Texte de Daniel Chavarria

26 juin 2006.
 

C’est en 1571 que sir Francis Drake vit pour la première fois un lamantin, ce mammifère qui hante les eaux antillaises. Et c’est un esclave marron de Cuba qui lui a appris à le traire et à fabriquer un fromage dont la râpure, diluée dans du rhum et de la salive de tabac mâché, formait une crème si miraculeuse qu’il suffisait d’en frictionner le crâne d’un chauve pour que celui-ci retrouve une abondante chevelure en quelques jours.

Sir Francis, vassal et amant de la reine Elizabeth, très chauve, comme chacun sait, ordonna une grande chasse aux lamantins, les fit traire, confia la mastication du tabac à plusieurs prisonniers espagnols et rentra à Londres muni d’une grande cargaison de crème « lamantine ».

Her Majesty vomit tout son soûl, mais pas une seule mèche de cheveux ne parvint à orner son crâne en deux mois. S’estimant jouée, elle ordonna de décapiter le coupable. Mais Sir Francis parvint à s’évader en route vers l’échafaud de la Tour de Londres et à s’enfuir en France.

Cette fiction, projet d’un roman pour enfants, m’est venue à l’idée l’an dernier, alors que je me trouvais à Saint-Malo, une ville bien faite pour inspirer des histoires de pirates et de marins. Un après-midi où je me promenais sur la plage, près de la porte Saint-Thomas, je fus abordé par des écoliers de primaire qui me demandèrent si j’étais marin. Il avait suffi de ma peau hâlée, de mes cheveux longs et de ma barbe blanche, sans oublier ma casquette bretonne, cadeau d’un ami, pour qu’ils me prennent pour un loup de mer. Ils avaient été invités à participer à un festival littéraire local, nommé Étonnants Voyageurs, et leurs instituteurs leur avaient demandé d’aborder un marin pour que celui-ci leur raconte une histoire tirée de ses voyages qui serait publiée dans le journal de l’école. C’est alors que je leur racontai mon projet. Il leur plut, et j’en fus heureux.

Dans mon enfance, j’avais suivi avec passion un radio-feuilleton dont le héros était un loup de mer qui racontait des histoires de ses voyages à travers les Sept Mers. Ce fut là ma première vocation bien définie : je voulus être marin, bourlinguer, faire naufrage, aimer, vivre intensément et, devenu vieux, raconter des aventures exotiques aux plus jeunes en fumant ma pipe. En fait de marin, je n’ai été qu’un modeste loup de bar. Néanmoins, durant cet après-midi passé au milieu d’enfants bretons, j’ai senti que je n’avais pas voyagé en vain.

Daniel Chavarria
Traduit de l’espagnol (Cuba) par Jean-François Bonaldi