Jeux de l’innocence

Écrit par Romane Gallouzi, incipit 2, en 1ère au Lycée Pablo Picasso à Perpignan (66). Publié en d’état.

28 mai 2014.
 

Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’était la guerre. La ville était désormais plongée dans un silence de deuil mortuaire, plus aucun bruit ne perturbait ce chaos sourd à part les pas lourds de la mère. Elles marchaient toutes deux ne sachant où aller et que faire. Il faisait bizarrement plus chaud pour un mois de novembre, si froid, d’habitude. Le vent avait une odeur soufrée et le ciel semblait sur le point de tomber sur la petite ville de Verdun désormais plongée dans les lointains enfers de la guerre. Plus rien ne ressemblait à ce qu’elles avaient connu de leur petite ville désormais vaste champ de ruines, dévoré par l’ogre international.
Arrivée au bout du virage, la mère posa la petite qui trépignait d’impatience à l’idée de retrouver sa petite poupée disparue. Lorsqu’elle fut à terre, la petite chercha du regard dans chacun des fossés qui longeaient le chemin boueux. Pas de trace de la poupée. La petite posa alors une nouvelle fois sa question :

La mère s’approcha de la petite, s’accroupit pour être à sa hauteur, lui souleva le menton et lui chuchota :

La mère lâcha sa main et la petite repartit en direction de la maison. La grange était vide, il ne restait que les murs et le toit. Des toiles d’araignées tapissaient le plafond. Au fond, quelques bottes de paille, éparses, jonchaient le sol boueux. C’était un abri sûr pour la nuit qui commençait à tomber. La mère prit la petite dans ses bras qui cherchait désespérément, dans tous les recoins de la grange, sa petite poupée en chiffon.

La mère l’enveloppa de son grand châle, un peu sali de suie et de terre, et la blottit sur un lit de paille.
La nuit glacée et humide commençait à s’abattre sur la campagne. Ses doigts tremblaient, comme pétrifiés par le froid qui s’engouffrait dessous la porte et par la fenêtre brisée. Elle s’allongea tout contre son enfant afin de la réchauffer. La petite approcha ses petites mains rougies par le froid vers ses cheveux, qu’elle caressait doucement, tendrement, c’était elle qui la rassurait à présent. Elle prit tendrement les petites mains qu’elle enfouit sur son cœur dans la chaleur de son corsage. La petite scrutait toujours la porte. Elle attendait le retour de son jouet favori. Le hululement d’un gros hibou, la sortit de sa torpeur. Il était niché sous une poutre et la mère et l’enfant observèrent l’oiseau de longues minutes. Lorsque la petite s’assoupit enfin, la mère commença à chercher une bonne et nouvelle excuse pour expliquer à sa petite l’absence au matin, de sa poupée qui n’était finalement pas rentrée. Soudain, elle se leva, sans déranger la petite emmitouflée dans son châle sur la paille et se mit à lui confectionner une petite poupée. Pour le corps et la tête, elle utilisa la paille, ficelée avec habileté à l’aide du ruban qui relevait ses longues nattes Ensuite, elle déchira un petit bout de son jupon et façonna une petite robe à la poupée. Elle s’appliqua ainsi jusqu’au lever du jour. Avec l’aube naissante, le balai infernal des avions repris. Avec l’aube recommençait, le cri strident de la guerre, signe d’une nouvelle journée meurtrière. La petite alertée ouvrit les yeux et se précipita dans les jambes de sa mère qui cachait la nouvelle petite poupée derrière son dos.