Evelyne Trouillot : l’espoir
 

Un article publié dans le New York Times et repris dans Courrier international du 28 janvier.

"La famille campe chez mon frère. J’habite juste à côté, mais nous sommes plus rassurés d’être tous dans la même maison. Mon frère [l’écrivain Lyonel Trouillot] écrit ses articles, j’écris les miens. De temps en temps, une secousse nous oblige à arrêter et à sortir en courant, au cas où. Je me demande combien de temps encore nous allons devoir être aussi prudents, et j’attends avec impatience le retour à la normale.

Les rares stations de radio qui diffusent encore transmettent les messages des familles et amis plongés dans l’angoisse. Un père a fait tout le chemin depuis un petit village du Sud pour chercher ses deux filles. Malgré sa voix brisée, il réussit à prononcer leurs noms et à implorer que quelqu’un lui dise si elles sont vivantes. L’animateur répète rapidement le message, puis présente quelqu’un d’autre. Il y en a tant, une litanie de voix désespérées. Un lien profond unit tous les Haïtiens, quels que soient notre condition sociale, notre statut économique, nos croyances religieuses, ne serait-ce que parce que nous partageons les mêmes incertitudes, les mêmes craintes sur l’ampleur monstrueuse de la tâche qui nous attend. Même si le séisme nous rappelle notre destinée commune, il ne cache pas les inégalités qui divisent Haïti. Les disparités sociales et la misère noire de la majorité de la population ne peuvent pas s’envoler comme par magie avec la poussière. Mais peut-être que cette catastrophe constituera un nouveau départ. Peut-être que l’effort de reconstruction qui est maintenant si urgent contribuera aussi à résorber le fossé qui nous sépare.

Comme la plupart des gens ici, je ne regarde pas les informations. Nous ne pouvons pas faire grand-chose et, de toute façon, il me paraît futile, voire absurde, d’être spectatrice de ma propre vie, surtout lorsque les images télévisées n’insistent que sur la misère de notre pays. Nous sommes nombreux à nous offusquer de la couverture médiatique du séisme. Une fois de plus, une catastrophe naturelle sert de vitrine à la pauvreté et est prétexte à exagérer les scènes de violence qui sont monnaie courante dans ce type de catastrophe.

Non, je ne regarde pas les informations. Oui, je suis trop occupée à essayer de trouver un moyen d’entretenir la flamme de l’espoir, parce que la tâche qui nous attend est gigantesque. Et je suis occupée à recueillir les fragments de vie qui témoignent de l’immense courage et de l’extraordinaire résilience de notre peuple.

Je suis occupée à aimer la vie et mon pays."