Les origines africaines du vaudou

par Lilas Desquirons

Le Vodou d’Haïti est un syncrétisme, c’est à-dire une structure religieuse issue de l’assemblage d’éléments empruntés à plusieurs autres religions. En élaborant ce langage commun, au cœur même des plantations de Saint Domingue, les esclaves, mirent en lumière ce qu’il y avait de commun aux différentes ethnies brassées par le commerce négrier. L’origine dahoméenne du Vodou de même que les influences catholiques qui s’y sont greffées ont été maintes fois signalées. L’histoire de la traite nous apprend cependant que les sources africaines du Vodou sont loin d’avoir été explorées dans toute leur richesse : l’examen des origines ethniques des esclaves de Saint Domingue nous éclaire sur la genèse et sur la nature de la religion du peuple haïtien : il a fallu en effet que s’accomplisse une profonde synthèse entre les différents patrimoines traditionnels des tribus dont les représentants, parqués au hasard des plantations, se trouvaient pour la première fois soumis à un sort commun. Par delà la diversité des origines, s’est formée une religion qui témoigne d’une grande unité d’inspiration. En Haïti, il n’existe pas comme au Brésil de cultes séparés suivant les ethnies inspiratrices : le Vodou englobe et harmonise en une même structure les alluvions déposées en son sein par les cultures qui l’ont alimenté.

Malgré la variété du paysage ethnique de Saint Domingue, deux lignes de force dominent la composition des populations réduites en esclavage : d’une part les peuples de l’ancienne Côte des Esclaves et en particulier les Dahoméens, qui ont donné au Vodou son cadre général, sa structure ; d’autre part, les Bantou d’Afrique centrale qui ont recueilli cette impulsion fondamentale, l’ont enrichie et transformée, bref, ont été l’affluent le plus considérable de la source dahoméenne.

Le peuplement de Saint Domingue et la naissance du Vodou.

L’étude des origines ethniques des esclaves de la colonie française de Saint Domingue est la base indispensable de tout travail sur la physionomie culturelle du peuple haïtien actuel. Ces hommes, que la fièvre coloniale de l’Occident a arrachés à leur terre pour les plonger dans l’enfer esclavagiste, ont accompli le miracle de survivre et de donner une vie nouvelle à leurs coutumes, à leurs croyances, à leur culture. C’est par cet héritage pieusement conservé qu’aujourd’hui leurs descendants continuent à penser et à exister.

Les esclaves traités à la Côte des Esclaves sont désignés dans les registres du temps par plusieurs vocables dont celui d’Arada, « prononciation corrompue d’Ardra, nom de l’un des royaumes de la Côte des Esclaves. » Plusieurs groupes sont réunis sous ce vocable. L’histoire de la formation du Royaume du Dahomey nous apprend que les ethnies dont les prisonniers de guerre furent vendus aux négriers, vu la similitude de leurs cultures, se sont très aisément fondues en une seule entité : « sous cette expression on désignait les esclaves venant de l’est du Ghana actuel, du Togo et du Dahomey. Ils avaient presque tous été embarqués sur la côte de Juda, Wuyda ou Ouida de nos jours, et c’est leur communauté de langue (arada) qui, aux yeux des colons, faisait leur unité. »

Parmi les esclaves traités à Ouidah, il se trouvait peu de Fon. Les sujets du roi d’Abomey, en effet, ne pouvaient être vendus comme esclaves : « tout individu, au Dahomey, qui n’était ni noble ni esclave était anato (roturier)... parce qu’il était Danhoménou, une “chose du Dahomey“, personne ne pouvait le vendre comme esclave, pas même le roi ». Le roi essayait même le plus souvent de racheter ses sujets faits prisonniers par l’ennemi afin qu’ils ne fussent pas vendus aux négriers.
Il se trouvait cependant des Fon parmi les esclaves — mais il s’agissait alors de criminels ou de rebelles que le roi vendait au lieu de les tuer.
Par contre, les Gédévi (fils de Cédé) anciens habitants de la région furent vendus en bloc par les envahisseurs aux marchands d’esclaves et furent transportés en majorité, semble t il, en Haïti. Le culte de Cédé a en effet presque disparu à Abomey, tandis qu’en Haïti, c’est une famille de Vodun des plus importantes. Quatre de leurs vodun sont des divinités importantes du panthéon haïtien : Azaka, Agassou, Bossou, Dossou.

Les premiers esclaves traités à Saint Domingue, Ouolof, Toucouleur, Peul, Mandingue, Bambara avaient été achetés à Saint Louis au Sénégal. Très appréciés par les colons ils ne furent jamais à Saint Domingue qu’en nombre restreint, tenus pour de véritables « produits de luxe » que les grands planteurs s’offraient à prix d’or. Ces esclaves étaient en général islamisés. Disons tout de suite, puisque nous n’y reviendrons plus, qu’ils ont laissé des traces dans le Vodou haïtien : « Certains groupes de Loas proches des Congos et des Pétros parlent un langage où se retrouvent des mots, des phrases arabes, ainsi : « Salam ! Salam Malékoum ! Salay ! Salam ma Salay ! ». (Loas dits « Loas Sinégal ») . »

A partir de 1777 commence à Saint Domingue l’âge d’or des Congos. Ils arrivent très nombreux, car dans les vingt dernières années de la traite, les grandes cannaies atteignaient leur plein épanouissement. « On plaçait sous ce nom les esclaves traités au sud du Bénin, sur les rivages du Cameroun, de la Guinée espagnole et d’une partie de l’Angola. Quand il s’agissait de vrais congolais, on parlait de francs Congos. »
Beaucoup de Congo arrivent baptisés en Amérique : « Il y a beaucoup de Congos qui ont des idées de catholicité, notamment ceux de la rivière Zaïre. Elles leur sont venues des Portugais ». Les Congos du Brésil seront eux aussi christianisés et joueront un rôle actif dans le syncrétisme des religions d’Afrique Occidentale avec le catholicisme . Il en fut certainement de même à Saint Domingue.

Face au vide laissé par l’arrachement à la terre originelle, les esclaves durent se trouver un langage commun, se redéfinir en tant que groupe homogène. Ce trait est encore plus évident en Haïti qu’au Brésil : et c’est bien pour cela qu’en Haïti eut lieu la seule révolte d’esclaves au monde qui ait réussi. Demeure encore au Brésil un clivage assez net entre différents rites ethniques : en Haïti, tous les rituels se sont fondus au sein d’une seule et même religion qui reste pour le peuple haïtien le facteur d’unité le plus puissant.

La culture africaine, grâce à son rôle équilibrant, a permis l’assimilation de nouvelles valeurs, a donné un contenu aux nouvelles solidarités et a permis à une nouvelle classe sociale de naître et de se définir dans une perspective libératrice. Elle a dû pour cela, tout en restant elle même, se transformer face aux exigences de la société coloniale esclavagiste. « Bref, la culture africaine cesse d’être la culture communautaire d’une société globale, pour devenir la culture exclusive d’une classe sociale d’un unique groupe de la société (coloniale), celle d’un groupe exploité économiquement et subordonné socialement ». Cette solidarité dans le malheur commun fût le ferment essentiel de l’élaboration d’un même climat culturel, plus qu’une religion, destiné à satisfaire aux exigences de tous le Vaudou.

Les sources historiques du Vodou : Le Dahomey

Le Vodou haïtien est le produit d’un double syncrétisme : le premier s’est accompli entre les différentes cultures africaines ; le deuxième a eu lieu entre ces différentes cultures africaines et la culture occidentale.

L’harmonisation des différents systèmes religieux africains n’a été possible, n’a pu s’accomplir avec une si étonnante souplesse que parce que les tribus d’Afrique occidentale en présence à Saint-Domingue, initiatrices du Vodou, avaient une très vieille pratique de ce genre de démarche.

Costume de Revenant Egungun
Bénin, milieu du XX° siècle,
Galerie Noir d’Ivoire, Paris

La Côte des Esclaves qui alimenta longtemps Saint Domingue en main d’œuvre, était une région à « histoire chaude » : la mémoire des groupes culturels qui formèrent le royaume du Dahomey est hantée par la guerre, les conquêtes, les migrations. Ce mouvement continuel de populations la transforma en creuset bien avant l’arrivée des marchands d’esclaves européens. Ceux ci ne firent qu’ajouter une motivation de plus à la guerre de conquête commencée par les rois du Dahomey dès le XVIème siècle. La religion a toujours joué au cours de l’histoire un rôle intégrateur : c’est en accueillant les dieux vaincus que les rois du Dahomey intégraient leurs fidèles : les populations du Dahomey avaient aussi l’habitude de voir le roi « acheter » les divinités qui servaient sa politique ou les intérêts de son royaume.

Pour mettre ce processus d’agrégation en lumière, la méthode la plus simple était celle suggérée par Le Hérissé : suivre la migration des Aladahonou, ancêtres des rois du Dahomey, petit groupe de scissionnaires Aja qui, par la force des armes, édifièrent l’un des royaumes les plus forts d’Afrique. « On le voit d’abord, horde proscrite, se fixer au milieu de tribus étrangères, s’y créer des alliances, puis, à l’abri de celles ci et par la force et par la ruse, s’étendre comme une tache d’huile, autour du point où il est venu s’échouer. Bientôt, ayant absorbé ses voisins, il dépasse leurs frontières naturelles, fonde un empire... »

Cette fraction de la tribu Aja abandonna Tado (Sado) sa ville d’origine à la suite d’une querelle. Les dissidents étaient dans une telle colère, dit-on, qu’ils ne voulurent plus rien avoir en commun avec ceux qu’ils quittaient. Ils créèrent alors leur propre vodoun, un vodoun qui devait symboliser à la fois leur exode et un nouveau culte des ancêtres. Ainsi naquit Ayizan : « pour marquer le jour de notre départ vers l’inconnu, nous instituons l’Ayizâ, et nous l’adorons désormais

C’est également à cette époque que la figure d’Agassou prit toute son importance. Selon la légende, un monstre demi homme demi fauve était né des amours d’une femme de la tribu des Adjas et d’une panthère, qui eut lui-même un fils dont la lignée adora la panthère fabuleuse, sous le nom d’Agassou — ligné qui essaya de supplanter les gens de Sado dans le commandement de la tribu. Le complot découvert, celle-ci dut fuir, après une lutte au cours de laquelle le roi de Sado périt.

Dès lors, en exil, elle ne rendit plus de culte à leur Ako Vodoun et ne reconnut que leur hënnou vodoun (hënnou : clan), Agassou, « fondateur miraculeux de leur branche familiale. » Ils arrivèrent à Allada, s’y fixèrent et s’y développèrent au point de supplanter les populations autochtones et prirent le nom d’Agassouvi Allada Sadonou.

Plusieurs générations s’écoulèrent, une nouvelle querelle de succession divisa les fils d’Agassou : une branche partit vers Porto Novo où elle donna naissance à une royauté puissante, l’autre partit vers le plateau d’Abomey et se donna le nom d’Aladahonou. La légende dit qu’elle confia à un parent la royauté d’Allada. Les rois d’Abomey considéreront dans l’avenir Allada comme leur berceau, leur lieu d’origine.

Les Aladahonou s’établirent à OuaOué, où le culte d’Agassou prit une nouvelle dimension : il fut imposé à la population autochtone et en retour les fils d’Agassou adoptèrent le vodoun de OuaOué auquel la famille royale du Dahomey rendit toujours un culte public.

Le premier grand roi des Aladahonou, Dako, fut installé à OuaOué (±1625). C’est lui qui inaugura l’ère des grandes conquêtes. A son arrivée sur le trône, le versant est du plateau d’Abomey avait à peu près accepté la tutelle des Aladahonou. L’unification ne se fit pas trop péniblement. C’est à cette époque que Ghédé fut installé de manière définitive dans le panthéon. C’est probablement aussi pendant cette période d’expansion que les Dahoméens firent con¬naissance avec Dan Aïdo Hwèdo, « le serpent arc en ciel, qui est aussi un vodun Mahi , particulier à là tribu des Djinou (gens d’en haut, tombés du ciel) .

Les rois qui succédèrent à Dako achevèrent d’assurer la maîtrise des Aladahonou sur le plateau d’Abomey. Leur successeur Agadja (1708 1728), fort de cette assise, ouvrit la route vers le littoral et conquit le royaume de Savi. C’est à l’occasion de cette conquête que le culte de Dangbé, le serpent de Ouidah, entra dans la religion dahoméenne : « Agadja, vainqueur d’un pays où on l’honorait, voulut se ménager sa faveur. Il l’acheta et le fit connaître au Dahomey. »

La conquête de Savi ouvre une ère nouvelle pour le Dahomey : celle des contacts avec les négriers européens, avec le commerce de traite et celle des sacrifices humains, destinés à renforcer la grandeur des rois. La physionomie de la guerre changea « à part leur lutte pour la mainmise sur les dernières tribus restées autonomes, leurs entreprises n’eurent plus d’autre mobile que le pillage. »

Sous le règne d’Agadja les Dahoméens firent l’acquisition d’une famille de vodoun qui devint le panthéon le plus populaire du Dahomey. « Le roi envoya des hommes de confiance chez les Dassas, qu’il savait honorer Sakpata. Ils en revinrent avec les connaissances nécessaires pour établir au Dahomey le culte du « vôdoun » redoutable. »

Tegbessou, qui succéda à Agadja, introduisit dans son royaume deux cultes importants : ceux de Mawy Lisa et de Hevioso. « Le culte de Mawu Lisa fut apporté à Abomey par Hwâjele, mère du roi Tegbesou pour mettre fin à une querelle de succession. » (Hwandjele, « forte comme un homme » semble avoir exercé de par son rôle de prêtresse du culte des dieux du ciel, un véritable pouvoir de fascination sur les sujets de son fils. On la retrouve en Haïti sous le nom de Ouan Guilé, lôa d’une énergie particulière). Pour asseoir l’autorité de son fils, compromise par un autre prétendant au trône, elle se rendit à Ajahomé, son pays natal, chercher le couple céleste. Elle installa leur culte à Abomey et s’en fit la prêtresse.

Hevioso fut introduit par Tegbessou à la suite d’une longue sécheresse. Il fit tomber la pluie. La légende ajoute que, profitant des grands pouvoirs de ce prêtre, il fit installer en même temps « le vodun Akolombe qu’il avait ramené de Djekin qu’il venait de casser. Il posa Bade, également ramené de Djekin. »

L’essentiel du panthéon Dahoméen se trouvait alors constitué. Dans les temps qui suivirent, le culte se structura, les cosmogonies acquirent de la cohérence. De nouvelles divinités continuèrent à arriver suivant le même processus mais il s’agit de divinités mineures.

Partie d’une pensée religieuse commune aux populations de son territoire d’expansion la religion dahoméenne s’est donc peu à peu enrichie de vodoun nouveaux, par la conquête, par les alliances royales, par achats pragmatiques. Cependant ses concepts clé viennent des peuples Nago . Leur influence, faite par vagues successives de migrations, est impossible à situer dans le temps, mais elle est capitale tant au niveau de la théorie religieuse qu’au niveau du panthéon.

Il y a d’abord les vodoun dont l’origine Nago est connue de la population, tel Legba, le tricheur divin, qui est sans conteste le personnage surnaturel le plus proche de la vie quotidienne des Dahoméens, ou Ogoun, dont les Dahoméens ont fait GU, personnage divin très abstrait, non anthropomorphe. Puis il y a des vodoun Nago qui sont parvenus au Dahomey par l’intermédiaire d’autres relais ethniques : ainsi, comme nous l’avons vu, Sakpata. Quant à Mawu et Lisa, Pierre Verger affirme qu’ils « ont chez les Fon le même rôle que Osala et Ye Mowo dont ils portent les noms déformés ».

Le processus par lequel s’est formé, s’est restructuré le Vodou haïtien, pour s’adapter à sa situation nouvelle est bien le prolongement logique de ce dynamisme religieux qui a créé l’empire du Dahomey et en a fait, à partir d’une mosaïque ethnique très variée, un ensemble culturel unifié.

Nous verrons plus loin que le Vodou s’est formé selon des lois rigoureuses ; rien n’est dû au hasard dans l’élaboration de cet instrument compliqué et parfaitement efficace, ni le choix des dieux, ni celui des concepts. Son dynamisme et sa souplesse ne sont pas des aspects accidentels dont les effets se seraient limités dans le temps, à l’époque de la création d’une religion qui se serait figée par la suite. Il s’agit plutôt de traits structurels, car le Vodou n’est pas une chose morte, il continue à vivre sa vie propre et à se transformer pour mieux répondre aux exigences vitales du peuple haïtien. Le tragique de la vie du paysan des mornes et du citadin des bidonvilles s’exprime dans le caractère angoissant de cette création continuelle : seul le Vodou apporte une réponse satisfaisante et des raisons de vivre à ce peuple livré à une vie inhumaine par des dirigeants irresponsables, depuis l’époque lointaine de l’arrachement à l’Afrique.

Le Panthéon dahoméen.

Nous avons vu comme le royaume du Dahomey, au fur et à mesure de sa formation annexa les vodoun des peuples conquis. Les rois et le clergé d’Abomey s’attachèrent à centraliser ces éléments disparates en une synthèse nouvelle. Il demeura certes des variantes locales, chaque vodoun restant prépondérant dans son pays d’origine, mais on peut parler du culte de ces grands dieux comme d’une tentative de « religion d’Etat » par opposition aux aspects strictement familiaux ou même individuels de la religion dahoméenne.

La classification proposée par Herskovits présente l’avantage d’être simple, claire, cohérente. De plus, elle présente une analogie structurelle avec le Vodou haïtien qui ne nous a pas semblé fortuite. D’après cette classification, les cultes publics se divisent en trois grands panthéons autonomes mais qui se cherchent sans cesse des points de contact : au premier rang, le Panthéon des dieux du ciel, puis vient celui des dieux de la terre et enfin celui des dieux du tonnerre qui contrôlent le tonnerre et la mer.

Le panthéon Céleste.

Le culte des dieux du ciel, est celui qui au Dahomey recueille le plus faible nombre d’adeptes. Il n’en occupe pas moins le tout premier rang de la hiérarchie religieuse, son rituel est le plus sophistiqué et semble particulièrement ésotérique. Il a été institué officiellement par la mère du roi Tegbesou (1728 1775). Sa liaison avec la famille royale lui donnait, et à lui seul, droit à des sacrifices humains.

A la tête du panthéon céleste se trouve une divinité à la personnalité mal définie : Mawu Lisa, considérée par le peuple parfois comme un personnage androgyne, parfois comme deux individualités distinctes. Pour les prêtres, l’équivoque n’existe pas : le monde a été créé non par Mawu Lisa, mais par un dieu hermaphrodite, Nana Buluku.
Mawu et Lisa sont des jumeaux nés de ce personnage androgyne qui se féconde lui même. Le commandement du monde est confié aux jumeaux.
Mawu, la femme, a pour domaine la nuit, elle gouverne la lune. Le peuple la préfère à son frère époux car, plus âgée elle est aussi plus clémente, plus sage, plus douce. La nuit qui est son royaume est le temps du repos, de la fraîcheur, des rapprochements.
Lisa, l’homme, a le jour pour royaume. Son élément est le soleil. Vif, rude il est associé à l’effort, car le jour est le temps du travail. Lisa a eu, au début du séjour de l’Homme sur la terre, à accomplir en association avec Cu, un travail civilisateur : ils ont appris à l’homme l’agriculture et le système des clans et lignages.
La majorité des Dahoméens ne connaissent que Mawu Lisa. Nana Buluku est une divinité trop ancienne pour avoir un impact dans la vie quotidienne. Elle possède cependant à Dume (N.O. d’Abomey) un petit sanctuaire particulièrement sacré on n’y peut pénétrer sans appartenir à la très haute hiérarchie religieuse le seul au Dahomey qui lui soit consacré en propre.
Le deuxième personnage du panthéon céleste est Gu, dieu du fer et des forgerons. Gu est un civilisateur, c’est lui qui a rendu la terre habitable aux hommes et son œuvre n’aura jamais de fin. Il est devenu dans le Dahomey moderne, le protecteur des chauffeurs et des mécaniciens. C’est le Vodoun du progrès, le symbole de l’intelligence agissante de l’homme. Symbole, car Gu au Dahomey, n’est pas un être anthropomorphe. C’est une force ; il n’est pas le fer, mais ce pouvoir qu’a le fer de couper, de défricher, de tuer. Il a un corps de pierre, sa tête est une épée. Civilisateur et guerrier, il est la puissance, la force de Mawu. Mawu s’est servi de Gu pour aménager l’univers.

Le Panthéon terrestre

Pour les prêtres de Sagpata, Mawu Lisa est une figure Janus. La face femelle est Mawu et ses yeux sont la lune. Elle gouverne la nuit. La face mâle est Lisa dont les yeux sont le soleil et qui a pour domaine le jour.
Les enfants de Mawu Lisa sont les principaux vodoun de la terre - le couple céleste est ainsi repris comme géniteur des vodoun terrestres. Les aînés de ses enfants, Dada Zodji et Nyawé Ananu, sont des jumeaux de sexes différents. Ils représentent Sagbata et sont chargés du gouvernement de la terre. Ensuite vient Sô, ou Sogbo, androgyne comme son géniteur Mawu Lisa ; il reste au ciel près de lui. D’après les prêtres de Sagbata, il a donné naissance aux dieux du panthéon du tonnerre (Sô=Hévioso). Le panthéon du tonnerre est donc le cadet du panthéon de la terre. Sagbata est d’ailleurs dépendant de son cadet Sogbo, car, si la domination de la terre lui est acquise, il ne peut rien sans Sogbo « son petit frère du ciel » qui est le maître de la pluie. Cette situation est fort mal ressentie par les vodoun de la terre. Il existe une tension permanente entre les deux clans qui se manifeste dans les multiples épisodes d’une grande querelle (toujours alimentée par Legba !) et « qui n’aura jamais de fin ». Viennent ensuite les jumeaux Agbé et Naété dont le domaine est la mer (Agbé est probablement devenu Agoué, loa de la mer en Haïti) puis Cu, Vodoun du fer, puis Agê, le chasseur, Djo, l’air, le souffle, la vie, et enfin Legba dans son rôle d’ambassadeur et d’interprète. Chaque dieu parle une langue incompréhensible pour ceux des autres panthéons. Legba est le seul à les connaître toutes, en plus de celle des hommes. Il est donc le « linguiste des dieux » et l’envoyé de Mawu.

Le Panthéon du tonnerre

Le nom générique de ce panthéon est Hevioso. Comme Sakpata, Hevioso désigne une famille de dieux et ne renvoie à aucun personnage indivi¬dualisé. Au Dahomey, Hevioso est constitué par la réunion de 2 groupes de vodoun aux caractéristiques très différentes : un premier groupe dont la vocation justicière s’exerce par la foudre, et un second groupe lié à la mer, source de toutes les eaux, car d’elle vient la pluie. Les prêtres d’Hevioso tentent de mettre un peu de cohérence dans cette situation étrange. Par l’artifice d’un raisonnement analogique, ils ramènent leur cosmogonie un modèle calqué sur celui des théologiens prestigieux du panthéon céleste, se replaçant ainsi prudemment sur un terrain connu. D’où le mythe suivant : « Il y a un dieu qui commande tout : Mawu qui créa le monde. On l’appelle aussi par d’autres noms. Chez les serviteurs d’Hevioso, son nom est Sogbo. Dès lors, Sogbo est le plus grand des dieux. Son fils Agbé (qui est assimilé à Lisa. Une tradition présente aussi en effet Lisa non plus comme le frère époux de Mawu mais comme son fils) exerce un contrôle sur ce qui se passe dans le monde sensible. Sogbo a assigné à Agbé la mer pour résidence. Sogbo ne s’occupe plus des affaires du monde qu’il a créé ; ce monde des hommes et des animaux est trop dérisoire. Son domaine est l’immense royaume du ciel. » Les prêtres de Mawu Lisa repoussent catégoriquement cette version de leurs théories. Encore « une querelle qui n’aura pas de fin »...

Jumeaux, Togo début du XX° siècle
Galerie Noir d’Ivoire, Paris

Sogbo, Agbê et Badé, la voix la plus formidable du tonnerre, le sorcier maléfique, sont parvenus en Haïti. Au Dahomey, Badé commande à Aïdo Wédo le serpent arc en ciel qui transporte l’éclair meurtrier sur la terre.

Nous verrons en Haïti un phénomène étrange : les panthéons, en tant que famille de dieux dominant les éléments naturels, disparaissent. Chaque dieu transplanté à Saint Domingue garde ses attributions, mais de manière individuelle. Cependant, le chiffre 3, chiffre qui domine tout l’ésotérisme dahoméen, domine aussi l’espace religieux haïtien ; il y aura ainsi 3 panthéons dans le Vodou haitien, mais qui portent les noms des 3 grandes classes ethniques de la colonie : le panthéon Rada pour les dieux dahoméens et Yorouba, le panthéon Congo où l’influence des Bantou est plus nette et le panthéon Pétro, d’élaboration créole. Tous les éléments légués par les autres peuples seront intégrés dans ces grandes catégories.

Une religion monothéiste ?

La littérature ethnologique qui a précédé Herkovits (Bosman, Skertchly Burton) fait état de la croyance des Dahoméens dans un dieu créateur omnipotent qui, une fois son œuvre accomplie, se serait retiré, livrant le monde à des divinités subalternes. De là à l’affirmation suivant laquelle la religion dahoméenne serait monothéiste, il n’y avait qu’un pas que franchirent les missionnaires et les ethnologues catholiques.

Cependant la distance est grande entre Mawu et le Dieu éternel des Judéo Chrétiens. Mawu est une créature ; avant elle a existé un être qui l’a créée. La seule étape explicite formulée par la pensée mythologique avant Mawu est Nana Buluku. Le refus d’accepter une origine première à toute existence, caractéristique de la pensée religieuse dahoméenne, amène les théologiens à affirmer que Nana Buluku est elle même le produit d’une création et qu’il y a eu une multitude de Mawu.

Il est cependant légitime de se demander si sa conception hiérarchisée du monde ne conduit pas le Dahoméen à considérer un personnage divin qui, par l’étendue de ses pouvoirs, et l’absolue nécessité de sa présence comme condition de l’ordre, relègue les autres divinités au rang d’inférieurs. Infériorité qui tendrait à ne leur laisser que certains pouvoirs limités et spécialisés, et qui excluerait en eux l’essence divine transcendante, celle ci restant l’apanage de Mawu . Il serait alors plus facile de comprendre qu’en Haïti, l’identification de Mawu avec le « Bon Dieu » des chrétiens se soit opérée sans grande difficulté.

Les cultes personnels.

Il existe dans la religion dahoméenne des vodoun qui, sans appartenir à un panthéon déterminé sont présents dans tous les rituels. Il s’agit ou bien de divinités personnalisées comme Legba ou bien de principes plus abstraits comme Dan ou Fa. Ce qui crée une parenté entre ces différents vodoun, c’est leur richesse philosophique et le caractère indispensable des notions qu’ils incarnent dans la cosmologie dahoméenne. Chaque chef de famille doit prendre en charge les obligations du lignage vis à vis de ces divinités, c’est pourquoi Herskovits les range sous la rubrique « Cultes personnels ».

1- Dan

Dan est un principe divin complexe dont les avatars sont multiples. Premier trait évident, il est associé au serpent, mais il est plus qu’un serpent, il est la qualité de ce qui est vivant, exprimée par toutes les choses flexibles, sinueuses, humides, par tout ce qui rampe, se plie, se déplie, n’a pas de jambes : l’arc en ciel, la fumée, le cordon ombilical, les racines, les nerfs, le sexe de l’homme sont des choses Dan. Dan est la vie, Mawu la pensée : « Les nerfs de mon corps sont Dan. Dan est la qualité qui fait de moi un homme . »

Dan représente le caractère aléatoire de la vie, la mémoire dans ce qu’elle a à la fois de fluctuant, d’insaisissable et de permanent. Ses principales manifestations sont Aïdo wèdo et Danba dawèdo.

Nous avons rencontré Aïdo wèdo dans le culte des grands dieux. Il est d’abord ce personnage-synthèse qui exprime la négation du commencement absolu, l’idée d’une succession infinie de mondes et de créateurs dont l’homme a perdu le souvenir, mais qu’il se doit d’honorer avec le plus grand soin. Symbole de la mémoire des fidèles, mais aussi marque de la faiblesse de cette mémoire.

Couple emmailloté et lié, Togo début du XX°siècle
Galerie Noir d’Ivoire, Paris

Dambada wèdo joue le même rôle dans le culte des ancêtres : il est le souvenir du clan, l’incarnation des parents puissants mais trop anciens pour vivre encore individuellement dans la mémoire de leurs descendants. Grâce à Dambada wèdo, le clan peut leur rendre un culte collectif.

Dan est la continuité, on le représente souvent comme un serpent qui se mord la queue : la continuité du temps religieux, du temps biologique (le sperme est l’eau de Dan, le cordon ombilical est Dan) , de la présence matérielle du clan puisqu’il donne argent et prestige (Dan est créateur de métaux).

On comprendra dès lors le grand attachement de ceux qui seront exilés loin de leur terre, pour ces divinités archives, véritables piliers de la structure générale de l’espace religieux, expression privilégiée du passé, de la tradition, même quand elle a échappé à la conscience.

Dan est encore la fortune dans ce qu’elle a d’aléatoire, de capricieux, et cet aspect de sa personnalité nous renvoie encore à A:ido Wèdo, le plus ancien de ses avatars. Aido Wèdo a une double nature (on le représente dans les sanctuaires par un couple de pots) : femelle, elle est le serpent arc en ciel qui fait la liaison entre le tonnerre et la mer, puisqu’elle transporte les éclairs d’Hévioso dans sa gueule que c’est à la source de l’arc en ciel que se trouve le précieux métal. Mâle, Aido-Wèdo est ce grand serpent qui, lové autour de la terre, l’empêche de se désagréger. C’est lui le dépositaire de la puissance de tous les créateurs oubliés :

Dan a des incarnations plus modestes : chaque mâle, chef de famille, reçoit son kpoli Dan (âme de Dan) et son go Dan (celui du cordon ombilical), après une initiation conduite par le dano, prêtre de Dan. Puis viennent le Dan qui assure la fortune du village, le to-Dan, et le henou Dan qui représente les ancêtres prestigieux connus.

Tous ces Dan sont liés à la lutte de l’homme et du clan pour l’argent, le prestige. La compétition entre les différents Dan individuels est à l’image de celle que se font entre eux les hommes pour se dominer l’un l’autre.

2- Legba et Fa.

Couple de statues Botchio, Bénin, début du XX° siècle
Galerie Noir d’Ivoire, Paris

Legba et Fa sont des divinités étroitement liées dans leurs rapports avec les hommes : Fa est l’Ordre, la Parole de Mawu, le Destin du monde et de l’homme, dans ce qu’il a d’inexorable ; Legba est la personnification de l’accident dans le monde, il est le moyen pour l’homme, d’échapper à son destin, de tricher ; il est la colère des dieux, la colère de l’homme, cette impulsion qui a pour siège le nombril et que l’homme se doit d’apaiser (Legba est le « maître du nombril »)

Fa et Legba sont des compagnons médiateurs entre les dieux et les hommes : Fa est le principe de la certitude et de la prédiction ; à l’opposé, Legba provoque volontairement contestation et désordre, il est le principe de l’incertitude. Legba pousse les hommes à offenser les dieux, Fa leur apprend le moyen de se réconcilier. L’existence de l’un est nécessaire à celle de l’autre. Leur relation est un exemple frappant de dualisme équilibré : il est nécessaire que l’ordre soit rompu pour le renouveau et le changement de la vie. Le conflit est valorisé et considéré comme constructif. On ne le supprime pas et l’équilibre s’installe dans la dialectique des oppositions.

Legba est craint, c’est un « tricheur » qu’il est indispensable de se concilier pour échapper à ses mauvais tours ; mais on a pour lui une immense affection : il est capable du meilleur comme du pire. Il déjoue surtout les pièges que les dieux tendent aux hommes. En tant que messager et linguiste des dieux on lui offre d’abord et toujours un sacrifice avant de s’adresser à eux : Tous les grands couvents initiatiques possèdent un Legba, un danseur voué à Legba. L’affection que lui portent les Dahoméens est pleine de sympathie indulgente car Legba c’est l’humour, la truculence, la sexualité débridée (la sexualité désordre car Legba est stérile). Il est le vagabond, celui qui n’a ni temple ni prêtre. On le place hors des maisons dont il garde l’entrée, aux carrefours, (car Legba, toujours sur les roues, porte le titre de « Maître des carrefours »), dans les marchés, lieux de disputes et de controverses.

Tous les Dahoméens lui rendent un culte individuel qui n’exige aucune initiation : chaque chef de famille possède son Legba (une effigie de terre) qui garde sa maison et à qui il offre des sacrifices en cas de troubles. La liaison qui existe entre Legba et l’homme est bien plus intime que des rapports de gardien à protégé : Legba fait en quelque sorte partie intégrante de l’homme, puisqu’il est tout ce qui dans l’être humain met en question l’ordre social.

Par un curieux revirement, Legba est devenu, en Haïti, un personnage éminemment respectable : il a perdu sa truculence, son caractère fondamentalement perturbateur pour se transformer en un très vieil homme, perclus de rhumatismes, frigide , entouré par l’immense déférence de ses fidèles. Il est resté cependant le messager des dieux, le maître des carrefours, celui qui ouvre toutes les barrières, que l’on invoque le premier, et qui inaugure les cérémonies.

Fa « n’est pas une force naturelle, il est la sollicitude de Dieu pour sa création. Exempt des passions aveugles des vodu, il rejoint encore l’inhumain en refusant de se soumettre aux hommes : une bonne consultation ne s’achète pas » . Le livre de Fa, le « système d’écriture du créateur », a été révélé à l’homme par Mawu grâce à Legba, pour permettre à l’homme de se, protéger contre les caprices des vodoun : « Mawu, dit le Dahoméen, a pour souci principal les êtres vivants ; la preuve en est qu’Elle leur a révélé le système de Fa qui interprète pour les hommes ce qui a mis les dieux en colère et comment ils peuvent être apaisés

Il est très important pour chaque homme responsable, ayant charge d’âmes, de maîtriser son destin. L’initiation au culte de Fa, conduite par le bokono (devin, prêtre de Fa), assure à toute sa famille et à lui même une vie harmonieuse. Mais le chef de famille seul aura droit à une quatrième âme, le Sek poli, et « cette âme qui reste au ciel pour veiller sur les innombrables calebasses qui contiennent son avenir . »

Le mode de divination le plus suivi avant l’importation de Fa, était Bo : « Bo était un dieu, mais personne ne peut dire au juste d’où il est venu, ni à quelle époque. On le considère comme très ancien, antérieur même à l’arrivée des Aja sur le plateau d’Abomey et l’on a gardé sa mémoire dans certaines localités où des hommes lui rendent un culte . »

Or le roi (Agadja) « qui haïssait ce Gbo parce qu’il permettait trop d’alliances contre lui, cherchait quelque chose qui fut vraiment une chose des dieux » pour le remplacer . Il trouva Fa, introduit à Abomey par des marchands Yorouba, et entreprit d’instaurer son culte parmi le peuple. Le roi eut à vaincre une sérieuse résistance pour abolir les vieilles habitudes, et c’est certainement pour accélérer le processus qu’il vendit aux négriers tous les spécialistes de Bo — lesquels se retrouvèrent en Haïti.

Ces très vieilles pratiques quasi disparues au Dahomey sont extraordinairement vivantes en Haïti. La traite les a tout simplement arrachées à leur terre d’origine et transplantées intactes en Haïti. Le « Rélé loa nâ govi » (appel du loa dans une cruche ) ou le « Rélé mô nâ dlo » (appel du mort dans l’eau constituent un mode de divination extrêmement courant en Haïti. Et il s’agit de l’exacte reproduction de la divination Bo. Par ce moyen, on entre en contact non seulement avec les parents morts, comme au Dahomey, mais aussi avec les dieux eux mêmes qui prophétisent, donnent des conseils.

L’Afrique Centrale

Statue avec deux enfants et rang de cadenas. Bénin, 2nde moitié du XX°siècle.
Galerie Noir d’Ivoire, Paris

Abordons à présent l’examen de la deuxième source historique du Vodou : l’Afrique bantoue.
Une chose semble certaine, c’est que les Bantou n’ont pas modifié la structure religieuse dahoméenne : ils l’ont adoptée en l’enrichissant d’éléments nouveaux et parfois en la réinterprétant d’après leur propre culture. Deux facteurs ont contribué à cette assimilation des Kongo aux Arada.

Ce que l’on pourrait appeler le « snobisme de la créolisation », phénomène constaté dans toutes les colonies alimentées par la traite : il se créait sur les plantations un personnage nouveau, le Créole, c’est à-dire l’hybride culturel. Un groupe fermé se constituait avec ses lois strictes, son étiquette, sa morale, ses sanctions. Les nouveaux débarqués ne rentraient pas de plain pied dans le groupe d’accueil ; les anciens se moquaient d’eux, les traitaient de « bossales » (barbares !). Pour avoir accès à ce monde où ils devront vivre désormais, les nouveaux esclaves devaient se conformer aux valeurs qui y avaient cours. Les colons signalent par exemple le baptême comme premier rite de passage exigé : « Comme les nègres créoles prétendent à cause du baptême qu’ils ont reçu à une grande supériorité sur tous les nègres arrivant d’Afrique, et qu’on désigne sous le nom de Bossals, les Africains qu’on apostrophe en les appelant chevaux sont très empressés à se faire baptiser . » L’accès aux cérémonies vodou se faisait par la suite graduellement. Bien souvent les Kongo qui débarquaient dans les colonies avaient déjà été baptisés, en série, sur les rives du Zaïre, leur créolisation se faisait donc par l’unique biais de la religion Arada.

Les seuls rites collectifs que l’on retrouve chez les Bakongo sont des rites liés au groupe clanique. Il n’existe pas de vie religieuse possible hors du clan. Les clans éclatés, il fallait trouver une nouvelle structure permettant à la liaison avec l’au delà de se rétablir : il existait dans la colonie un cadre collectif à la vie religieuse, dont la voie d’accès n’était plus la naissance mais l’initiation, la religion dahoméenne. Le faste des cérémonies, leur grande théâtralité, la personnalité des grands dieux, le privilège de la transe achevèrent sans doute de fasciner ces hommes et ces femmes qui avaient un vide culturel crucial à combler.

La conception de l’âme chez les Bakongo.

Nous retrouvons chez les Bakongo une conception pluraliste de la personnalité. Cette croyance va contribuer à une fusion des deux conceptions de l’Homme dahoméenne et kongo dans le Vodou haïtien. Pour les Bakongo, en effet, l’homme « se compose de quatre éléments : le corps (nitu), le sang (menga) qui contient l’âme (Moyo) et le Mfumu Kutu, espèce de double âme. Venant donner à l’être humain sa personnalité parfaite, le nom (zina) constitue l’homme “complet“ » .

C’est grâce à l’âme Moyo, nous dit Van Wing, « que l’homme vit sa vie. » "Cette âme résiste victorieusement à la mort et se retire Ku masa, à l’eau, que les Bakongo désignent d’une manière très caractéristique : Ku bazingila, c’est à dire « Là ou l’on vit . » L’eau est le monde des ancêtres. « Dans leur village, les ancêtres ont leurs maisons, leurs champs, ils ont de grandes richesses, des étoffes, de l’argent, du gibier, du vin de palme. Ce village est situé Ku masa, dans l’eau, du côté de la forêt, car la forêt se trouve près des rivières . »

Il existe donc un point commun entre la conception dahoméenne des âmes et de la mort et celle des Bakongo : une âme à la mort de l’homme entre en contact avec l’eau. Ce contact est transitoire chez les Dahoméens : l’eau est un élément de passage, un lieu où l’on récupère les âmes pour les déifier. Chez les Bakongo, l’eau est le séjour permanent du Moyo après la mort. L’eau jouera donc un rôle primordial dans le monde funéraire en Haïti. Si la mort du vodouisant haïtien s’inscrit très nettement dans un contexte dahoméen, une variante assez importante dans l’itinéraire post mortem de l’âme témoigne de l’influence des Bakongo : l’âme qui sera récupérée pour être divinisée, va directement sous l’eau où elle séjournera en attendant qu’on « la fasse lever ». Cette modification est très certainement due au bouleversement de la géographie religieuse ; il est beaucoup plus facile de rejoindre l’élément liquide omniprésent et qui pour les Kongo coïncide avec le monde des ancêtres que de gagner le monde des ancêtres du Dahomey qui se trouve quelque part en Afrique.

L’autre âme que Van Wing appelle « âme sensible », « principe de la perception sensible , le Mfumu Kutu, a pour siège l’oreille ; elle est « le Seigneur de l’Oreille. » Mais les Bakongo disent qu’elle est une « chose de Nzambi », qu’elle vient de Dieu. Cette âme présente une des caractéristiques de l’âme dahoméenne qui vient de Mawu.

La ressemblance ne s’arrête pas là : quand le Mfumu Kutu « entre dans l’enfant, il vient de loin ; lorsqu’il quitte le cadavre, il s’en va loin, Ku Katalukidi . » Autrement dit, elle vient de Dieu et s’en retourne à Dieu. Elle n’aura plus de contact avec les vivants après la mort de son propriétaire : « Quand Mfumu Kutu est parti définitivement, il n’en sera plus question . »

Les éléments pivots, les seuls clairement exprimés, de la conception de l’âme en Haïti, seront justement ceux qui coïncident à l’intérieur des philosophies des deux principaux groupes culturels en présence à Saint-Domingue : les Dahoméens et les Kongo. Ces deux points acquis, les seuls qui réalisent un accord unanime, la philosophie Vodou tombe dans la confusion quand elle doit se prononcer sur la nature, le rôle, la vocation des âmes de l’homme.

Le caractère initiatique du culte dahoméen, de même que la pratique de la transe ont profondément modelé la conception générale de l’homme chez l’Haïtien contemporain. Ainsi, la tête est le siège privilégié de la vie spirituelle (non pas le sang, ni le cœur, « centre vital de tout sang », comme chez les Bakongo) puisque c’est en elle que s’installera l’Esprit lors de la possession, c’est elle que l’initiation devra rendre « habitable » pour le dieu.

La personnalité du vodouisant restera une entité « ouverte » puisqu’à tout moment l’individu peut être choisi par le dieu pour être initié, c’est à dire pour être manipulé par des forces sacrées, jusqu’au plus profond de lui même, et devenir « cheval du dieu ». L’âme est à tout moment susceptible d’être transformée par l’adorcisme, libérée par l’exorcisme.

Cela dit, à l’intérieur de cette structure résolument héritée de l’Afrique Occidentale, nous constatons des analogies troublantes entre l’idée que le vodouisant haïtien se fait de la vie de l’une de ses âmes, et celle que se fait le Bakongo de l’activité de Kfumu Kutu : « La nuit, (le Mfurnu Kutu) erre par les campagnes, aussi le sommeil s’empare t il de l’homme ; le jour, s’il s’en va, l’homme tombe évanoui... Si le matin l’on éprouve quelque peine à éveiller quelqu’un, c’est que son Mfumu Kutu n’est pas revenu, il s’en est allé trop loin... Lorsque le Mfumu Kutu s’en est allé, son activité ne se ralentit pas mais elle est autre ; il se promène partout, il rencontre ce que l’on rencontre dans la nuit obscure... Tout cela , l’homme endormi s’en rend compte parfois : c’est le rêve .

Le « Gros Bon Ange », une des âmes du vodouisant haïtien, est "étroitement associé au corps qu’il ne quitte que pendant le sommeil pour aller vagabonder au loin. Ce qu’il voit et les aventures qui lui arrivent pendant ses randonnées nocturnes forment la matière de nos rêves. Quand au matin le « Gros Bon Ange » ne réintègre pas son enveloppe corporelle, la personne qui l’a perdu tombe dans une profonde léthargie . »

Kongo en Haïti

L’influence de la culture Kongo sur la mentalité générale de l’Haïtien contemporain est très subtile et beaucoup moins apparente en première analyse que celle exercée par les peuples d’Afrique Occidentale. En fait, ce qui caractérise la réalité syncrétique propre à Haïti, c’est qu’une religion d’inspiration « soudanaise » est vécue par une population en majorité d’origine bantoue.

Cérémonie d’initiation au bénin
© P. Verger

Cette situation curieuse a pour conséquence deux séries de faits. La vie profane du paysan haïtien est à bien des égards profondément marquée par les Bantou : par exemple toute l’imagination non religieuse s’exprime dans la tradition bantoue ; une multitude de « contes » profanes et de devinettes sont des traductions fidèles ou des transpositions de légendes et de devinettes Kongo. Quant à la vie religieuse, dominée à l’origine par des leaders venus d’Afrique Occidentale, on y retrouve de nombreuses traces de réinterprétations en termes de culture bantoue (place de certains dieux ancestraux rôle de la magie, etc ... ) mais aussi certains traits particulièrement vigoureux qui se sont insérés tels quels dans le cadre dahoméen.

Ainsi, le Mawu dahoméen, le Nzambi des Bantou et le Dieu catholique donnent sa physionomie propre au « Grand Maître », Dieu suprême des vodouisants : il est source de toute vie ; à la mort de ses créatures humaines, il récupère une de leurs âmes ; il est au dessus des Esprits auxquels s’adresse le culte (on ne lui rend aucun culte). Comme Nzambi il est législateur des règles morales, il punit les hommes quand ils les transgressent de leur vivant, mais ne récompense jamais.

Le culte des ancêtres des Bantou a disparu avec l’éclatement des groupes de parenté. Ce qui subsiste de religion familiale en Haïti est résolument dahoméen (présence des ancêtres dans des cruches transe), mais les Bakongo ont influencé ce nouveau culte des ancêtres : comme chez les Bantou, c’est le chef de famille qui officie et non plus un prêtre spécialisé comme au Dahomey.

De nombreux traits du rituel vodou sont typiquement Kongo : par exemple, l’utilisation de la poudre que l’on ne retrouve pas au Dahomey mais qui se pratique en Haïti dans les cérémonies dites « de rite Congo » ou de « rite Pétro » (le rite Pétro est un rite créole de forte inspiration Kongo) ; la forme des tambours utilisés lors des cérémonies Congo ou Pétro ; de nombreux pas de danse.

Mais le domaine où l’influence bantoue s’est exercée avec le plus de force reste la magie. La magie des Bantou s’est exprimée à l’intérieur comme à l’extérieur du cadre religieux dahoméen. La religion a récupéré la magie positive, bénéfique (curative esentiellement), laissant aux spécialistes non religieux et aux « prêtres maudits » la magie offensive (anti sociale) et les pratiques de protection en général.

La magie bantoue dans le Vodou.

Les Bakongo ont apportés au Vodou une importante catégorie d’esprits : les esprits de l’eau, les Bisimbi. En Afrique Centrale ces esprits aquatiques dominent un important secteur de la magie et entrent dans la composition de nombreux nkisi.

Chez les Bakongo, les rapports avec les esprits bisimbi sont des rapports individuels établis dans le secret. En Haïti, intégrés dans le culte collectif, ces esprits constituent une famille importante qui se manifeste comme les dieux dahoméens par la transe, qui a ses initiés. Ils gardent cependant les mêmes caractéristiques que les bisimbi Kongo : ce sont des esprits d’eau douce, de sources et de rivières. « Le sanctuaire des dieux Simbi est pourvu de petits autels sur lesquels on remarque des chromos de saints et de Mages » (Les trois Rois Mages sont assimilés à trois rois Kongo dont la mythologie haïtienne a gardé le souvenir), une lampe à huile d’olive, des « govi » (cruches) qui servent à les invoquer. Comme les Simbi sont des dieux guérisseurs, des « paquets » dits « paquets Simbi » sont aussi placés sur leurs tables autels . » Ces « paquets Simbi » sont la réplique exacte des nkisi Kongo. Les « paquets » sont des talismans thérapeutiques qui contiennent des matières végétales et minérales : encens, poudre à canon, écorces, tiges, vivres, feuilles desséchées (dont la feuille dite « trois paroles » allophys occidentalis indispensable pour toute cure parce que sans elle on ne peut obtenir la protection du Père, du Fils et du Saint Esprit), le tout pulvérisé et mêlé à une pâte tirée des animaux sacrifiés. On prépare les « paquets » au cours d’une cérémonie faite en l’honneur d’un loa guérisseur. Au moment de la nouvelle lune, on les attache et les enveloppe de satin ou de soie aux couleurs consacrées aux dieux intéressés. Ils sont ensuite parfumés et déposés dans des assiettes de faïence blanche ou dans des sortes de gourdes en terre cuite. Les « paquets mâles » sont confectionnés par les hougan (prêtres) et les « paquets femelles » par les mambo (prêtresses).

Comme les Simbi sont des loa aquatiques, on place toujours dans leur houmfo (temple) une cuvette pleine d’eau. Papa Simbi, le chef de la famille, aime la fraîcheur et la recherche même .

Les « paquets » ne sont pas l’apanage des seuls Simbi, on les retrouve d’une manière générale dans tous les sanctuaires d’inspiration bantoue rite Congo et rite Pétro où les guérisseurs sont nombreux : « On remarque dans les sanctuaires Congo des chromos représentant l’Adoration des Mages, les accessoires du culte congo et les « paquets congo » qui symbolisent les rois Congo. Ces paquets sont ordinairement des poupées de toile qui sont bourrées avec des feuilles, des herbes et des racines pulvérisées et parfumées . « Les houmfô des loa Pétro sont pourvus de petits autels sur lesquels on voit ordinairement ces objets : boules d’indigo, asson ou hochet rituel, « paquets » (talismans thérapeutiques), govi (cruches) habillées de satin ou de soie aux couleurs consacrées aux divinités pétro

Les « paquets » sont la survivance d’une forme de nkisi : ceux qui interviennent dans la thérapeutique. D’ailleurs, en Haïti et nous voyons là un apport bantou la maladie est intégrée dans le contexte religieux, puisque dans de nombreux cas seul le prêtre pourra guérir le mal. C’est une notion totalement absente au Dahomey.

La magie bantoue hors du cadre religieux en Haïti.

Hors de la religion vodou, les sortilèges sont utilisés dans deux voies : la protection et l’attaque (alors qu’au sein de la religion ils sont envisagés dans une perspective uniquement curative. La cure conduit parfois à l’attaque d’un individu coupable d’une faute contre les dieux, mais la finalité de l’action magique guérir reste claire). La « magie profane » en général est désignée par le mot « wanga ». Pour la confection de nombreux wanga le magicien utilise un peu de terre prélevée dans un cimetière comme son collègue Kongo utilise pour ses nkisi de l’argile « prise au fond d’une rivière, d’un étang, séjour des esprits des morts . »

Wanga désigne souvent un talisman puissant qui protège un individu, un champ ou une maison. L’expression « accomplir le wanga » renvoie en général à une action plutôt inquiétante. En effet, ce secteur de magie est fréquenté par tous ceux qui, par désir de puissance ou de vengeance illicite, veulent causer du tort à autrui (toutes ces actions maléfiques par essence ne peuvent s’exercer dans le cadre de la religion).

Un autre apport bantou dans le Vodou : la possession malheureuse.

Au Dahomey la possession est le fondement de la religion. Par elle, hommes et dieux entrent en contact, c’est une conduite acquise au prix d’une longue initiation, fixée par une série de rites magiques, désirée comme un bienfait par l’individu et par le groupe. Cette possession purement religieuse et bénéfique est, par excellence, celle qui domine le rituel haïtien ; elle seule est censée se manifester dans le cadre des grandes cérémonies publiques.

Mais dans l’ombre de la « maison des mystères », le prêtre doit souvent « traiter » des patients auxquels les dieux se sont attaqués par la maladie. Cette irruption violente du sacré dans le corps de l’homme ne relève pas de la philosophie dahoméenne, c’est un apport « Congo ». La conception de la maladie des Bantou transposée au cœur de la religion donne naissance à une nouvelle idéologie des contacts entre le monde spirituel et celui des humains : celle de la possession malheureuse, ressentie comme une agression.

Dans une première modalité de cette possession, la stratégie des dieux est très diversifiée ; les maladies qu’ils imposent vont de la paralysie d’un ou de plusieurs membres, en passant par les douleurs diverses, les vomissements, les avortements, à de multiples troubles nerveux. Dans le cadre du Vodou, il s’agit bien de possession, si nous donnons à ce terme son acception la plus large. La filiation entre cet aspect du Vodou haitien et le monde bantou est attestée par la technique curative employée : le prêtre, magicien bénéfique, opère essentiellement au moyen des « paquets » dont l’origine est connue. L’idéologie bantoue subit cependant des transformations radicales dans ce nouveau contexte, elle abandonne le domaine du combat entre bon et mauvais magicien pour pénétrer dans celui de la religion. Chez les Bantou, le conflit a lieu entre deux hommes : le magicien « bénéfique » et le sorcier, maîtres tous deux de fétiches. La maladie et la cure sont deux moments cruciaux de la lutte entre les forces maléfiques et bénéfiques en œuvre dans la société.

Dans le Vodou, la maladie est une épiphanie, la marque tangible d’un contact, sans intermédiaire, entre le dieu et l’homme le dieu veut punir ou manifester sa volonté. La maladie est soignée à l’intérieur du temple et le prêtre (qui opère à froid) n’est que l’instrument de l’Esprit guérisseur (presque toujours d’origine « congo », réinterprété en termes dahoméens). En conséquence, la thérapeutique ne relève plus de la simple magie mais bien d’une « idéologie médico religieuse . »

Chez les Bantou le mode privilégié de contact avec les esprits (agresseurs ou curateurs) est le fétiche, objet où se cristallisent des rapports de maître à serviteur entre l’homme et l’esprit. En Haïti, le mal, arbitraire ou justifié, fond sur l’homme selon le bon vouloir des dieux et eux seuls décident de l’issue de la lutte.

Dans cette première catégorie de maladies, la réussite de la cure n’aboutit pas forcément à l’initiation religieuse. Le malade guéri reste attaché au sanctuaire en tant que « pititt feuille » (enfant des feuilles) mais n’a pas le grade d’initié.

Cérémonie d’initiation au Bénin
© Pierre Verger

Le deuxième mode de la possession malheureuse se retrouve également mais en tant que manifestation marginale du contact Hommes Esprits chez les Bantou. (En Haïti, il s’agit d’une forme assez courante d’interprétation religieuse de la maladie).

Chez les Bakongo, les esprits nkita s’attaquent parfois directement aux humains aux femmes surtout. Ils provoquent une maladie spécifique que les auteurs décrivent comme une possession. Les symptômes mêmes de la maladie révèlent l’identité de l’esprit agresseur : l’esprit « se révèle immédiatement dans le langage gestuel de la possession ». Suivant la forme prise par la transe, un rituel d’exorcisme aura alors lieu visant à la libération du malade et l’établissement de contacts institutionnalisés entre lui et l’esprit : il s’agira de « transférer l’esprit pathogène, accueilli avec les précautions révérentielles qui s’imposent, en un autre lieu où des relations magico religieuses normalisées s’établiront à l’avenir entre lui et le patient, tout à la fois guéri de l’état morbide de possession et initié à son culte, un culte qui ne diffère en rien des pratiques magiques en usage pour les autres Nkita . »

Nous plaçons dans la même perspective les maladies qui, en Haiti, conduisent à l’initiation de l’individu frappé : il s’agit alors de formes étiologiques qui renseignent par elles mêmes sur l’identité du dieu et sur la raison de sa présence violente dans le corps de sa victime. « Chaque loa a une façon bien à lui de frapper. » Par exemple quand Zandô est dans le corps d’une personne, celle ci est prise de convulsions caractéristiques, elle a des brûlures dans le ventre et pousse des cris particuliers. La cure, longue et difficile, s’achève par un sacrifice : on offre un bouc à Zandô. Il ne s’agit pas d’un sacrifice sanglant comme pour les autres dieux : Zandô sort du corps de celui qu’il tourmentait, se loge dans celui du bouc qui meurt de lui même. Il convient ensuite que la personne délivrée se fasse initier et rende un culte particulier à Zandô qui viendra « danser dans sa tête » au cours des cérémonies religieuses. Gare à celui qui se soustrairait à cette obligation, il en mourrait.

Toutes les cures ne prennent pas la même forme, chaque « maladie surnaturelle » a sa thérapie propre, mais la démarche est la même : exorcisme suivi de l’établissement entre l’ancien malade et son agresseur de rapports pacifiques, réglés et préférentiels. La maladie est alors un mode d’élection. Parfois même, la maladie renvoie directement à la nécessité de l’initiation, sans exorcisme préalable : il s’agit alors uniquement de transformer des rapports violents et malheureux en contacts harmonieux, à périodicité réglée par le rituel. En Haïti la possession maladie débouche donc parfois sur l’adorcisme pur (sans passer par l’exorcisme) comme seul moyen de résoudre des rapports conflictuels entre l’esprit et son futur « cheval ». L’apport essentiel des Bantou dans l’univers religieux dahoméen est donc une conception de la maladie comme signe d’une conjonction excessive entre le sacré et le monde des hommes.

Lilas Desquirons