Boussole

Actes Sud

4 février 2016.
 

La nuit descend sur Vienne et sur l’appartement où Franz Ritter, musicologue épris d’Orient, cherche en vain le sommeil, dérivant entre songes et souvenirs, mélancolie et fièvre, revisitant sa vie, ses emballements, ses rencontres et ses nombreux séjours loin de l’Autriche – Istanbul, Alep, Damas, Palmyre, Téhéran… –, mais aussi questionnant son amour impossible avec l’idéale et insaisissable Sarah, spécialiste de l’attraction fatale de ce Grand Est sur les aventuriers, les savants, les artistes, les voyageurs occidentaux.
Ainsi se déploie un monde d’explorateurs des arts et de leur histoire, orientalistes modernes animés d’un désir pur de mélanges et de découvertes que l’actualité contemporaine vient gifler. Et le tragique écho de ce fiévreux élan brisé résonne dans l’âme blessée des personnages comme il traverse le livre.
Roman nocturne, enveloppant et musical, tout en érudition généreuse et humour doux-amer, Boussole est un voyage et une déclaration d’admiration, une quête de l’autre en soi et une main tendue – comme un pont jeté entre l’Occident et l’Orient, entre hier et demain, bâti sur l’inventaire amoureux de siècles de fascination, d’influences et de traces sensibles et tenaces, pour tenter d’apaiser les feux du présent.


« Dans Boussole, le romancier invite à une nuit d’insomnie et à un voyage dans les souvenirs d’un musicologue amoureux du Proche-Orient. Hypnotique. Boussole, dont chaque page sort le lecteur de lui-même, le confronte à une infinité de sujets et de personnages dont il ignore tout pour les lui rendre plus proches. » Raphaëlle Leyris, Le Monde des Livres

« Le lecteur est dans les souterrains orientaux de la culture occidentale. Celui qui tient la torche est un musicologue autrichien, Franz Ritter, mais il pourrait tout aussi bien s’appeler Mathias Énard. Les cultures orientale et musicale de l’un et l’autre sont stupéfiantes et saturées, un peu monstrueuses, mais elles semblent couler de source (et de bibliothèque) sans être passées par Wikipedia. Le voyage descend en spirales, par digressions, comme une rêverie s’élève du fumeur d’opium. » Libération

« Boussole de Mathias Énard domine la rentrée littéraire. Plus ambitieux, plus savant, plus réussi que tant d’autres. L’érudition est là, sans limite, excessive, dynamitée par des ruades, des accélérations de l’écrivain qui sauvent le roman de l’écueil. L’exercice est admirablement mené, quasi parfait, formant un récit au cours puissant comme un fleuve. » Etienne de Montéty, Le Figaro Littéraire.

« Dans Boussole, le lecteur sent l’auteur attiré par un havre, dont il ne saurait faire son port d’attache mais qu’il oppose aux « simagrées » des bigots : la spiritualité. Cette voie n’est pas la sienne – paresse ou incomplétude ? Ainsi s’interroge l’intéressé à voix haute, sans pour autant répondre : c’est à la fois honnête et habile… » La Croix.

 

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Actes Sud - 2023

Quelque part dans un paysage méditerranéen orageux familier et insaisissable, en marge d’un champ de bataille indéterminé, un soldat inconnu tente de fuir sa propre violence. Le 11 septembre 2001, sur la Havel, aux alentours de Berlin, à bord d’un petit paquebot de croisière, un colloque scientifique fait revivre la figure de Paul Heudeber, mathématicien est-allemand de génie, disparu tragiquement, resté fidèle à son côté du Mur de Berlin, malgré l’effondrement des idéologies.
La guerre, la désertion, l’amour et l’engagement... le nouveau roman de Mathias Énard – vif, bref, suspendu – observe ce que la guerre fait au plus intime de nos vies.

« J’avais entrepris l’écriture de la biographie fictive du mathématicien est-allemand Paul Heudeber depuis quelque temps lorsque la guerre en Ukraine a envahi mes carnets. Le 24 février 2022, le conflit a frappé de plein fouet mes projets. Le roman que j’envisageais ne pouvait plus être le même. La résurrection du discours – nazis, dénazifier – faisait remonter les années 1940 jusqu’à nous. La Russie assumait son impérialisme. Elle brandissait sa violence comme une fierté. Les couleurs des années 1990 (hiver, sang, feu) teintaient de nouveau l’Europe. Les chars soviétiques T72, ces boîtes plates et vertes que nous avions vues dans les champs de maïs abandonnés de Pannonie tirer sur Vukovar, roulaient vers Odessa, et leurs équipages, ces soldats russes de moins de vingt ans, brûlaient vifs trois par trois, prisonniers de leur blindage, lorsqu’un missile Javelin ouvrait leur tank comme on arrache la tête d’un oisillon avec les dents. À travers les arbres, on voyait de nouveau les animaux – les cochons, les chiens – errer jusque sur nos écrans, souvent horriblement mutilés, avant d’être achevés d’un coup de baïonnette. Odessa, l’Alexandrie de la mer Noire, allait subir le sort de Sarajevo.

J’ai compris plus ou moins à ce moment-là, alors que mes angoisses et mes cauchemars devenaient de plus en plus pressants, qu’il fallait que je m’enfonce de nouveau dans mon traumatisme de guerre, mes obsessions ; j’ai imaginé un personnage au creux d’une montagne, au bord de la Méditerranée. Il a un fusil à la main, il vient de quitter la guerre, mais il ne suffit pas de la quitter, il faut s’en défaire. Il va errer dans les territoires de son enfance avant de partir vers le nord pour passer la frontière et quitter le pays.

L’histoire de Paul Heudeber, sa fidélité à l’amour et au socialisme, malgré la déportation et la guerre froide, se prolongeait dans celle du déserteur, elle s’y reflétait, et le soldat perdu envoyait ses vibrations désespérées vers Paul Heudeber et sa fille Irina. Tout se projetait, se reflétait dans les lacs autour de Berlin et dans la recherche de l’espérance. »

Mathias Énard