Une soeur bien mystérieuse (incipit 2)

écrit par Aude CAILLER GRUET, en 2nde au Lycée David d’Angers à Angers (49)

27 mars 2013.
 

Ils crient dans leur langue et Kasim comprend qu’ils ont besoin d’aide. Il s’approche de l’eau. Les deux hommes ont trouvé des vêtements en piteux état : des lambeaux de jean ainsi qu’une tunique rose déchirée, sans doute des vêtements de femme. Quelque chose retient l’attention de Kasim. A quelques pas des vêtements, entortillé dans les hautes herbes, se trouve un médaillon. Le jeune homme s’en saisit discrètement et le met dans sa poche.

Il voit alors arriver le passeur. Le vieillard porte un long manteau noir maculé de boue et ses cheveux sales sont emmêlés par le vent. Il tire un canot pneumatique jaune au bout d’une ficelle. Lorsqu’il parvient jusqu’à la berge, il remarque les vêtements et murmure :

« Pauvre femme, il ne doit plus rester grand-chose d’elle ».

Soudain un voile semble tomber sur ses yeux ternes et reprenant son habituelle voix monotone :

« Vous pouvez partir, en plus vous n’êtes que sept, une chance… ».

Kasim et ses compagnons déposent leur argent dans la main tendue du passeur qui s’empresse de le ranger dans sa besace. Chacun a sans doute réuni toutes ses économies pour pouvoir traverser.

Tous les passagers embarquent. Les hommes aident la mère à faire monter ses filles dans le bateau. A sept ils ne sont pas trop serrés, mais le petit canot tangue sous l’effet des vagues. Les deux hommes à la peau claire, Kasim et le père des deux fillettes rament. La mère serre sa plus jeune fille dans ses bras. Son autre fille est roulée en boule à ses pieds, le regard perdu dans le vide. Ramer n’est pas chose aisée. Un silence de mort règne sur le bateau, seul le bruit des rames battant les flots déchainés se fait entendre.

Kasim est perdu dans ses pensées. Etait-ce une bonne idée de vouloir rejoindre sa sœur en Grèce ? Tout remonte à avant-hier, à cette lettre qu’il a reçue :

« Mon cher Kasim, cette lettre va te surprendre mais voilà, je suis ta sœur.

Papa et Maman m’ont eue cinq ans avant toi. Ils étaient trop pauvres pour m’élever et m’ont placée dans un orphelinat misérable, où j’ai vécu 15 ans mal-nourrie et maltraitée. Le jour de mes dix ans, Papa et Maman sont venus me voir à l’orphelinat et ont voulu me reprendre. Ils regrettaient, ils voulaient que tu aies une grande sœur… je n’ai jamais voulu les suivre. Cinq ans plus tard je me suis enfuie dans une autre ville où j’ai travaillé dur pour gagner de l’argent : serveuse, femme de ménage… Il m’est ensuite venu l’idée de partir en Europe, en Grèce, là où je pourrais connaitre une vie meilleure. Mais il me fallait plus d’argent.

J’imagine que tu es choqué de découvrir tous les secrets que Papa et Maman t’ont cachés, et que tu te demandes pourquoi je t’envoie cette lettre. Voilà, aujourd’hui je suis prête pour la Grèce et à l’heure où tu lis cette lettre je suis sans doute déjà partie. J’ai envie de te connaitre Kasim, car même si je déteste Papa et Maman, je veux savoir ce que ça fait d’avoir un petit frère. De plus, peut-être que toi aussi tu voudrais vivre une nouvelle vie en Grèce…

Je te propose de venir me rejoindre sur l’autre rive de l’Evros à « l’auberge d’Evros ». Je t’y attendrai une semaine.

Signé P.

P.S. : tu sauras mon prénom lorsque l’on se verra ; il est drôle : il fait penser aux enfers. Papa et Maman ne m’aimaient vraiment pas. »

Kasim était alors allé voir ses parents pour avoir des explications sur leurs mensonges. Une dispute avait éclaté et Kasim avait pris sa décision. De toute façon pourquoi s’attarder ici, où l’on n’a aucune chance de réussir ? Le temps de réunir quelques affaires, vêtements et argent, il était parti dès le lendemain.

Une éternité semble s’être écoulée quand les passagers du bateau aperçoivent la rive, l’Europe. Mais alors que tout le monde commence à se réjouir de leur arrivée prochaine, Kasim aperçoit sur l’autre rive un policier tenant en laisse un énorme chien noir et balayant les alentours avec une puissante lampe torche. Ils sont si proches, il n’a quand même pas fait tout ça pour rien ! Il plonge dans l’eau. Elle est froide, très froide, mais il n’a que quelques brasses à faire avant de se hisser sur le rivage et de ramper dans les hautes herbes.

Une fois qu’il a mis une bonne distance entre le policier et lui, le jeune homme se relève et court. Il marche le long d’un petit chemin de terre et aperçoit un panneau « Auberge d’Evros ». Sa sœur n’est maintenant plus loin. Après quelques minutes de marche, il discerne le bâtiment. Il se rue à l’intérieur. C’est une belle auberge rustique, avec des tables et des bancs en bois, des photos du fleuve ornent les murs. Il flotte dans l’air une délicieuse odeur de soupe et un feu ronfle dans la cheminée. Mais aucune trace de femme pouvant être P, elle est peut-être dans sa chambre à se reposer. Kasim va donc s’asseoir au coin du feu. Il pense à ses compagnons d’infortune, se demande ce qu’ils sont devenus. Dans leur joie ils n’ont pas dû voir le policier et, à l’heure qu’il est, celui-ci doit avoir arrêté ceux qui sont restés dans le bateau. Il pense au jeune couple et à leurs deux filles et espère que tout s’est bien passé pour eux. Les deux hommes à la peau claire ont peut-être eu le temps de plonger. Et puis au moins lui n’aura pas fait tout ça pour rien.

Kasim se rappelle alors du médaillon qu’il a trouvé près des vêtements et qu’il a discrètement mis dans sa poche. Il le sort et le frotte sur son T-shirt pour enlever la boue collée dessus. C’est un très beau bijou en métal doré. Sur une des faces sont gravées de jolies fleurs entremêlées d’arabesques tandis que l’autre face comporte une inscription : ‘’Perséphone‘’. Kasim en déduit que la malheureuse dont on a retrouvé les vêtements s’appelait Perséphone.

Quel nom étrange, cela lui fait penser aux légendes sur l’Enfer que lui racontait sa mère quand il était petit. Les Enfers ?

« Tu sauras mon prénom lorsque l’on se verra, il est drôle, il fait penser aux enfers. ».

Kasim commence à comprendre. La malheureuse Perséphone. Sa sœur P toujours absente. Les Enfers. Le passeur disant : « il ne doit plus rester grand-chose d’elle ».

Sa sœur Perséphone…