Il me prit la main (incipit 1)

écrit par Lucie ROUXEL, en 5ème au Collège Fontenelle à Rouen (76)

26 avril 2013.
 

Il me prit par la main et m’entraina parmi les loups.

Nous débouchâmes dans une grande pièce sombre, aux rideaux de velours noir, « habillée » uniquement par quatre grandes tables de chêne sur lesquelles trônaient des chandeliers d’argent aux flammes éclatantes.

Fixant ce décor et les personnages qui l’habitaient, j’eu l’impression d’être plongée dans l’un de mes livres d’histoire dont les chapitres les plus noirs allaient bien vite défiler sous mes yeux. Me serrant la main, mon guide m’incita à le suivre. J’obéis sans résistance. Il me mena jusqu’à un homme richement habillé à la mode romaine : longue toge blanche à bande pourpre retenue par une fibule incrustée d’une agate chaussé de sandales attachées autour des chevilles par des lacets en cuir. Cet homme aux yeux d’un noir profond portait une barbe. Plongeant mon regard dans celui, fiévreux, de ce sinistre personnage appelé Néron, je découvris avec horreur ses forfaits : l’incendie de Rome dont il avait donné l’ordre. Les flammes ravageaient les thermes de Titus comme les habitations des quartiers situées au pied du Quirinal. Les habitants couraient à travers les rues en essayant de sauver ce qui n’avait pas encore brulé. Une femme, serrant son bébé dans ses bras, appelaient à l’aide du deuxième étage d’une insula. Enfin, à l’angle d’une ruelle je vis avec horreur des citoyens romains qui, hurlant, torches à la main, s’apprêtaient à parcourir les rues de la capitale, pour massacrer les premiers chrétiens rendus responsables de ce désastre.

Je fermais les yeux pour interrompre cette vision, mais mon cœur continua de battre à tout rompre .Pourtant mon guide me menait déjà vers un autre personnage : un guerrier aux longs cheveux blonds, une épée courte au coté. Rollon, le viking devenu duc de Normandie !

Qu’allais-je donc découvrir dans son regard ? Quelle atroce vision ? Des drakkars, traversant la mer du nord, avec à leur proue de terribles monstres défiant les flots ; Rollon et ses hommes remontant la Seine, pillant les richesses des villes, massacrant la population sur leur passage. Nulle église, nul monastère ne fût épargné par ces barbares. Encore une fois je fermais les yeux afin de mettre un terme à cette vision. Mon guide me reprit par la main.

Quel monstre ! Murmurai-je.

Hélas ! Il n’est pas le seul. Me répondit-il avec un calme contenu.

Nous arrivâmes dans une petite alcôve ou était assis un jeune homme, portant des braies et une longue chemise. Ses mains étaient écorchées par le travail que ce paysan du Moyen-âge avait fournit tout au long de sa courte vie. Timidement, il leva ses yeux vers moi. J’y vis les atrocités que ce vilain avait subies : Il avait perdu son père pendant la guerre de cent ans, transpercé par l’épée d’un chevalier anglais qui avait fait main basse sur les vivres de la famille cachés dans la cave de la maisonnée avant d’y mettre le feu. Quelques années plus tard sa mère fut emportée en quelques jours par la peste, ce terrible fléau qui s’abattit sur l’Europe et emporta jeunes et vieux. Désormais seul, Jean (il s’appelait Jean), ne survécu pas à la famine. Le froid de l’hiver et les pluies incessantes de l’été avaient fait pourrir les récoltes. Je fermai brutalement les yeux. Je suffoquais. Jean me dévisagea. Je le regardai avec compassion.

Allons-y, dit mon guide en désignant un personnage me tournant le dos.
Je le suivis pour me retrouver face à Napoléon Bonaparte.

Vêtu de son habit de sacre, son manteau rouge du sang de ses soldats tombés lors de ses campagnes à travers l’Europe, il regardait une masse sombre au loin. Nous nous dirigeâmes vers elle. Il s’agissait d’un homme maigre, couvert de boue, le visage crispé, dans son uniforme trop grand pour lui.

Voila trois mois que je me bats à Verdun. Je suis plein de poux, je pue la charogne des macchabées ! La plupart de mes camarades sont tombés « au champ d’honneur », le corps déchiqueté par les obus. J’ai si peur ! Dit-il en s’adressant directement à moi.

Jamais ce soldat aurait pu imaginer que vingt ans plus tard ses fils devraient à leurs tour partir pour le front… !

Le responsable de cette guerre se tenait face à moi : Adolf Hitler. Reconnaissable entre tous : sa moustache courte, de petite taille, aux cheveux bruns, il me regarde en souriant . Comment un homme si ordinaire a-t-il pu supprimer tant de vies ?
Je me plonge dans son regard et je vois défiler ses victimes : une famille polonaise dont la maison a été bombardée lors de l’invasion du pays par l’Allemagne, des résistants pendus pour avoir saboté une voie de chemin de fer transportant des troupes allemandes, des villageois d’une petite bourgade française, froidement abattus pas des SS assoiffés de vengeance alors que le conflit semblait perdu pour eux.

Derrière nous, un enfant nous fixait de son regard sombre et triste. Nous nous approchâmes. Une étoile jaune avec inscrite le mot juif était cousue sur son manteau. Son regard triste et sombre racontait son histoire : une nuit, des policiers français étaient venus les emmener lui et sa famille au vélodrome d’hiver. Il n’avait jamais revu ses parents.

Voilà, dit simplement mon guide.

Je ne comprends pas pourquoi me montrer tout cela .Qu’aurais-je pus faire, je n’étais même pas née ?

Europe, ne comprends-tu pas ton rôle ? Cela fait des siècles que ces peuples sont en guerre , guerre n’épargnant ni les civils ni les soldats. Faisant des millions de morts enfants et adultes confondus. Détruisant des villes entières, bombardées, réduites en cendre. Ces guerres on bien des causes : religion et fanatisme, conquêtes de territoires et de richesses, racisme, obscurantisme. Pourtant, leur effet reste le même à travers les siècles

Tu as désormais une lourde mission : réunifier cette région qui porte ton nom, y faire régner la paix, éviter la souffrance de ses peuples.

Mais toi qui es-tu pour me demander une telle chose ?

Moi, je suis Espérance.

J’ai aujourd’hui cinquante-six ans mais je me souviens de ce bal masqué comme si c’était hier. J’ai remplis ma mission, du moins je le pense : il n’y plus de conflit entre les différents pays européens, les guerres ont quasiment disparu de notre continent. Espérance m’accompagne à chacun de mes pas et me guide dans ce qui sera notre avenir, mais pour combien de temps encore ?