Un conte de fée

Nouvelle écrite par Tiphaine Monceaux, en 4ème au collège Molière, Paris (75)

UN CONTE DE FEE

J’ai dévalé le grand escalator qui traversait la verrière du centre Commercial des Trois Platanes, dans le clignotement des sapins de Noël, courant jusqu’au cercle qui c’était formé. Je balbutiais des propos si incohérent que ma mémoire les a, de honte, rangés dans un endroit inaccessible. Pourtant, le mensonge, si piètre soit il, suffit à repousser l’attention des bourgeoises, qui, en bonnes femmes du seizième arrondissement, filèrent acheter de nouvelles pantoufles à leurs maris, attendant avec impatience de pouvoir pimenter leurs discussions avec les commères du quartier.

Je portai alors la jeune fille à l’extérieur. Il neigeait, et je la vis frissonner dans son fin vêtement de soie. Je la recouvrais de ma veste, lorsque qu’elle battit des cils, mouvement qui me laissa entrapercevoir ses yeux de la couleur d’une nuit ou brillent mille et une étoiles. Son regard perdu, effrayé, contemplait un évènement dont elle était la seule spectatrice. Elle murmurait, en hoquetant, butant sur des mots de sorte que je n’en compris pas la moitié : le cercle du temps… Pourquoi je suis sortie… Les danseuses m’avaient prévenue… Où… l’attaque… La dynastie des Shah…Brusquement, elle m’attrapa le bras et ses ongles manucurés s’enfoncèrent dans ma peau. Je poussai un gémissement surpris qui eu pour effet de la sortir de son cauchemar éveillée. En me voyant, elle eut un mouvement de recul, mais reprit si vite contenance que je crus l’avoir imaginé. Elle profita de mon instant d’hésitation pour placer deux questions qui me surprirent : « Où suis-je ? En quelle année est-on ? »
Je répondis néanmoins : « A Paris, en 2011 », je vis une expression d’horreur passer sur son visage : ombre fugace sur un visage parfait. Puis essayant d’entraîner la conversation vers des thèmes moins étranges, je me présentais :

- Simon et toi ?

- Shoba, danseuse de la cour de Pandajar, au service de la Kumari royale, au dix-huitième siècle. Je me suis perdue dans ce siècle, en franchissant la barrière du temps, que le roi a créée pour protéger la Kumari de l’attaque du Shah, censé unifier la vallée de Katmandou.

- Les Kumaris font bien parties des croyances népalaises ? Elles prétendaient être la réincarnation de la déesse indienne Kali sur Terre, non ? Mais je crois ne pas avoir bien entendu, tu as dit heu… dix-huitième siècle ?

- Une croyance, crois-tu que tu m’as imaginé ? En tout cas, ne dis plus jamais que les dieux n’existent pas devant moi, ou Kali me punira ! Son regard était telle une nuit d’orage et sa voix sonnait comme le tonnerre.
Surpris par cette violence soudaine, je sursautai : « Oui, je pense que tu n’es qu’un délire de mon imagination. Cette histoire est un vrai conte de fée et… tout le monde sait que les fées n’existent pas ! »
Elle leva alors les yeux vers moi et le sourire énigmatique qui se format sur ses lèvres me fit froid dans le dos. Une femme, qui avait tantôt douze ans et le pas d’après, en avait cent, s’arrêta près de nous. Elle était vêtue d’une robe rouge et était parée de nombreux bijoux. Ses cheveux ondulaient en une longue tresse de jais. L’inconnue ne me jeta même pas un regard, elle s’adressa directement à la danseuse :

Trouve le reflet
Avant minuit
Sinon passer
Te sera interdit

La sentence prononcée, elle s’éloigna, telle un ombre. Shoba s’écroula, sanglotant doucement les yeux chargés de pluie.

- C’était Kali, elle m’a prévenue mais je n’ai rien compris, de quoi parlait elle ?

-Allons, murmurai-je, il y a bien une solution. Tu n’as rien vu qui pourrait être significatif ?

- Mais bien sûr ! Juste avant de partir j’ai vue dans une flaque d’eau le reflet d’une immense tour de fer à quatre pattes. Elle brillait de mille feux !
J’étais heureux d’avoir une longueur d’avance sur elle et lui proposais de l’emmener vers cette « tour de fer ».

Elle me répondit : « cela ne te dérange pas de poursuivre un conte de fées ? » Et elle s’élança avant même de connaître la réponse.

La nuit était tombée, nous croisâmes des hommes qui arrosaient au whisky la naissance de Jésus Christ ! Par inadvertance, la jeune danseuse les bouscula. Ils se mirent à crier des propos noyés par l’alcool, retroussèrent leurs manches et nous attaquèrent. Leurs gestes étaient lourds et maladroits, mais ils étaient extrêmement violents et il n’y avait qu’une solution : battre en retraite. Un groupe infinitif bien compliqué pour une action très simple : fuir ! Je prenais donc mes jambes à mon cou, suivant la jeune danseuse, qui, vive comme un feu follet, courait déjà. Nous sautâmes par-dessus un muret et trouvant une échelle, nous l’escaladions lorsqu’un des hommes m’attrapa le pied. Alors que je sentais mes forces m’abandonner, il partit, essayant de se protéger d’une grêle de cailloux venus du ciel. Soulagé, j’atteignis le toit, intact. A ma grande surprise un jeune homme se tenait près de Shoba, il était torse nu et portait de nombreux collier en or. Il tenait une pierre qu’il faisait rebondir dans sa main. Il me l’envoya en s’exclamant : « Un merci ne serai pas de refus ! » Je le remerciai poliment en demandant à qui j’avais à faire. Son sourire s’élargit, et soudainement, sa tête devint celle d’un éléphant et deux autres bras lui poussèrent. Je ne restais pas longtemps surpris, après tout je me trouvais dans un rêve.

-Je suis Ganesh dieu des voyageurs, répondit-il étonné : il pensait surement que j’allais m’évanouir. Parlons de toi, voyageuse du temps. Je vais t’aider, allant contre les volontés de mon père, Shiva, dieu de la destruction. Il a déjà frappé. Il vous a envoyé des hommes détruits par la boisson. Il fait partie du Trimurti, qui symbolise le cycle de la vie. En font aussi partie, Vishnu, le maintien qui a décidé de rester neutre ; quand à Brahma la création, il n’a pas encore agi. Pourquoi certains membres du Trimurti vous en veulent ? Ils pensent que la cour de Pandajar, dont tu fais partie, qui vit hors du temps grâce à la protection de Kali, ne respecte pas le cycle de la vie qu’ils symbolisent. Maintenant, c’est à vous de jouer, il vous reste moins d’une heure. Bonne chance !

Sur ces mots, il disparut. La jeune danseuse avait déjà bondi et partait dans la direction que je lui avais indiquée. Je la suivis, redoutant le moment où nous devrions affronter Brahma. Nous traversions les jardins du Trocadéro, déserts à cette heure-ci, lorsque des plantes surgirent de terre, poussant à une vitesse affolante. Elles grimpaient, montaient vers le ciel, nous cachant la pâle lumière de la lune. Le monde n’était que noir et silence, un silence étouffant, terrible, total. Soudain j’entendis en bruit assourdissant, un bulldozer arrivait et je me rendis compte que j’avais oublié de respirer. Il s’arrêta à notre hauteur et juste avant de monter, je vis une ombre marcher entre les arbres, je me penchai donc dans la neige fraîche et écrivit : MERCI. Le bulldozer avançait, broyant, écrasant tout sur son passage. Je pensais à Kali déesse de la destruction qui devait apprécier cet engin moderne. Le reste du voyage se passa sans incidents. Arrivés devant la Tour Eiffel nous ne savions que faire, puis, je remarquais à mes pieds des vers inscrits dans la neige :

Tes mains tu dois poser
Sur le fer endormi
Pour retourner
Dans ton pays

Shoba s’approcha de la Tour et au dernier instant se retourna. Elle me sourit avant de demander : « Tu crois toujours que c’est un conte de fée ? » Elle n’écouta pas la réponse et sous ses mains la Tour Eiffel s’illumina pour les douze coups de minuit. Je partais et ne me retournai pas, je savais très bien qu’elle avait disparu. C’était le vingt-cinq décembre et il me paraissait très triste depuis que j’avais quitté la maison de mes parents. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque, rentré chez moi, je découvris un paquet sous mon sapin. Je l’ouvris et une magnifique créature qui ressemblait à une tout petite humaine ailée, s’envola.

« Et tout le monde sait que les fées n’existent pas. »