DEBRAY Régis

France

Jeunesse du sacré (Gallimard, 2011)

Biographie

Lorsqu’on associe le nom de Régis Debray à une île des Caraïbes, c’est d’abord à Cuba qu’on pense. Son agrégation de philosophie en poche, l’intellectuel français a en effet séjourné longuement à la Havane. Il y écrit en 1966 un petit essai, promis à un grand retentissement : Révolution dans la révolution ? Partisan de la guerilla révolutionnaire latino-américaine, il devient à l’époque un compagnon de route d’Ernesto Guevara : son engagement en Bolivie aux côtés du Che lui vaudra ainsi d’être emprisonné de 1967 à 1971 dans les geôles de Camiri.

Revenu de ses illusions lyriques, il est de 1981 à 1985 chargé de mission pour les relations internationales auprès du Président Mitterrand. Retiré de la vie politique au début des années 1990, Régis Debray soutient en 1993 une thèse de doctorat, « Vie et mort de l’image. Une histoire du regard en Occident », à la suite de laquelle il lance les Cahiers de médiologie, dédiés à l’étude des « voies et moyens de l’efficacité symbolique ». La question du "sacré", à ne pas confondre avec le religieux, traverse l’ensemble de sa pensée : il y consacre en 2011, un nouveau livre richement illustré, intitulé Jeunesse du sacré. Fasciné par la capacité des sociétés humaines à "faire du sacré avec du profane", il s’intéresse en médiologue aux objets, aux rituels et aux lieux qui matérialisent ces points de référence mythiques, "événement, héros ou mythe fondateur", cristallisant l’identité d’une collectivité. Avec un postulat de départ : il n’y a pas de collectif sans transcendance.

« Deux choses menacent les groupes humains : le sacré et le profane.
Si le sacré est partout, ils s’ankylosent.
S’il n’est nulle part, ils se décomposent.
Trop de marques de déférence, voilà le collectif réassuré mais des individus humiliés de ne pas être à la hauteur.
Pas assez, c’est Narcisse-roi mais un peuple qui doute, ou se dégoûte. » Jeunesse du Sacré (Gallimard, 2011)

Les arts plastiques occupent bien sûr une place de choix dans cette réflexion sur les "armatures matérielles du monde spirituel". Grand connaisseur du monde latino-américain et spécialiste de l’image, Régis Debray donne en 1992, à l’occasion de l’anniversaire de la "découverte" des Amériques par les européens, une préface au catalogue de l’exposition « La rencontre des deux mondes vue par les peintres d’Haïti », organisée à Paris par Jean- Marie Drot. L’occasion de célébrer la peinture haïtienne : un art populaire, poétique et politique, "où chacun parle pour tous, de ce qui est commun à tous". Où derrière le don plastique d’autodidactes visionnaires transparaît l’ "exceptionnelle personnalité collective" du peuple d’Haïti.

Dix ans plus tard, alors que le Président Aristide réclame à la France 21 milliards de dollars, en remboursement des sommes payées au XIXème siècle par la jeune République d’Haïti aux rois français, Régis Debray se voit confier par le Président Chirac un rapport sur les relations franco-haïtitennes, remis en janvier 2004.

« Haïti fait partie de notre histoire, mais non de notre mémoire. (...) Nous sommes partie prenante au légendaire haïtien, lequel n’a aucune place dans le nôtre. Les esclaves insurgés de 1791 ont pourtant donné son faire au dire de 1789. »

Écartant l’idée de réparations financières, Régis Debray déplore néanmoins dans ce texte l’oubli dans lequel est tenu en France le double évènement que constitue la naissance de la première nation indépendante d’Amérique du sud (1804) et de la première république noire du monde. "Combien de Français savent que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen fut initiée à Paris mais accomplie à Saint-Domingue, où les droits de l’homme blanc devinrent, presque à notre insu, universels pour de bon ?"


En savoir plus :


Bibliographie sélective :

Philosophie et Religions

  • Jeunesse du sacré (Gallimard, 2011)
  • Les communions humaines. Pour en finir avec « la religion »(Fayard, 2005)
  • Le Feu sacré, fonctions du religieux (Fayard, 2003)
  • Dieu, un itinéraire, Matériaux pour l’histoire de l’Éternel en Occident(Odile Jacob, 2002)
  • Critique de la raison politique ou l’inconscient religieux (Gallimard, 1981 ; réédition Gallimard, 1987)

Art

  • Sur le pont d’Avignon (Flammarion, « Café Voltaire », novembre 2005)
  • L’œil naïf (Le Seuil, 1994)
  • Vie et mort de l’image, une histoire du regard en Occident (Bibliothèque des Idées, Gallimard, 1992 ; réédition Folio Essais nº 261, Gallimard, 1994)
  • Éloges (Gallimard, 1986)

Médiologie

  • Introduction à la médiologie ( P.U.F, 1999)
  • Cours de Médiologie générale (Gallimard, 1991)

Littérature

  • Par amour de l’Art, une éducation intellectuelle (Gallimard, 1998 ; Folio nº 3352, Gallimard, 2000) Trilogie autobiographique « Le temps d’apprendre à vivre »
  • Loués soient nos seigneurs, une éducation politique (Gallimard, 1996 ; Folio nº 3051, Gallimard, 2000) Trilogie autobiographique « Le temps d’apprendre à vivre »
  • Les Masques, une éducation amoureuse, (Gallimard, 1988 ; Folio nº 2348, Gallimard, 1992) Trilogie autobiographique « Le temps d’apprendre à vivre »
  • La Neige brûle( Grasset, 1977) (prix Femina).

Présentation de Jeunesse du sacré

Agile et d’accès aisé, ce livre novateur dans sa facture ne juxtapose pas un texte et des images (environ deux cents) mais les fait dialoguer. Le texte explique et l’image questionne l’explication. On ne peut lire sans regarder ni regarder sans lire.
Le sacré est un sujet crucial et d’actualité. Dans le monde d’abord, où s’enflamment guerres de religion et « chocs des civilisations », autour d’enjeux insurmontables parce que sacralisés. En France ensuite, où chaque communauté brandit son sacré à elle (génocide, viande halal, embryon, euthanasie…) pour se replier sur son périmètre et s’opposer à ses voisines. Tandis que notre pays, obscurément, court après des valeurs fédératrices et rassembleuses.
Jeunesse du sacré s’adresse à ceux qui croient au ciel comme aux autres. Aux lycéens, parce que c’est un album avec des images insolites ou cocasses. Aux enseignants, parce que c’est un mémento qui résume en termes simples des études érudites et lance des ponts entre disciplines : géographie, histoire, beaux-arts, littérature, philosophie… À l’honnête homme, parce que c’est un mode d’emploi sans jargon ni appareil de notes, qui l’aidera à faire le net dans sa tête et sa vie : « Au fond qu’est-ce qu’il y a de sacré aujourd’hui pour moi ? »
Jeunesse du sacré est un livre utile pour nous débarrasser de fausses idées reçues, quitte à fâcher un peu en secouant des certitudes – la première de toutes étant celle qui confond sacré et religieux : Auschwitz n’est pas une synagogue, ni la flamme du Soldat inconnu un sanctuaire chrétien… Utile également à remettre en perspective les événements du jour dans les longues durées.
On pourra en somme faire servir ce vade-mecum illustré aussi bien à l’instruction civique qu’à des méditations personnelles et à l’histoire sociale du présent, y compris dans ses aspects les plus ordinaires.