L’ultime cadeau

Écrit par Laëtitia Koller, incipit 2, en 2nde au lycée Jean Vilar à Villeneuve-lès-Avignon. Publié en l’état.

28 mai 2014.
 

Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais pas désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’était la guerre.
Vendredi 26 Janvier 2001, cours d’Histoire
- Vanessa ? Qu’est-ce que je viens de dire ?

Vendredi 26 Janvier 2001, hôpital
- Mamy ?! Mamy, réponds-moi ! C’est Vanessa, ta petite-fille, ton cocon d’amour, comme tu dis si bien... Oh, je t’en prie, réveille-toi !
Elle avait couru tout le long du trajet. Les larmes séchées formaient sur sa jolie figure comme les traces d’un violent orage qui avait creusé maints abîmes dans la terre. Longtemps, Vanessa resta à demi allongée sur sa grand-mère, à lui caresser tendrement les cheveux et à la supplier désespérément d’ouvrir les yeux, de lui souffler un mot doux, de ne pas s’en aller tout de suite.
- J’ai encore besoin de toi, mamy... Je t’aime... Ne me quitte pas si vite...
Tout d’un coup, elle se souvint qu’elle n’avait pas terminé le récit de Verdun,
« l’histoire de la poupée » comme elle l’appelait quand elle parlait de cela avec sa sœur. Elle avait tellement envie de connaître la suite...
Mercredi 12 Novembre 1916
Il faisait presque nuit à présent, pourtant on était au beau milieu de l’après-midi ; comme si le soleil avait eu tellement de peine à regarder cette apocalypse qu’il s’était voilé lourdement. La mère et sa fillette étaient arrivées dans un village étranger, ou plutôt les ruines en cendre de ce qui avait dû être un village. Partout, éparpillés au sol, des soldats. Tous plus ou moins vivants, à gémir après chaque miraculé qui passait à côté d’eux. Elle remarqua qu’un de ces infortunés portait le médaillon du régiment de son mari ; commença alors une nouvelle quête désespérée, retrouver son homme vivant et le sortir de cet abysse destructeur. Enfin elles le découvrirent, à demi adossé aux décombres d’une maison. Quand il les vit accourir, il consacra le soupçon d’énergie qu’il lui restait à sourire tristement et tendit ses bras vers elles : il tenait dans ses mains la poupée de sa fille. Elle avait les vêtements déchiquetés et ne possédait plus qu’un œil, pourtant elle était bien là. Sa petite famille l’embrassa pendant longtemps ; il ne ressentait plus rien, il avait quitté la Terre souillée.
- ATTENTION ! hurla-t-elle avant de projeter violemment sa fille sur le côté. Mais ce ne fut pas suffisant : elle vit arriver, lentement comme dans un rêve, la forme élancée d’un obus, gris clair et contrastant étrangement avec l’assombrissement croissant de l’horizon. Il s’approcha, tournant sur lui-même et, alors qu’elle aperçut la grimace de frayeur de sa fille, son rêve devint cauchemar. Elle se coucha sur elle et pria le ciel de lui accorder une dernière faveur avant de mourir : que son enfant soit saine et sauve. Il semblerait que quelqu’un eut entendu sa prière car la seule trace de ce drame pour la fillette fut une cicatrice ineffaçable sur sa main gauche, signature qu’avait laissé un éclat d’obus en voletant vers son but ultime, celui de marquer à tout jamais une vie entière.

Vendredi 29 Janvier 2001, hôpital
Plusieurs jours ont passé ; Vanessa ne mange presque plus, son sourire habituellement si joyeux et porteur d’espérance n’est plus : sa mamy Jacky n’a, selon les médecins, plus que quelques jours à vivre. Aujourd’hui, sans rien dire à ses parents, elle est retournée à l’hôpital dans l’espoir de voir une dernière fois celle qu’elle aimait tant, dans l’espoir de la voir ouvrir les yeux et sourire. Mince espoir, et fou sûrement, mais pas désespéré.
- La... La chambre 16, s’il vous plaît.
Une infirmière la conduit, habillée de blanc comme toutes les autres. Un blanc traître. Sous ses airs d’apaisement superflu, il attaque. Les yeux de Vanessa se troublèrent, et c’est remplie de sanglots contenus qu’elle franchit la porte. Une fois seule avec sa grand-mère, elle se laissa aller et versa tout ce qu’elle put sur son corps. Froid, immobile.
Mais, par on ne sait quel miracle, les larmes chaudes de la jeune fille semblèrent la ranimer quelque peu. Elle poussa un soupir, remua légèrement et ouvrit les yeux en papillonnant. Vanessa la contempla comme si elle n’allait plus jamais la revoir, et un léger sourire se dessina sur son visage. Sourire porteur d’un sentiment tellement profond, alors qu’elle se précipita pour déposer généreusement de nombreux baisers sur ses joues flétries. Elles se regardèrent pendant un moment, sans mot dire, puis Vanessa remarqua doucement :
- Mamy, tu n’avais pas fini l’histoire de la poupée...
Sa réponse était entrecoupée par des halètements et, alors que sa main gauche se glissait dans un tiroir, elle comprit qu’elle livrait là ses dernières forces :
- J’ai un cadeau pour toi... Vanessa, rien que... pour toi. N’oublie jamais que... qu’il y a... toujours... de l’espoir... Je t’aime...
Elle ferma les yeux pour s’endormir éternellement. Sa main serrait mollement une poupée déchiquetée, à laquelle il manquait un œil et la majorité de ses vêtements. Vanessa la saisit avec stupéfaction et fixa cette main, qui reposait désormais sur les draps froissés : une cicatrice ineffaçable l’ornait à tout jamais.