Azad Ziya Eren est l’un des rares jeunes poètes de Turquie dont l’œuvre est parvenue à passer les frontières. Fondateur des revues Pitoresk Sanat (Art pittoresque) et Palto Sanat (Art paletot) dédiées à la peinture et à la poésie, il est l’auteur de nombreux recueils de poèmes dont beaucoup ont été traduits en allemand, anglais, arabe, arménien, français, kurde et syriaque. Il est aussi essayiste, romancier, dessinateur, peintre et photographe, sans parler de ses idées de films, qui se concrétiseront peut-être bientôt aux États-Unis où une fondation culturelle vient de lui allouer une bourse.
D’origine arménienne et kurde, Azad Ziya Eren est né le 27 octobre 1976 à Diyarbakir en Anatolie, dans le Sud Est de la Turquie. Après des études de biologie, il devient instituteur et exerce à Sakizköy, un village de sa région natale majoritairement peuplée de Kurdes. Une expérience âpre et difficile, tant humainement que physiquement, qu’il raconte sans faux semblant dans Instituteur de campagne en Anatolie (Bleu autour). Dans la lignée de Mahmut Makal, « instituteur-paysan » qui raconte la même expérience en 1948 dans Un village anatolien, il fait preuve du même réalisme et de la même sincérité dans son journal, sans chercher à sublimer son rôle. Il ne cherche pas non plus à mythifier cette population qui vit dans la misère, réticente ou indifférente à l’éducation qu’il propose, sans égard pour lui ; tantôt méprisé, menacé, il sera même cambriolé. Rien ne semble avoir vraiment changé depuis 50 ans et le livre de Mahmut Makal. Lucide, Azad Ziya Eren expose ses nombreux doutes et sa souffrance dans son journal : « En fait de gratification, l’enseignement vous lamine »
Poète et illustrateur, il commence à publier ses premiers écrits dans des revues à partir de 1997. Deux ans plus tard, il est arrêté et torturé pendant 10 jours, peu après l’arrestation du leader kurde du PKK, Abdullah Öcalan. Aucun crime commis, si ce n’est d’être un intellectuel. En 2003, on lui propose de publier son journal d’enseignant sous forme d’un feuilleton dans la revue Kitap-lik. Son journal publié, les supplétifs militaires du village de Sakizköy se font de plus en plus menacant. Il est alors nommé à Diyarbakir où il exercera pendant 10 ans.
En 2009, il reçoit le prix de poésie Metin Atliok. La même année il est l’invité de l’association rochelaise Larochellivre et réside au Centre Intermondes pour la saison de la Turquie. Également peintre et photographe, Azad Ziya Eren présente à cette occasion une exposition de toiles intitulée La nudité et la poésie. Après un long séjour en France, il expose ses photographies en Turquie en 2010 sous l’intitulé Le Tour de France en 80 jours. Il est l’auteur de monographies sur Paris et les villes turques Diyarbakır et Mardin.
En 2015, Recep Tayyip Erdoğan relance la guerre au Kurdistan. L’école d’Eren est détruite, il est blessé deux fois. Il part pour Istanbul. Après le coup d’État raté de juillet 2016, il perd son emploi d’instituteur comme des milliers d’autres, soupçonnés d’être opposants au régime. Alors qu’il se rendait en France pour une résidence à Saint-Pourçain-sur-Sioule, son passeport et ceux de sa famille sont confisqués à l’aéroport le 19 décembre 2016. Le Maire de La Rochelle, Jean-François Fountaine, intervient à plusieurs reprises auprès des autorités françaises en Turquie afin qu’elles intercèdent auprès de leurs homologues turques et l’autorisent à se déplacer. Ils sont logés depuis leur arrivée dans un appartement appartenant à la Ville de La Rochelle.
Dans le cadre du Printemps des Poètes l’année dernière, une exposition lui est consacrée intitulée Un fil tendu vers Azad Ziya Eren. En France, c’est notamment grâce aux éditions Bleu autour qu’on a pu découvrir le travail d’Azad Ziya Eren. Il y a d’ailleurs publié l’année dernière son journal d’un Instituteur de campagne en Anatolie, la chronique du village turc de Sakizköy où il prend ses fonctions en 2002 au sortir de l’université. Cette année, il fait publier en français son premier roman chez Bleu Autour : Zagros, fils de Chronos. L’histoire de Zagros, enfant kurde, contraint à l’exil avec sa famille de tisserands de kilims après l’assault de son village. Le tragique de l’exil est de tous les temps, nous dit ce roman fantastique et moderne, mythologique et littéraire, où apparaissent le paon sacré des Yézidis, la capitaine Achab de Moby Dick, le prince Dakkar (alias capitaine Némo) de Jules Verne, et les yeux profonds comme les mers des étonnants voyageurs de Baudelaire…
Bibliographie sélective en langues étrangères :
- Zagros, fils de Chronos (Bleu Autour, 2018)
- Instituteur de campagne en Anatolie (Bleu Autour, 2017)
- Graine à queue récit d’enfance, Italique, poème extrait du receuil Yitik Baykus, (éd. Noktürn, 2012), parus dans le receuil de récits inédits Une enfance turque, éd. Bleu Autour, 2015.
- Sur les chemins mystérieux, Portrait d’un philosophe, La formation obligatoire, Élections et subsistance, extraits du Journal de Sakizköy (YKY 2004) parus dans L’autre Turquie (reportages littéraires), éd. Galaade, Paris 2014)
- Poème (Eau-robuste) pour Ilhan Berk, (YKY 2009), J’ai vu la mer, revue Siècle 21 n°15, 2009 et repris revue Confluences poétiques, juin 2012.