Mérinias

Nouvelle de Amina ALI SAÏD, incipit 1, étudiant à l’Université de La Réunion, Saint-Denis (97)

—Que veux-tu en échange ? demanda-t-elle dans sa langue rude. 

 Pris de court Kosmas ouvrit béatement la bouche, fixant d’un air perdu le pendentif doré suspendu aux doigts de son interlocutrice. Ses yeux attentifs observèrent sans vraiment y prêter attention la jeune amazone impatiente, balançant délicatement d’un doigt à l’autre le fin cordon de cuir noir qu’elle suréleva en direction du ciel, comme pour mieux le contempler. Ses longs cheveux noirs étaient rattachés en une queue de cheval parfaitement soignée descendant le long de son dos nu et bronzé. Ses yeux d’un noir de jais étaient rivés sur le petit objet brillant en forme de reptile, rayonnant et contrastant à présent avec le bleu chaleureux du paysage. Quelque chose d’anormal s’était passé, quelque chose qui allait certainement perturber ce qui devait s’annoncer d’une organisation parfaite. Kosmas frissonna devant cet imprévu.

—Tu es sourd ? Tu veux quoi pour ce collier ? tonna t-elle de nouveau, le tirant de ses réflexions.

—Euh désolé... ça c’est pas à vendre, mais j’ai de beaux tissus regarde comme ils sont jolis, vraiment touche, regarde !

L’amazone recula.

—Ton torchon ne m’intéresse pas, si tu n’es pas prêt à me vendre ce pendentif nos affaires s’arrêteront là.

Kosmas resta quelque peu dubitatif. Il se remémora les quelques mots que son oncle, qui n’était autre que son initiateur, lui avait toujours répété lors de leurs longues discussions sur les falaises de Bizanthie. « La qualité d’un marchand, bien plus que la qualité d’un simple homme est un bien précieux et immuable dont il faut savoir user en toute intelligence . » A l’époque Kosmas considérait que ces paroles étaient bien vides de sens, beaucoup trop insouciant pour ne serait-ce qu’essayer d’en saisir la valeur. Néanmoins à ce moment précis, quelque chose lui sauta aux yeux.

Les peuples d’Orbae avaient toujours été réputé pour leurs talents de marchands et cela, autant du fait de la qualité de leurs marchandises, que de leur art verbal. Leurs faculté oratoires étaient réputées inégalables tant leur savoir-faire était parfaitement maîtrisé. On racontait même que certains venaient de l’autre bout de la planète pour assister à ces fabuleuses braderies, admiratifs. De tout part on venait applaudir les aptitudes des villageois d’Orbae, tous appréciaient leur génie, toutefois les tribus amazones avaient toujours émis quelques réserves à l’égard de ces hommes, à vrai dire, ils avaient toujours conservé une certaine distance à l’égard de tous les hommes.


—Attend j’ai une offre à te proposer !

L’amazone qui s’était à peine levée se retourna d’un air méfiant.


—Quel genre d’offre ?

—Rassieds-toi, ça ne te coûte rien d’écouter ce que j’ai à te proposer.

Cette dernière obtempéra tout en gardant une certaine méfiance dans son attitude. Cette suspicion leur était propre, propre aux amazones, qui vivaient recluses dans un coin éloigné d’Orbae, ici dans le désert, évitant au possible de se mêler aux habitants du centre de la ville.


—Quel est ton nom ? Poursuit Kosmas calmement.

—Qu’importe mon nom tant que l’on conclue nos affaires non ?

—C’est vrai...Mais concernant ce collier c’est différent.

—En quoi est-il différent ?

—Ce collier...toute son histoire m’a été raconté par mon initiateur il y a peu tu sais...

—Où tu veux en venir ?

—Tu veux en savoir plus pas vrai ?

—…Vous les marchands d’Orbae ne manquez pas d’effronterie.

—Je m’appelle Kosmas, continua t-il, imperturbable.

L’amazone hérissa un sourcil puis, soupirant d’une manière qui se voulait plus qu’explicite finit par céder. Elle reprit place sur le sol, juste en face du vendeur, scrutant d’un air soudainement curieux le pendentif scintillant. La masse qui s’était agglutinée sur la place du désert semblait à présent superflue, presque invisible, seule la jeune femme assise en face de lui se détachait du décor.

— … Je suis Sérénya.
—Sérénya…,murmura t-il. Pourquoi t’intéresse t-il ce collier ?

L’amazone sembla agacée.

—Que cherches tu à faire ? Tu vas me le vendre ou non ?

—Évidemment que je vais te le vendre. Mais avant ça je dois absolument te raconter tout ce qu’il s’y rattache, je ne pourrais jamais te le céder sans que tu saches tout.

—Quoi donc ? Demanda t-elle feignant l’indifférence.

Kosmas prit le collier entre ses mains, le toucha puis sourit, arborant une assurance nouvelle dans son comportement, sans doute ni crainte, comme si toute hésitation s’était soudainement dissipée.

—Il est à toi ce petit cheval près du point d’eau ?

—Oui…c’est le mien, confirma t-elle en se retournant brièvement.

—Bien…Je te laisse ce collier mais je veux ton cheval en échange.

La jeune femme écarquilla ses yeux, scandalisée.


—Tu ne te paierais pas un peu ma tête ? Tu crois réellement que je vais te donner ma monture pour ce bout de ficelle ?

—Je n’ai pas perdu l’esprit ne t’emportes pas de la sorte, je ne me fiche pas de toi, ce pendentif vaut bien ton cheval, peut être même qu’il en vaut plus, tu comprendra quand je te dirai, ne pars pas.

—Je n’ai pas beaucoup de temps !

—Ne t’en fais pas, ça ne sera pas long à expliquer. Mais tu dois bien tout écouter.

—Ça ne devrait pas être trop difficile...

—Bien. Comme je te l’ai déjà dit, son histoire m’a été comptée par mon oncle. Le nom de Mérénias ne te dit certainement rien mais il est célèbre depuis des siècles dans nos tribus, plus particulièrement à Orbae. On raconte ces histoires de générations à générations afin d’honorer sa mémoire. Il est ainsi garanti que jamais son histoire ni son nom ne se perdent dans l’oubli.
Il s’agissait d’un jeune homme assez peu commun, pour tout te dire, toute la tribu ainsi que les tribus voisines le prenaient pour fou... C’est pourquoi il était toujours seul. Les gens l’évitaient, au mieux, il agissaient tout simplement comme s’il n’existait pas. On disait que c’était un menteur avéré...ayant perdu toute bonne raison. Il ne cessait de répandre de tout part des paroles assez étranges... troublantes.

Kosmas marqua une pose, les yeux baissés en direction du collier.

—Que disait-il de si étrange ? L’encouragea Sérénya.

—Il racontait toujours la même chose... Il racontait souvent avoir vu une chose, ou plutôt une bête, dans les hauteurs même des forêts bizanthiennes.

—Une bête ?

—Oui. Il disait avoir aperçu un serpent géant d’au moins trois fois la taille de cet arbre au loin.

—Un…serpent…géant ?! S’exclama t’elle abasourdie. Comme...ceux des vieilles légendes ?

—C’est assez difficile à dire, personne ne prenait vraiment la peine de l’écouter.

—Il y a de quoi, c’est vraiment absurde tout ça... Cet homme devait effectivement être fou. Quel est le rapport avec notre affaire ?

Sans qu’ils ne s’en étaient rendue compte, la foule auparavant éparpillée sur la place du désert s’était concentrée autour d’eux, attirée par les exclamations de surprise de Sérénya et curieux de l’étrange histoire comptée par Kosmas.

—Mérénias voulait absolument prouver qu’il n’avait pas perdu l’esprit, alors un jour il parti sans rien dire se réfugier dans les hauteurs. Personne ne savait ce qu’il y était allé faire, d’ailleurs au fond, personne ne s’en souciait véritablement. Il disparut une semaine...puis deux. Les gens commencèrent à s’inquiéter, certains le croyaient mort... D’autres pensaient qu’il avait fui vers d’autres villages suite aux moqueries devant lesquelles il devait faire face tous les jours. 
Mais peu de temps après il est revenu. Et dans quel état... C’était à peine s’il était reconnaissable. Blessé de tout part, du sang sur tout le corps, il ne tenait plus debout. Lorsqu’on le questionna, tout ce qu’il pu répondre était qu’à présent on avait plus à le prendre pour un fou. Personne n’y comprenait rien, les gens étaient effrayés et hurlaient comme des hystériques. Ce n’est que quelques minutes plus tard que l’on s’aperçut qu’il traînait avec lui un grand et lourd sac lui aussi couvert de sang. Dans un geste désespéré il le lança au beau milieu de la foule avant de s’effondrer. Il était mort en quelques secondes... Sais-tu ce qu’il y avait dans ce sac Sérénya ?

Sérénya parut hésitante, le souffle court, le récit inachevé lui restant au travers de la gorge. Cependant, reprenant ses esprits elle répondit.

—Je ne sais pas..., c’est toi le compteur !

—Ce qui contenait le sac...

Il releva la tête et posa son regard sur les iris foncés de Sérénya.

—…Ce qui contenait le sac n’était rien d’autre que la tête ensanglantée du serpent.

—La…quoi ? Qu’est ce que tu dis ?

—Oui, Mérénias avait ramené la tête de la chose pour prouver ses dires et laver son honneur. Mais bon, le truc, c’est qu’il est mort.
—J’avais compris ça.

—Peu de temps après on retrouva le reste du corps du serpent, sauf qu’il était beaucoup plus proche de l’emplacement des habitations que l’on pensait... On se rendit compte que le dragon se déplaçait en direction de notre village. Le lendemain s’il avait été encore en vie il se serait certainement attaqué la tribu...

—Attends, Mérénias a sauvé votre village ?

—Exactement, il a réussi à arrêter la bête avant qu’elle ne puisse s’en prendre à l’un des nôtres. Depuis ce jour les gens se repentirent et tous changèrent d’avis à son égard. Il était un héros...sauf qu’il était mort.

—Merci je crois que j’ai vraiment compris cette partie de l’histoire.

—Oui pardon. Mais l’histoire ne se termine pas là, et ce qui nous intéresse c’est cette partie précise de l’anecdote.
—Que s’est-il passé ensuite ?

—Le corps du serpent géant ne pouvait être détruit. On avait tout essayé, on tenta de le brûler, de le trancher...rien à faire. Et les choses se compliquèrent quand on découvrit que le tête du serpent repoussait.

—QUOI ? C’est insensé !

—Toute l’histoire depuis son commencement paraît insensé alors pourquoi pas une tête de serpent géant qui repousse ?

—Je n’ai pas dit que je croyais à ton histoire idiote !

—Et pourtant tu veux connaître la fin.

—Puisque tu as commencé...

—Je vais la terminer de toutes manières, je me passerai de tes prétextes douteux.

Sérénya parut outrée. Néanmoins elle garda son calme, ne voulant pas perturber Kosmas et redoutant qu’il ne veuille plus raconter l’aboutissement de l’histoire.

—Le sorcier de notre tribu a alors été appelé en urgence. C’était la dernière chance pour la tribu de se débarrasser de ce monstre. Celui-ci étudia son bouquin durant 5 jours, reclus seul dans sa cabane. Il fallait absolument qu’il se hâte avant que la tête du serpent n’ait entièrement repoussé. Tous les efforts de Mérénias ne pouvaient être vains ! Alors au bout de ces 5 jours il couru chez le forgeron, mais personne ne sut axactement ce qu’ils se dirent. Une heure plus tard tout deux se pressèrent jusque l’endroit ou se trouvait le corps du serpent. Le sorcier sortit une petite chose dorée de sa poche, qu’il jeta sur le sol. Les gens dans leur totale incompréhension entourèrent la scène en essayant tant bien quel mal de garder les enfants trop curieux sous leur bras. Le sorcier leva alors les bras en l’air et prononça quelques incantations. Il semblait à la fois concentré et effrayé. Il resta dans cette même position pendant près d’une heure, murmurant des mots inaudibles. Tout à coup un bruit sourd résonna et comme par enchantement le serpent fut aspiré dans le petit objet doré qu’on avait tantôt disposé sur le sol. Les gens n’en crurent pas leurs yeux. Les femmes avaient arrêté de respirer. Le sorcier s’avança lentement et ramassa l’objet. Il le remit calmement dans sa poche et déclara simplement que personne n’avait plus rien à craindre. Pas un ne put s’expliquer ce qui venait de se passer, mais leur joie était bien trop immense pour s’en soucier véritablement. Tu te doutes bien de ce qu’était cet objet pas vrai ?

—Le collier...

—Ce sorcier qui sauva toute la tribu de ce monstre était un de mes ancêtres. On dit qu’il possède certaines vertus magiques en ce qu’il protège son propriétaire contre toute attaque. L’esprit du serpent est encore éveillé dans ce bijou. Son corps y est certes enfermé mais des pouvoirs continuent à en émaner. Chaque propriétaire acquiert une puissance inimaginable. Ce collier, nous nous le confions de génération en génération depuis cette anecdote. La seule raison pour laquelle je suis prêt à te le laisser est que je n’ai aucun avantage à y tirer si ce n’est de l’argent. Je ne veux pas être guerrier, je veux juste être marchand, il ne me servira donc à rien. Mon oncle, qui me l’a lui même confié, a bien précisé que je pouvais en faire tout ce que je voudrais.

—Comment veux-tu que je croies à une chose pareille... ?

—Pourtant tout est vrai. Et si ce n’est pas toi, ce sera quelqu’un d’autre qui l’aura. 

Kosmas leva la tête et sourit à la foule qui les entourait, le regard avide à présent qu’il connaissaient tous l’histoire. Sérénya leva à son tour la tête et, constatant la chose, ne put s’empêcher d’accepter.


—Tu fais bien, c’est sans doute la meilleure affaire de ta vie.

Kosmas tendit le collier à la jeune amazone avant de se diriger vers le point d’eau. Il détacha le cheval et caressa son museau.


—Les amazones peuvent bien être hostiles, elle ne résistent pas à quelque histoire fabuleuse et la magie. Je ne sais pas même d’où vient ce collier, il était par terre sur le sable, il ne doit rien valoir. Il m’a rapporté un cheval. Oncle avait raison, le talent des marchands d’Orbae réside dans leur capacité à mentir, qualité qu’il faut savoir user en toute intelligence.