"Sacrée" aventure

Nouvelle écrite par François NIAGOLOFF, en 5ème au collège Victor Hugo, Sourdeval (50)

"Sacrée" aventure

Pourtant, ce matin-là Anna et sa tortue allèrent dans le rayon de la bibliothèque consulter un ancien livre sur l’Inde. Anna écarta les livres et tout d’un coup toutes les deux basculèrent dans ce petit village indien. Pour ne pas perdre Gabrielle, elle la mit tout de suite dans sa poche. Il fallait la protéger : elle n’aimait pas l’aventure !

Anna arriva donc sur la place du marché dont elle avait tant respiré l’odeur d’épices ; le bruit était à son comble. Comme elle était agoraphobe elle se dépêcha de quitter la place mais elle en profita tout de même pour jeter un œil sur un tas de choses (elle n’aimait pas l’aventure mais cela ne signifiait pas qu’elle n’était pas curieuse ! Elle était sûre en revanche que Gabrielle n’avait pas sorti sa tête de sa carapace depuis leur "chute" en Inde) : des tapis, des curries, des tandoori, des bracelets... Elle sortit enfin du marché le nez plein de bonnes odeurs. Elle avait très faim, sa montre affichait 13h30. Heureusement elle avait avec elle son porte monnaie avec 50 euros dedans, ce qui équivalait à 2666 roupies en Inde ! Elle était riche ! Elle rentra dans un magasin, heureusement elle parlait un peu anglais. Elle expliqua qu’elle voulait acheter une mangue.

« Twenty-six roupies », please ! », lui réclama le marchand.

Elle pensa que c’était bien cher... Elle venait bel et bien de se faire arnaquer car le salaire moyen en Inde était de 1,49 euros ou 80 roupies par jour. Pour une mangue elle avait payé un septième du salaire journalier, calcula-t-elle dans sa tête. Les livres qu’elle avait commencé à lire dans la bibliothèque de sa grand-mère lui servaient au moins à quelque chose !

« Pfft, ce n’est pas très gentil pour ceux qui ne connaissent pas bien la valeur de l’argent », se dit-elle, bien décidée à ne plus se laisser avoir.

Elle repartit à la recherche de quelqu’un qui pourrait l’aider ou au moins lui faire comprendre ce qui s’était passé : comment avait-elle abouti de France directement en Inde ? Gabrielle, quant à elle, ne semblait pas pressée de vouloir en savoir plus, elle restait calfeutrée dans la poche d’Anna et ne manifestait pas la moindre envie de manger, pourtant la jeune fille avait hésité chez le marchand à prendre en plus de la mangue un peu de verdure pour sa tortue. Elle finit par arriver dans une très vieille boutique de livres déserte, elle entra et dit « Hello ! ». Le libraire regarda Anna un peu perplexe, bien sûr il répondit à son salut mais visiblement il ne parlait pas anglais. C’était vraiment surprenant, un Indien qui avait en plus cette profession et qui ne comprenait pas l’anglais !

- Vous parlez français ? lui demanda Anna, incrédule.

- Un petit peu, répondit-il avec un accent tout à fait correct.

Comme c’était inattendu ! En fait il lui expliqua qu’il avait fait ses études en France et qu’il était revenu vivre en Inde.

- Alors, vous pouvez m’aider ? demanda Anna, heureuse d’avoir trouvé quelqu’un qui parlait sa langue. Elle se sentait moins perdue.

- Peut-être ! lui répondit-il, il attendait bien sûr d’en savoir plus.
Anna lui expliqua la situation : elle avait écarté les livres de la bibliothèque et s’était trouvée transportée sur la place du marché de Shalingappa, comme attirée de l’autre côté.

- Ah, malédiction !!! s’écria le libraire.

Anna, devant sa réaction le supplia de lui venir en aide :

- Oui ? Oui ? C’est d’accord ? Oh merci monsieur !

L’homme lui raconta alors une histoire à dormir debout mais Anna n’était plus à un étonnement près :

- En Inde, dans ce petit village, il y a mille ans, un homme a dit qu’une jeune fille arriverait avec sa tortue, qu’elle serait la réincarnation de Parvati, une déesse indienne. Tu lui ressembles...

Anna était sans voix, le libraire s’était-il rendu compte qu’elle n’était pas seule mais transportait effectivement une tortue ? Et s’il disait vrai pour la tortue, il disait peut-être vrai aussi pour cette croyance, elle ne se sentait pourtant pas l’âme d’une déesse ! Et que penserait Gabrielle de tout cela ?! Elles étaient devenues amies, s’étaient apprivoisées, elle n’allait pas maintenant snober sa tortue et se comporter en déesse ! Et puis, de toute façon, elle n’aimait pas l’aventure, une déesse, cela ne faisait-il pas des actions pleines de prouesses ?! C’était bien beau tout cela mais avec quels bras ? Elle n’en avait que deux, qu’elle sache, pensa-t-elle à toute vitesse, se rappelant ce qu’elle avait lu sur tous ces dieux qui sur les représentations avaient bien au moins six bras. Non, vraiment, elle n’était pas une déesse mais elle laissa l’homme poursuivre :

- Il y a un moyen de te sortir de là. D’après le récit légendaire, tu dois aller à Shinmaga, la ville perdue dans la jungle. Il se proposait même de l’accompagner, lui, c’était évident, aimait l’aventure !

Après s’être équipés, Anna et l’homme partirent donc à la recherche de la ville perdue des déesses. En chemin elle s’arrêta pour faire une pause au milieu de la jungle et se construisit un hamac, elle avait appris à en construire en regardant son émission préférée "Seul face à la nature". Elle utilisa des branches de ficus, pour quelqu’un qui n’aimait pas l’aventure elle s’en sortait plutôt bien. Elle donna en douce à sa tortue des feuilles tendres et essaya aussi de lui faire goûter des figues ! Cela la changerait des endives ! Elles passèrent la nuit là-bas, en compagnie du libraire qui continua à lui raconter cette croyance indienne. Elle se concentra sur sa voix et parvint ainsi à éviter de trop penser aux bruits inquiétants de la jungle et c’est ainsi qu’elle finit par s’endormir.

Le lendemain matin ils se levèrent et repartirent. La jungle était truffée de pièges, chaque pas était une grâce des dieux. Ils finirent par arriver dans une tribu indienne qui s’appelait les Sangal. Ils reconnurent immédiatement Anna. Cette prophétie était arrivée jusqu’à ce petit village perdu. Anna, décidément avait hâte de voir à quoi ressemblait cette Parvati pour que tout le monde la prenne instantanément pour elle ! Le chef du village installa Anna sur un trône et le reste de la communauté vint vénérer Anna comme une déesse : ils lui apportèrent des offrandes de nourriture, et de pétales de fleurs, une odeur d’encens flottait dans l’air. Anna en fut un peu étourdie. Devant les doutes de la jeune fille, on lui montra la prophétie en sanscrit où était écrit qu’Anna arriverait dans la ville perdue des déesses. Elle n’était toujours pas décidée à leur révéler qu’elle voyageait avec sa tortue, elle craignait qu’ils n’obligent Gabrielle à être vénérée comme sa monture, quelle aberration ! Mais elle avait bien lu pourtant que chaque dieu avait une monture, une souris pour Ganesh par exemple, le dieu à tête d’éléphant... et pourquoi pas une tortue pour elle-même ?!

Le chef du village savait où la ville perdue était située, au cœur de la forêt. Son ami le libraire lui traduisit ce qu’il disait. Le lendemain matin ils partiraient à Shinmaga. Il y en avait pour trois heures de marche. Le libraire demanda au chef du village où ils iraient dormir et sans surprise, Anna se retrouva dans un petit temple, installée sur des fleurs de lotus. Elle s’endormit malgré l’excitation, elle était heureuse de savoir que si cette prophétie existait elle rentrerait chez elle une fois qu’elle aurait trouvé la ville des déesses.

Le lendemain matin Anna était la première debout, toujours à cause du décalage horaire, elle réveilla le chef de la tribu et son ami le libraire. Ils préparèrent leurs affaires et partirent. Les habitants firent un dernier adieu à Anna, se prosternant à son passage, et ils partirent dans la jungle profonde. Une heure après ils s’arrêtèrent pour faire une pause car Anna était très fatiguée. Etait-ce normal pour une déesse d’être fatiguée à ce point ? se demanda Anna. Heureusement les habitants du village n’étaient plus là pour la voir sinon elle serait descendue aussitôt de son piédestal ! Ils étaient en train de manger quand tout à coup un tigre du Bengale leur bondit dessus. Heureusement le libraire avait reçu en cadeau du chef de la tribu une arme indienne dont il sut parfaitement se servir, il réussit à blesser suffisamment le tigre pour le faire fuir : décidément, l’aventure ne lui faisait pas peur ! Mais Anna, elle, avait eu la peur de sa vie. Elle ne put s’empêcher de penser une fois encore que si elle avait été une déesse, elle aurait su arrêter le tigre d’un seul regard ! Gabrielle s’était faufilée de sa poche à son sac pour plus de sûreté, au moins Anna n’était pas seule à mourir de peur, cela la consolait un peu ! Elle reprit ses esprits et ils repartirent. Deux heures plus tard ils arrivèrent devant une forteresse de pierres rouges et entrèrent par une porte sculptée comme de la dentelle. C’était magnifique ! Plusieurs temples se trouvaient derrière les remparts, décorés de marbre. A l’intérieur ils virent des statues en pierres couvertes de feuilles d’or. Le libraire lui servit de guide et énuméra au fur et à mesure qu’ils entraient dans les temples à quelle déesse il était dédié. Elle vit des représentations de Lakshmi, l’épouse principale de Vishnu, Bhumi, sa seconde épouse, Durga, la guerrière, Uma, Sarasvati, épouse et fille de Brahma...

Mais un temple était le plus beau de tous, c’était celui de la déesse Parvati. Quand elle entra elle fut saisie d’émotion. Elle se reconnut dans les traits de la statue ornée d’or et de pierres précieuses, c’était bien son visage, sa taille fine, ses yeux ! Posé sur le sol devant Parvati se trouvait un bol à offrandes. Elle mit Gabrielle à l’intérieur, elle tenait exactement dans le bol, comme s’il avait été conçu pour elle, elle offrait Gabrielle à Parvati... c’est-à-dire à elle-même bien sûr, puisqu’elle était la réincarnation de la déesse. En cet instant elle ne douta pas de la croyance !

- C’est ça, c’est là que tu dois te mettre pour rentrer à la maison, Gabrielle !

Soudain elle sentit que quelque chose était en train de se produire, comme un étourdissement, elle était remplie de force et d’une sérénité incroyables, elle rayonnait ! Elle se servit de ses bras qu’elle n’osait plus compter pour emmener son ami le libraire avec elle vers la France. Il l’avait suppliée de l’emmener avec elle, en fait sa librairie n’était pas prospère : qui lisait de vieux livres en français à Shalingappa ? Et, pour tout dire, il avait pris de mauvaises habitudes lors de ses études, il se languissait d’un bon steak frites !

Ce fut juste la grand-mère d’Anna qui n’était pas très contente, non pas qu’elle n’aimait pas les Indiens, c’était juste qu’elle ne comprenait pas pourquoi il était aux petits soins pour Anna, allait au devant de ses moindres désirs et lui prenait même systématiquement son tour de vaisselle. Elle n’était pas manchote, sa petite fille pourtant !