Le tueur d’en haut

Écrit par Roméo Heurlin, incipit 1, en 2nde au Lycée Chateaubriand de Rennes (35). Publié en l’état.

28 mai 2014.
 

Le jeune homme tremble, il se nomme Gavrilo Princip et dans sa poche il tient un revolver. La voiture n’est plus qu’à une dizaine de mètres, elle progresse lentement ; en fait tout semble aller lentement. Le jeune anarchiste sent l’appréhension le gagner, son cœur lui dicte le rythme de son corps. Il a chaud mais sa sueur paraît glacée.
Le carrosse, tiré par quatre immenses chevaux blancs est à deux mètres. Un mètre. Gavrilo serre son revolver, arme le chien et le découvre au soleil éclatant de ce matin d’été. La vitre est à sa hauteur, il croise le regard de sa cible, l’archiduc François-Ferdinand. Ce dernier semble comprendre ce qui l’attend car il esquisse un mouvement de recul. Gavrilo tend le bars, le revolver à bout pourtant et tire, à deux reprises.
La fine peau de la gorge de François-Ferdinand se crève comme un ballon de baudruche. Et puis c’est l’éruption, le sang, propulsé dans les artères jaillit, aspergeant le visage du tueur et des passants alentours. Il y a un moment de flottement, le jeune homme sait qu’il doit agir vite, très vite. Déjà il aperçoit trois soldats qui l’ont repéré, armes à la main, qui semblent bien décidés à l’arrêter.
Gavrilo s’élance, mais la foule affolée gêne sa course, il se heurte aux gens, il trébuche. Le meurtrier ose jeter un regard en arrière, la progression est difficile pour ses poursuivants.
Les gardes hurlent des ordres indistincts à tort et à travers tout en tirant en l’air pour écarter la populace. Le vide se crée, Gavrilo se sent observé de toutes parts, oppressé par les regards intrigués des passants mais ils sait qu’il distance ses poursuivants.
Voyant que leur cible leur échappe, les gendarmes s’arrêtent, se mettent au pas de tir et font feu.
L’étudiant perçoit les projectiles qui fusent autour de sa carcasse. Une des balles traverse sa manche au niveau du coude sans le blesser et part se ficher dans le flanc d’un vendeur de bougies ambulant. Le malheureux colporteur s ’effondre dans un cri et une flaque de sang commence à se former sur les pavés lisses de la rue Terezija. Les soldats qui reprennent leur course enjambent leur victime sans ralentir. Gavrilo s’essouffle. De plus il remarque qu’en face de lui, à une vingtaine de mètres, deux hommes lui barrent la route suite aux cris des gendarmes.
Le jeune homme décide de jouer le tout pour le tout et de passer en force le barrage imposé par les marchands. L’un des deux, trapu et aux cheveux grisonnants s’élance pour le plaquer ; l’étudiant l’évite d’un crochet mais le second, immense l’attend de pied ferme et se jette sur lui. Gavrilo lui lance avec vivacité un violent coup de coude au sternum. Les poumons de l’adversaire se vident en un instant et il s’écrase dans un tas d’ordures moisissant au creux d’un caniveau.
Les gendarmes ont profité de ce contretemps pour se rapprocher dangereusement. Gavrilo sait qu’il reste quatre balles dans le barillet de son revolver, il se retourne et presse par deux fois la détente.
Le gendarme le plus proche est touché à la cuisse et s’écroule en faisant chuter son collègue. Le troisième est frappé en plein front, juste entre les deux yeux, son corps se renverse en arrière, du sang s’écoule à gros bouillons de ses oreilles.
Le meurtrier ralentit l’allure, ses poumons sont enflammés comme prêts à exploser, ses tympans sont au bord de la crevaison et sa tête est horriblement pesante sur ses frêles épaules.
Il rassemble les dernières forces qu’il lui reste pour rejoindre sa chambre située dans un hôtel délabré rue Stolacka.
L’assassin franchit péniblement les marches menant à l’étage de son logement. Il se précipite à la fenêtre et vomit, les émotions de la journée ont eu raison de son estomac. Le jeune homme jette un coup d’oeil à sa montre : midi moins vingt, il doit appeler un contact dans un quart d’heure. Gavrilo se change, il brûle ses vêtements dans le poêle de la chambre, lave le sang maculant son visage puis il contemple son reflet dans le miroir situé au dessus de son lit ; il est méconnaissable, avec le smoking qu’il a enfilé il ressemble à un bourgeois de la haute société.
Le jeune anarchiste constate qu’il ne lui reste plus que deux minutes avant le coup de fil. Il saisit sa valise dans laquelle sont rassemblées ses affaires et se dirige à l’extérieur, vers la réception pour trouver un téléphone. Arrivé au rez-de-chaussée il en repère un fixé à un mur décrépit couleur rose saumon. Un regard circulaire jeté à la salle l’assure qu’il est seul ; le gérant n’est pas à son comptoir, il peut librement faire passer son message. Gavrilo sort un tournevis de sa valise et se met à démonter le boîtier téléphonique à l’aide, il retire le cache laissant apparaître les fils de transmission qu’il déconnecte d’un coup sec. Il s’empare ensuite d’un étrange objet rectangulaire en métal inconnu, couvert de diodes, de fils et de circuits électroniques complexes. Gavrilo le place contre le téléphone et le branche à ce dernier . L’objet s’illumine, parcouru d’un courant électrique passant dans les circuits et les résistances des diodes. Aussitôt une voix d’un tein métallique emplit la pièce et fait vibrer les murs :