TOKARCZUK Olga

Pologne

Le Banquet des Empouses (Noir sur Blanc, 2024)

© Łukasz Giza

L’autrice polonaise la plus traduite au monde est notre invitée en Carte Blanche à Saint-Malo du 18 au 20 mai pour la 34e édition d’Étonnants Voyageurs, à l’occasion de la publication de son dernier roman, Le Banquet des Empouses (Éditions Noir sur Blanc).

« Comment construire mon récit pour qu’il puisse porter cette immense constellation qui forme le monde ? » Olga Tokarczuk résume ainsi ce qui anime son écriture et qui infuse ses romans, essais et pièces de théâtre. Portée par une curiosité insatiable, une ambition encyclopédique, elle construit au fil de ses ouvrages une oeuvre dense, riche et hypersensible, qui lui a valu, en 2018, le Prix Nobel de littérature. Comme elle l’affirme dans son discours de réception du prix, elle cherche à faire naître un « narrateur qui outrepasse la perspective de l’auteur comme celle des personnages et projette un regard cosmique sur l’action ».
Dès ses premiers écrits, elle convoque le mystère, l’irrationnel et le voyage dans le quotidien de personnages extravagants. Le réel et le mystique s’entremêlent ainsi jusqu’à se fondre dans Dieu, le temps, les hommes et les anges (Robert Laffont, 1998), son premier grand succès.
On lui doit notamment Les Pérégrins (2010), inclassable patchwork de fragments littéraires, de bribes de conversations, d’anecdotes et de réflexions nées de ses propres voyages ; Sur les ossements des morts (2012) une fable écologiste noire adaptée au cinéma par Agniezska Holland ; Les livres de Jakób (2018) une somme encyclopédique, épopée universelle dans l’Europe des Lumières explorant la vie de Jakób Frank, un hérétique se prenant pour le Messie ; ou encore les recueils de nouvelles visionnaires Histoires bizarroïdes (2020) et Jeu sur tambours et tambourins (2023).
Dans son nouveau roman Le Banquet des Empouses, pastiche espiègle en hommage à La Montagne Magique de Thomas Mann, elle questionne la fluidité de nos univers, de nos identités et de nos corps."

Née en 1962, Olga Tokarczuk a grandi en Basse-Silésie, dans le sud-ouest de la Pologne, dont le passé est allemand et le présent polonais. Ses grands-parents firent partie de ces milliers de migrants expulsés des régions orientales du pays, cédées à l’URSS au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Cette histoire migratoire familiale a forgé pour beaucoup une relation singulière à l’espace qu’Olga Tokarczuk résume par ces mots : « Apparemment, il me manquait ce gène qui fait que, dès que l’on s’arrête un peu plus longtemps quelque part, on y plonge ses racines. Ce n’était pas faute d’avoir essayé. Tout simplement, mes racines ne s’enfonçaient pas assez profondément, de sorte que le moindre souffle de vent me bousculait. Je n’arrivais pas à germer, je n’ai pas reçu ce don propre aux végétaux. Je ne tire pas ma sève de la terre (…) »
De ce mouvement perpétuel naît Les Pérégrins, patchwork inclassable de fragments littéraires, de bribes de conversation, d’anecdotes personnelles et de réflexions nées dans des aéroports, des hôtels ou des halls anonymes récompensé par le Prix Nike (le Goncourt polonais).

« Si la narration change, le monde change. »
Diplômée de psychologie de l’université de Varsovie, elle conserve de sa formation la conviction « qu’il n’y a rien d’objectif, que nous ne pouvons percevoir la réalité que depuis tel ou tel point de vue », affirmant par ailleurs qu’« entre l’homme et la réalité, il y a un processus très intéressant d’interprétation. C’est là que commence la littérature ».
Et, dès ses premiers écrits, le mystère, l’irrationnel et le voyage s’invitent dans le quotidien de personnages extravagants. Elle s’inscrit se faisant dans le courant du réalisme magique où le réel et le mystique s’interpénètrent jusqu’à se fondre l’un dans l’autre comme dans Dieu, le temps, les hommes et les anges (Robert Laffont, 1998), son premier grand succès.

Traversée par le désir de trouver des réponses aux questions existentielles sur le mystère de la vie humaine, son œuvre s’attache à abolir les frontières entre les genres littéraires, qu’elle qualifie, dans son discours de réception du Prix Nobel, de barrières stériles engendrées par le capitalisme contemporain. Dans ce discours, elle résume également l’ambition toute particulière de sa plume érudite : trouver des manières nouvelles de raconter le monde. Un narrateur fait de toutes les particularités du tout vivant qui nous entoure, capable d’empathie et de tendresse - « la variante la plus humble de l’amour » - envers chacun des personnages constitue pour elle l’unique manière de rendre compte du commun de l’expérience humaine.

Écologiste, féministe, proeuropéenne pessimiste tendre, l’écrivaine polonaise demeure convaincue des pouvoirs de la littérature, capable de ressouder les imaginaires. Dans cette période de grands bouleversement de vie, de mentalité et même de philosophie que nous traversons, elle se dit convaincue de la nécessité de créer de nouveaux mythes.

En 2020, elle créée la Fondation Olga Tokarczuk à Wroclaw grâce à son Prix Nobel dans le but de soutenir la culture et l’art polonais dans le monde, et dans le soucis de défendre les droits humains et civiques, la protection de l’environnement, et les droits des femmes. Une institution qui se positionne pour une société démocratique où la liberté d’expression et l’égalité sont les valeurs cardinales. Prolongeant ainsi dans le réel les ambitions portées par son œuvre littéraire. En 2021, elle reprend la direction du Festiwal Gory Literatury, qui se déroule chaque année en juillet.


Bibliographie

  • Le Banquet des Empouses, trad. du polonais par Maryla Laurent (Noir sur blanc, 2024)
  • Jeu sur tambours et tambourins, trad. du polonais par Maryla Laurent (Noir sur blanc, 2023)
  • Le tendre narrateur. Discours du Nobel et autres textes, trad. du polonais par Maryla Laurent (Noir sur blanc, 2020)
  • Histoires bizarroïdes, trad. du polonais par Maryla Laurent (Noir sur blanc, 2018)
  • Les livres de Jakób, trad. du polonais par Maryla Laurent (Noir sur blanc, 2018)
  • Les enfants verts, trad. du polonais par Margot Carlier (Éditions la Contre allée, 2016)
  • Les Pérégrins, trad. du polonais par Grażyna Erhard (Noir sur blanc, 2010)
  • Sur les ossements des morts, trad. du polonais par Margot Carlier (Noir sur blanc, 2012)
  • Récits ultimes, trad. du polonais par Grażyna Erhard. (Éd. Noir sur blanc, 2007)
  • Maison de jour, maison de nuit, trad. du polonais par Christophe Glogowski (R. Laffont, 2001)
  • Dieu, le temps, les hommes et les anges, trad. du polonais par Christophe
  • Glogowski (R. Laffont, 1998)
Le Banquet des Empouses

Le Banquet des Empouses

Noir sur Blanc - 2024

En septembre 1912, lorsqu’il arrive au sanatorium de Görbersdorf, dans les montagnes de Basse-Silésie, le jeune Wojnicz espère que le traitement et l’air pur stopperont la maladie funeste qu’on vient de lui diagnostiquer : tuberculosis. À la Pension pour Messieurs, Wojnicz intègre une société exclusivement masculine, des malades venus de toute l’Europe qui, jour après jour, discutent de la marche du monde et, surtout, de la « question de la femme ». Mais en arrière-plan de ce symposium des misogynies, voici que s’élève une voix primordiale, faite de toutes les voix des femmes tant redoutées…

Hypersensible, malmené par un père autoritaire, Wojnicz veut à toute force étouffer son ambiguïté et dissimuler aux autres ce qu’il est ou redoute de devenir. Pourtant, une mort violente, puis le récit d’autres événements terribles survenus dans la région, vont le conduire à sortir de lui-même. Alors qu’il est question de meurtres rituels et de sorcières ayant trouvé refuge dans les forêts, notre héros va marcher au-devant de forces obscures dont il ne sait pas qu’elles s’intéressent déjà à lui.

Traduit du polonais par Maryla Laurent

Jeu sur tambours et tambourins

Jeu sur tambours et tambourins

Noir sur Blanc - 2023

Visionnaire lors de sa parution en 2001, ce recueil de nouvelles d’Olga Tokarczuk n’a rien perdu de son mordant, ni de sa pertinente actualité. Avec une espièglerie qui rappelle Nabokov, la romancière polonaise nous dévoile un quotidien truffé de portes secrètes, de miroirs traversés et d’autres distorsions de l’espace et du temps. Une année à Berlin, un séjour au Mont-Noir, un mois de résidence en Écosse, sont le point de départ de plusieurs de ces nouvelles, et l’on verra que l’anodin d’une bourse d’écriture peut conduire aux paradoxes les plus fous.

Comment les gens se comportent-ils lorsque se brouillent les frontières entre fiction et réalité ? Un écrivain surprend un matin, assis à sa table, un double de lui-même qui corrige tranquillement son dernier manuscrit... Une lectrice de romans policiers trouve le moyen d’intervenir dans l’intrigue, beaucoup trop molle, du mauvais polar qu’elle a commencé... et les morts, soudain, vont se multiplier. En séjour à Berlin, une femme d’âge moyen s’étonne de devenir quelconque dans le maelstrom de la grande ville, avant de goûter au plaisir de pouvoir être n’importe qui : tour à tour une Turque voilée, un homme d’affaires, une petite fan de Britney Spears...

Traduit du polonais par Maryla Laurent


Maison de jour, maison de nuit

Maison de jour, maison de nuit

Noir sur Blanc - 2021

Une jeune femme s’installe avec R., son mari, dans un hameau perdu de Basse-Silésie, à quelques dizaines de mètres de la frontière tchèque. Nous sommes aussitôt après la chute du régime communiste en Pologne, mais ce n’est pas l’unique changement perceptible : les maisons, les jardins et les forêts environnantes regorgent de vestiges et de traces laissées par les Allemands qui vivaient autrefois, majoritaires, dans cette région. Strates de terre, strates de temps, le hameau prend rapidement les dimensions de l’univers, puisque les possibilités de narrations, à partir de lui, sont infinies.
D’une imagination débordante, mêlant légendes, ragots de villageois, explorations des rêves et de l’Internet naissant, recettes de cuisine et fines observations de nos contemporains, ce roman d’Olga Tokarczuk est l’épopée d’un tout petit lieu, avec une ahurissante galerie de personnages, dont Marta, la voisine, perruquière fantasque, qui amorce et tisse les histoires, Marek Marek qui se saoule à mort pour ne plus sentir l’énorme oiseau qui est dans sa poitrine, ou encore Ergo Sum, le professeur de latin qui se changera en loup-garou... et jusqu’à sainte Kümmernis, ravissante femme à barbe crucifiée par son père.

Traduit du polonais par Maryla Laurent


Le tendre narrateur. Discours du Nobel et autres textes

Le tendre narrateur. Discours du Nobel et autres textes

Noir sur Blanc - 2020

La complexité grandissante du monde, l’interdépendance largement insoupçonnée de tous ses éléments, voilà qui exige, selon Olga Tokarczuk, « de nouvelles façons de raconter le monde ». Et si les deux premières décennies du siècle ont été le triomphe des séries télé, il est certain que la littérature n’a pas dit son dernier mot. Elle est la mieux à même de travailler à partir de fragments, de révéler un spectre plus large de la réalité, pour autant qu’elle se libère du vieux moi-narrateur.
 
Le « tendre narrateur », c’est l’invention d’une quatrième personne du sujet, une voix à la fois impersonnelle et douée de tendresse, « la plus modeste forme de l’amour », celle qui permet de porter attention à tout ce qui n’est pas soi – les autres, les animaux, les éléments –, avec la conscience « un peu mélancolique » d’une communauté de destin.
 
Suivi d’un texte intitulé « Les travaux d’Hermès, ou comment, chaque jour, les traducteurs sauvent le monde », et d’un inédit sur la période du confinement, « La Fenêtre », dans lequel l’auteure expose les craintes et les espoirs que lui inspire l’avenir.

Traduit du polonais par Maryla Laurent


Histoires bizarroïdes

Histoires bizarroïdes

Noir sur Blanc - 2020

Lauréate du prix Nobel de littérature en 2018, Olga Tokarczuk nous offre un recueil de nouvelles qui vient confirmer l’étendue de son talent : qu’elle se penche sur les époques passées ou qu’elle s’amuse à imaginer celles du futur, elle a toujours le souci d’éclairer le temps présent et ne se défile devant aucune des questions qui se posent aujourd’hui à nous.
L’esprit d’enfance, le désir d’immortalité, le délire religieux mais aussi le transhumanisme, le rapport à la nature, la fragilité de la civilisation : sans surenchère dans la dystopie, sans jamais de complaisance dans la noirceur, Olga Tokarczuk nous fait mesurer les espaces infinis de ce qui échappe à notre connaissance.
Mais pour cette écrivaine qui excelle à découvrir des connexions et des correspondances, le salut réside assurément dans les puissances de l’imaginaire et dans l’acceptation par chacun de sa propre étrangeté.

Traduit du polonais par Maryla Laurent


Les livres de Jakób

Les livres de Jakób

Noir sur Blanc - 2018

Hérétique, schismatique, Juif converti à l’islam puis au christianisme, libertin, hors-la-loi, magicien, tour à tour misérable et richissime, Jakób Frank a traversé l’Europe des Lumières comme la mèche allumée d’un baril de poudre. De là à se prendre pour le Messie, il n’y avait qu’un pas – et il le franchit allègrement. Le dessein de cet homme était pourtant très simple : il voulait que ceux de son peuple puissent, eux aussi, connaître la sécurité et le respect de tous.
 
La vie de ce personnage historique est tellement stupéfiante qu’elle semble imaginaire. Un critique polonais dit qu’il a fallu à Olga Tokarczuk une « folie méthodique » pour l’écrire. On y retrouve les tragédies du temps, mais on y goûte aussi les merveilles de la vie quotidienne : les marchés, les petits métiers, les routes incertaines et les champs où l’on peine, l’étude des mystères et des textes sacrés, les histoires qu’on raconte aux petits enfants, les mariages où l’on danse, les rires et les premiers baisers.
 
Cette épopée universelle sur l’émancipation, la culture et le désir est une réussite absolue : elle illustre la lutte contre l’oppression, en particulier des femmes et des étrangers, mais aussi contre la pensée figée, qu’elle soit religieuse ou philosophique.
 
Ainsi que le dit le père Chmielowski, l’autre grand personnage de ce roman, auteur naïf et admirable de la première encyclopédie polonaise, la littérature est une forme de savoir, elle est « la perfection des formes imprécises ».


  • “Un « grand voyage à travers sept frontières, cinq langues, trois grandes religions ». Une épopée extravagante, où le souffle romanesque et l’érudition oeuvrent de concert.” Télérama
  • “Olga Tokarczuk a tiré une fabuleuse chronique de la trajectoire d’un mystique, subversif et manipulateur, dans une Pologne multiethnique. Passionnant de bout en bout.” Le Temps

Sur les ossements des morts

Sur les ossements des morts

Noir sur Blanc - 2012

Il y a un vieux remède contre les cauchemars qui hantent les nuits, c’est de les raconter à haute voix au-dessus de la cuvette des W.-C., puis de tirer la chasse. Après le grand succès des Pérégrins, Olga Tokarczuk nous offre un roman superbe et engagé, où le règne animal laisse libre cours à sa colère. Voici l’histoire de Janina Doucheyko, une ingénieure en retraite qui enseigne l’anglais dans une petite école et s’occupe, hors saison, des résidences secondaires de son hameau. Elle se passionne pour l’astrologie et pour l’œuvre de William Blake, dont elle essaie d’appliquer les idées à la réalité contemporaine. Aussi, lorsqu’une série de meurtres étranges frappe son village et les environs, au cœur des Sudètes, y voit-elle le juste châtiment d’une population méchante et insatiable. La police enquête. Règlement de comptes entre demi-mafieux ? Les victimes avaient toutes pour la chasse une passion dévorante. Quand Janina Doucheyko s’efforce d’exposer sa théorie – dans laquelle entrent la course des astres, les vieilles légendes et son amour inconditionnel de la nature –, tout le monde la prend pour une folle. Mais bientôt, les traces retrouvées sur les lieux des crimes laisseront penser que les meurtriers pourraient être… des animaux !