Texte d’Alain Dugrand

19 juin 2006.
 

Au-delà du fleuve et sous les arbres, Ivy Jardin tient table ouverte à l’auberge Robinson. Ridée comme une pomme, la dame d’Édimbourg déjeune au whisky et croque les bigorneaux avec leurs coquilles ! A huit générations près, Ivy est la descendante d’Alexandre Selkirk, le marin perdu qui inspira Daniel Defoe. L’Écossaise est partie pour l’Ile aux Trésors en compagnie de son grand fils. Afin de déposer une plaque sur l’îlot chilien et maudire Defoe qui fit de son aïeul un Anglais. Son dadais de garçon souffla un peu de cornemuse en mémoire du vieux.
Dans un débat, un professeur moque ce « Baden Powell Ernest Hemingway », auteur connu de récits de chasse et de pêche... Efflanqué, long comme un pain, l’écrivain canadien John Saül s’encolère : « Exanthème de la peau, alcoolisme, cataracte, diabète, néphrite, hépatite, hypertension, impuissance, pertes de poids et de mémoire, dépression... Dites ! Connaissez-vous beaucoup de scouts qui se fourrent le double canon d’un Boss calibre 12 dans la gueule et qui appuient sur la détente ? » En avoir ou pas...
Un rire entre deux quintes. Cuir de vieil Apache, yeux en griotte, infiniment courtois, ravi de vous rendre votre bonjour, Nicolas Bouvier déplie sa canne-chaise et observe la ligne d’horizon. Il rêve du courant marin de Wakanaï où le soleil se lève aussi, du paradis perdu des Balkans, des souvenirs d’un été dangereux à bord du bus du Cap Erimo, des vertes collines d’Afrique et des îles à la dérive. Et Nicolas rêve l’Océan. Assis. Sur la chaussée du Sillon. A Saint-Malo la voyageuse.

Alain Dugrand