Notre Dame du Nil

Scholastique Mukasonga. Animé par Josiane Guéguen

29 mai 2013.
 

Avec Scholastique Mukasonga. Animé par Josiane Guéguen

 

DERNIER OUVRAGE

 
Littérature jeunesse

Kibogo est monté au ciel

Gallimard - 2020

Il s’agit là d’un roman plein de péripéties, situé en terre d’Afrique, dans l’ancien Ruanda, à l’époque où les pères missionnaires ont implanté la foi chrétienne dans des populations jusqu’alors adonnées aux pratiques païennes.Le roman est divisé en trois parties : « Ruzagayura », un nom qui désigne la grande famine ; « Akayézu », ainsi nommé par un père avisé, entré au grand séminaire et qui en sera chassé par les religieux en raison de sa conduite extravagante (il s’agit en fait de soins qu’il a donnés à une enfant, la sauvant ainsi de la mort, ce que les villageois éberlués interprètent comme une résurrection et les pères, outrés, comme un sacrilège). La légende veut qu’Akayézu, qui un jour disparaît, ait été enlevé, comme Kibogo avant lui (ou comme le Christ et la Vierge, Enoch et Elie), du haut d’une montagne au milieu d’un nuage. La troisième partie est intitulée « Kibogo » et forme une unité avec les deux autres.Kibogo est l’un de ces Abatabazi, ou « Sauveurs », en général un prince ou un haut personnage, qui, pendant les guerres et les périodes de calamités, telles les famines, se sacrifiaient à la demande des devins de la cour royale pour « sauver » le Ruanda - un mythe bien implanté dans la tradition ruandaise. L’histoire prend forme dans les esprits, mêlant les deux personnages mythiques, Akayézu et Kibogo ; elle est fermement condamnée par les « padri », qui voient là l’inspiration de Satan. Mais les conteurs de la nuit n’en colportent pas moins les mots enchantés et les péripéties extraordinaires. Ce syncrétisme, nous dit l’auteur, constituait une forme de résistance à l’acculturation du peuple par les missionnaires lors de la colonisation.Le récit de Mukasonga est vivant, plein d’humour et de fraîcheur, il se lit bien. La critique de l’action missionnaire n’est jamais directe ni lourde, elle passe par le rire (l’auteur, très consciente de sa méthode, explique que, à son sens, le tragique inclut le rire). Certes, il s’agit de légendes africaines et leur exotisme pourrait nous éloigner des événements racontés ou des personnages. Or il n’en est rien. Des parallèles apparaissent constamment entre l’histoire chrétienne – ici racontée et déformée de façon comique par les gens du lieu – et les légendes ruandaises encore si vivaces. Ainsi, qui est vraiment monté au ciel, de Kibogo, le fils de roi, ou du Yézu des missionnaires ? Tels qu’ils sont ménagés, ces rapprochements ne manquent pas de saveur.