La poupée d’os

Écrit par Chloé Almodovar, incipit 2, en 3ème au Collège Les Chênes rouges à Saint-Germain-du-Plain (71). Publié en l’état.

28 mai 2014.
 

Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais pas désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’était la guerre.
Chaque pas était difficile, la terre sans cesse secouée de tremblements. Il fallait faire attention aux pierres qui retombaient sur la chaussée comme une pluie de météorites alors que les maisons volaient en éclats. Parfois, ces maisons recrachaient un corps ou deux, sans vie. Les survivants tentaient de se regrouper, de collecter du matériel et des vivres dans un semblant d’organisation. Sa petite Lucile sanglotait doucement dans son cou alors qu’elle luttait pour avancer parmi les morceaux de verre qui jonchaient le sol.
Enfin elle arriva au bout de sa rue, débouchant sur la place de la mairie. Des hurlements fusaient de toutes parts ; les Allemands étaient aux portes de la ville. Les groupes qu’elle avait vus un peu plus tôt se rassemblaient devant la mairie. Elle avait l’esprit hagard, incapable de penser à autre chose qu’à la poupée de chiffon. Les rues, autrefois de belles allées pavées et brillantes, s’étaient couvertes de cratères où se mêlaient la cendre et l’odeur toxique des obus.
C’était l’enfer. Où allait-elle trouver une poupée dans ce chaos ? D’un geste nerveux, elle raffermit sa prise sur Lucile. Elles étaient là, la mère et l’enfant, le visage noirci par la poussière, telles deux anges de la Mort.

Lorsqu’enfin elle ouvrit les yeux, elle sut. La petite Lucile se tenait toujours là mais, en même temps, ce n’était plus tout à fait elle. C’était comme un pantin aux orbites vides, la bouche tordue par un cri de douleur. Ses petites jambes n’étaient plus que lambeaux de chair et morceaux d’os.
Elle était morte. Depuis longtemps. Tu jouais dans le jardin. Je terminais nos valises. Pour aller loin, très loin.
Elle s’endormit, recroquevillée comme une enfant en serrant sa fille dans ses bras. Peut-être que, par miracle, Marie échapperait à la colère des bombes. Peut-être que la Mort, attendrie, la laisserait rêver de Lucile de longues années encore.
Elle s’endormit, une poupée d’os serrée dans ses bras.