Compte à rebours

Nouvelle écrite par Elodie Massol, en 4ème au collège Saut de Sabo (81)

Pourtant, ce matin-là, sa curiosité l’emporta et elle pénétra entièrement dans le marché. Une étonnante agitation y régnait. Les gens marchaient à vive allure et se bousculaient les uns les autres. Ils soulevaient d’énormes nuages de poussière. Anna peina à garder les yeux ouverts et toussota à plusieurs reprises. On manqua même de la renverser ! Jamais elle n’avait vu une chose pareille ! Et l’assurance qu’elle avait eue en traversant le passage s’était comme envolée et fut très vite remplacée par une grande appréhension. Pourquoi était-elle venue ici ?
Cependant, en dépit des circonstances, elle réussit à se faufiler entre les passants et à arriver sur une sorte de motte de terre. De là, elle pouvait tout dominer. Certes, les nuages de poussière étaient toujours aussi intenses mais ils ne l’atteignaient pas. Reprenant le dessus sur ses émotions, elle regarda autour d’elle.
Le parfum des épices, des fruits et des spécialités locales se mêlaient parfaitement bien avec le décor, qui, en fin de compte était grandiose et presque irréel. On y trouvait tellement de couleurs ! Du jaune, du rouge, du bleu, du vert. Anna remarqua également que les paysages alentours étaient tous aussi magnifiques. Des champs et notamment des rizières s’étendaient à perte de vue. On distinguait au loin une épaisse forêt luxuriante ainsi qu’un grand fleuve.
La lumière chatoyante du soleil filtrant à travers les arbres illuminait le marché, rendant l’atmosphère moins pesante et plus chaleureuse. Anna se sentit rassurée et revint donc sur ses pas, ignorant les gens qui couraient et qui poussaient des cris de mécontentement.
Lorsqu’elle arriva enfin devant le passage de la bibliothèque, elle remarqua avec stupeur et horreur qu’il s’était refermé. Elle palpa le mur de haut en bas, espérant qu’elle s’était trompée. Mais sans succès. A l’instant même, une vague de panique s’empara d’elle et des gouttes de sueur perlèrent sur son front. Une profonde angoisse monta en elle et la mit presque au bord du malaise. Elle regardait et tournait dans tous les sens, cherchant une solution à son problème. Et si quelqu’un de mal intentionné la kidnappait ? Et si elle restait ici jusqu’à la fin de ses jours ? Toutes sortes de questions, parfois improbables, tourbillonnaient dans sa tête. « Non, non, non, ce n’est pas possible ! »disait- elle, toute hoquetante.
Au fur et à mesure que le temps passait, la dure et triste réalité s’imposait. Elle se retrouvait bel et bien coincée en Inde, seule et ne sachant où aller. A cette pensée, elle s’agenouilla et enfouit sa tête entre ses mains. Ses yeux se remplirent de larmes qui ne tardèrent pas à couler en abondance, mouillant le sol, pourtant sec, du marché de Shalingappa.
Pourtant, malgré ses sanglots éplorés, un souvenir lui vint à l’esprit. Un jour, elle s’en souvenait bien, sa grand-mère lui avait parlé du passage, ce qui était incroyable puisqu’elle n’en soufflait jamais un mot. Anna se rappelait parfaitement cette phrase jusqu’alors oubliée : « Si un jour, par malheur, quelqu’un restait bloqué de l’autre coté du passage, son seul moyen de revenir serait d’utiliser la petite clef d’Ochaoa. Tu sais, celle que je t’ai offerte et qui provient d’un ancien temple hindou ? Mais surtout avant le lever du soleil car sinon, la clef n’aura aucun effet … »
Anna ne savait pas comment il était possible qu’elle se souvienne de ces paroles maintenant, juste quand elle en avait réellement besoin ! Etait ce un coup de chance ou un coup de magie ? Car, qu’elle le veuille ou non, le monde dans lequel elle vivait était rempli de choses étranges et de magie. Cela lui faisait un peu peur.
Après ce bref instant de rêverie, Anna se redressa. Et, sachant à présent que la clef qu’elle avait toujours portée à son cou était en réalité la clef d’Ochaoa, elle tendit son bras pour saisir l’objet tant désiré. Mais alors qu’elle posait la main sur son cou, elle sentit avec effroi que la clef ne s’y trouvait pas, ou plutôt, ne s’y trouvait plus.
Elle poussa un petit cri de surprise avant de regarder dans toutes les poches de sa veste et dans tous les endroits où une clef pouvait se glisser.
Alors qu’elle cherchait éperdument et désespérément la petite clef, son regard fut attiré par quelque chose qui scintillait, dans la poussière.
Elle plissa les yeux pour mieux voir et se rendit compte qu’il s’agissait de sa clef ! Une bouffée de joie l’envahit et un immense sourire radieux se dessina sur ses lèvres. Sans perdre un instant, elle se précipita sur l’objet.
Mais soudain, un cri perçant déchira le ciel. Beaucoup de personnes se retournèrent et cherchèrent d’où provenait ce bruit inattendu. Un silence troublant se répandit aussitôt. Puis, sortant de nulle part, un oiseau majestueux et splendide plongea en piquet sur la fameuse clef.
Anna resta pendant un moment sans rien faire, muette, comme paralysée par la beauté de l’animal. Elle l’admirait, avec ses magnifiques plumes rouges et bleues plaquées contre lui, ses yeux étincelants et déterminés, ses griffes acérées et ses immenses ailes.
Médusée, elle ne put empêcher l’oiseau de s’abattre comme une furie sur la clef, provoquant un grand fracas. Lorsqu’elle reprit ses esprits, elle vit, bien qu’il fût à une certaine hauteur, que l’oiseau tenait la clef entre ses griffes. Elle cria et se lança à sa poursuite. Malgré sa course effrénée, son souffle à moitié coupé et ses jambes qui fatiguaient, elle ne put s’empêcher de se critiquer, se disant qu’elle n’avait rien fait pour empêcher cela et que c’était de sa faute si elle se trouvait dans cette situation inhabituelle.
Elle s’éloigna peu à peu du marché et arriva bientôt en haut d’un escarpement rocheux. En contrebas se trouvait un précipice si profond qu’elle n’en voyait pas le fond. Heureusement, un pont se situait à proximité, mais, à son aspect, Anna n’eut aucune envie de s’engager dessus. Il était fait de bois, qui, avec le temps, était devenu vermoulu. La corde, effilée à certains endroits, ne paraissait pas solide et pouvait donc casser à chaque instant. Anna pensa à rebrousser chemin mais, apercevant l’oiseau survoler le ravin et passer de l’autre côté, elle se décida à avancer. Elle fit un pas, puis deux, retenant son souffle à chaque craquement, aussi subtils soient-ils. Elle n’osait pas regarder en bas, de peur de faire un mouvement fatal, qui, en jugé par l’instabilité du pont, pourrait la faire plonger dans le vide.
Quand elle arriva vers le milieu de son parcours, elle s’immobilisa. Un bruit qu’elle n’appréciait guère se fit entendre. Elle sentit son cœur s’accélérer dans sa poitrine. Puis, sous un craquement affreux, une planche sur laquelle elle avait posé son pied se cassa et disparu dans l’obscurité du ravin. Anna se rattrapa de justesse au cordage et s’érafla le genou.
Sans perdre une seconde, elle se remit debout et courut aussi vite qu’elle put pour atteindre le bout du pont. Les planches grinçaient et cédaient les unes après les autres, la faisant trébucher.
Anna, n’ayant plus aucun appui, se jeta en avant et atterrit de l’autre côté du ravin, à la fois essoufflée et soulagée d’être arrivée à franchir cet abîme. Elle assista cependant à la destruction totale du pont. Il n’en restait absolument rien.
Comment allait-elle revenir ? Elle oublia pourtant très vite cette question lorsqu’elle se rappela pourquoi elle était venue jusqu’ici. Elle devait retrouver l’oiseau et avec lui la clef. Mais elle avait malencontreusement perdu sa trace. De plus, elle était épuisée. Elle s’accouda à un rocher, à l’ombre, évitant du mieux qu’elle le pouvait la lumière et la chaleur écrasante de la journée. Elle devait pourtant continuer et ne surtout pas baisser les bras. Elle eut donc une pensée pour sa famille et pour son amie Gabrielle avant de reprendre sa route, prenant une direction au hasard. Elle trainait les pieds, la tête basse, à demi endormie.
Au bout d’un moment, un froissement de feuilles attira son attention et dans la seconde qui suivit, un superbe tigre du Bengale passa à quelques mètres d’elle. C’était inouï, incroyable, fabuleux, et terrifiant. Il lui jeta un bref regard et disparut derrière les buissons, tranquillement.
Cette rencontre, pour le moins insolite et fantastique, tira Anna de son état à demi conscient.
Le paysage était totalement différent de celui du marché ou du pic rocheux. Elle se trouvait en pleine forêt tropicale ! C’était ahurissant ! Cela faisait des heures qu’elle marchait, somnolente, sans avoir prêté attention au paysage alentour. Elle remarqua également que le soleil commençait à décliner. Le ciel arborait toutes sortes de couleurs.
Mais ce n’était pas le moment de s’extasier sur cela. Serrant les points, elle se mit à chercher énergiquement une rivière, ou du moins, un point d’eau. L’oiseau qu’elle cherchait était sans doute en train de boire après tous les efforts qu’il avait fait et l’atmosphère étouffante qui régnait en Inde. Elle se rassurait en disant cela, bien qu’elle n’en fût pas convaincue. Après tout, il commençait à faire nuit et les oiseaux ne volent pas beaucoup la nuit.
Elle trouva enfin un fleuve qui, se rappelant son cour de Géographie, portait sans doute le nom de Kâverî. Elle se désaltéra et y plongea ses mains. Elle se rafraîchit le visage et s’attacha les cheveux avec un élastique qui se trouvait dans sa poche.
Quand soudain, surgissant de derrière un bosquet, l’oiseau qu’elle recherchait battit des ailes et décolla du sol.
Anna, surprise, faillit tomber en arrière. Elle n’en revenait pas ! Elle l’avait retrouvé ! Pour la deuxième fois, elle le suivit, s’égratignant les bras à des ronces et à des herbes coupantes. Cette fois, elle n’avait nullement envie de le perdre des yeux et dut s’enfoncer dans le fleuve ! Elle s’immobilisa cependant lorsqu’elle sentit que celui-ci était trop profond. L’eau atteignait sa taille et continuait à monter au fur et à mesure qu’elle avançait. Elle ne se résolut pourtant pas à abandonner et continua sa progression.
Mais quelque chose la fit accélérer et la mit en état d’alerte. Non, il ne s’agissait pas du courant qui augmentait mais plutôt d’un groupe d’alligators, sans aucun doute affamés, qui nageaient dans sa direction ! Anna ne les avait pas remarqués plus tôt et ne voulut pas rester pour leur faire ses plus humbles salutations. Elle nageait à présent à perdre haleine et but plusieurs fois la tasse. L’eau commençait à lui piquer les yeux et sa frayeur atteint bientôt son paroxysme. Heureusement, elle sentit le sol frôler ses pieds. Elle ne devait pas ralentir pour autant car les alligators se rapprochaient de plus en plus.
Elle atteignit enfin la berge et poussa sur ses jambes pour se propulser hors de l’eau. Un alligator, plus agile et rapide que les autres ouvrit grand la gueule et réussit à mordre un bout du pantalon d’Anna. Cela la fit tomber brusquement. Elle agita sa jambe dans tous les sens, espérant faire lâcher la bête. Sous la pression, un morceau de son pantalon se déchira, la libérant de l’emprise de l’alligator. Elle se redressa et s’enfuit vers la terre ferme, épouvantée par ce qu’elle venait de vivre.
Elle prit le même chemin que l’oiseau, dans un état second, et le vit se poser tout en haut d’un arbre. En l’admirant, Anna oublia l’alligator et un frisson lui traversa le corps. Le regard de l’oiseau, intense et mystérieux, semblait lui lancer un défi.
Anna s’approcha de l’arbre, et, bondissant le plus haut qu’elle put, s’agrippa à une branche.
La lune commençait déjà à apparaître dans le ciel sombre sans étoile, faisant danser les ombres au grès du vent et ajoutant une légère touche de luminosité dans l’obscurité de la nuit.
Le sifflement presque imperceptible du vent faisait frémir les feuilles des arbres, l’astre de la nuit berçait de sa lueur enchanteresse ce paysage endormi avec son fleuve qui depuis longtemps est indifférant au temps et au vent, poursuivant son cour sans jamais s’arrêter de couler librement.
Anna atteignit enfin la cime de l’arbre et se trouva nez à nez avec l’oiseau. De là où elle était, il paraissait encore plus grand et elle en déduisit qu’il devait faire approximativement six mètres d’envergure ! Il avait fait son nid au sommet de cet arbre et restait immobile, fixant Anna de ses yeux de braise.
Elle enjamba la dernière branche et posa son pied dans le nid de l’animal.
Puis une envie inattendue la submergea. Une envie peut-être risquée mais qui en valait la peine. Au lieu d’essayer de chercher la petite clef d’Ochaoa, Anna tendit sa main vers l’oiseau. Elle avança prudemment, ne faisant aucun geste brusque et en restant le plus calme possible. Un de ses doigts effleura bientôt l’oiseau, qui fut d’abord surpris. Mais inopinément, il baissa la tête et se mit à la hauteur d’Anna. Elle put donc le caresser tout en le regardant d’un regard pétillant. Jamais elle n’aurait cru pouvoir l’approcher d’aussi près et encore moins le caresser ! Tout à coup, l’oiseau se releva et déplia ses ailes. Anna fit un écart et découvrit, parmi la paille, à côté de l’oiseau, la clef d’Ochaoa !
Un bonheur immense, presque euphorique s’empara d’elle. L’euphorie des devoirs accomplis comme elle disait souvent. C’était un sentiment bouleversant qui l’émut profondément. Non seulement elle avait retrouvé la clef mais en plus, elle s’était fait un nouvel ami qui avait confiance en elle puisqu’il l’avait laissée prendre la clef.
Elle ne se demandait même plus pourquoi il lui avait prise au départ.
Elle s’agenouilla de nouveau et des larmes de bonheur ruisselèrent sur ses joues. Puis elle sombra dans un profond sommeil.
Quand elle se réveilla, de faibles rayons filtraient à travers le ciel, puis les vives couleurs de l’aube devinrent des teintes pastel, faisant ressortir quelques petits nuages blancs.
Anna bondit sur ses pieds et se rappela qu’elle devait rejoindre le passage avant le lever du soleil ! Comment arriverait- elle au marché à temps ?
Elle remarqua que l’oiseau était toujours à ses côtés et une idée lui traversa l’esprit. Et si elle grimpait sur son dos ? Il était tellement grand qu’il pourrait la supporter ! Du moins, elle le pensait. Elle se tourna donc vers lui et se demanda comment elle arriverait à le lui faire comprendre et à le diriger. Mais avant qu’elle n’ait fait quoi que ce soit, l’oiseau pivota sur lui-même, lui présentant son dos. On aurait dit qu’il avait compris ce qu’Anna attendait de lui ! « Décidément, tu me surprends de minutes en minutes ! » lui souffla t- elle.
Elle monta sur son dos, s’agrippant du mieux qu’elle pouvait à ses plumes. Il ne semblait pas le moins du monde gêné par cette charge et, d’un battement d’ailes, plongea dans le vide puis s’éleva haut dans les airs. Anna était secouée mais semblait apprécier cette balade.
En quelques minutes, ils furent arrivés au marché. L’animal se posa et laissa descendre Anna. Tout s’était déroulé sans encombre. Les rares personnes s’étant levées tôt les observaient, les yeux écarquillés, ébahis. Anna n’y prêta pas attention et remercia son ami en le caressant. « Je ne t’oublierais jamais » lui murmura t- elle.
Elle vit soudain que le soleil se levait et, courant avec une ardeur extraordinaire, elle arriva devant le passage de la bibliothèque. La petite clef brilla et le passage s’ouvrit.
Jetant un dernier regard vers l’oiseau, Anna se jeta juste à temps. Avant que le soleil illumine le marché de Shalingappa de la plus belle lumière qui soit …

Notre héroïne atterrit à Paris, chez sa grand-mère. Ici, rien n’avait changé et le temps s’était comme arrêté juste quand elle avait franchi le passage. C’était surprenant, magique.
La jeune fille alla rendre une petite visite à son amie Gabrielle et vit qu’elle marchait tranquillement. Auparavant, elle ne sortait pratiquement jamais de sa carapace.
Anna se dit que c’était encore une victoire de gagnée. Elle qui n’aimait pas l’aventure s’était mit à adorer cela. Et ce, grâce à celle qu’elle venait de vivre.
Et elle espérait de tout son cœur qu’elle en vivrait d’autres, toujours plus époustouflantes, plus étonnantes et plus magiques les unes que les autres.