il te reste de l’huile d’olive ? On va laisser ta mère comme ça pendant qu’on dîne, il est grand temps qu’on puisse manger pour de bon sans qu’elle n’avale tout comme d’habitude ! Tu as vu comme tu es maigre ? »