Cette chronique est à cheval sur les années 2014-2015. Le thème m’en a été offert par le Front national qui, aussitôt prises quelques mairies, s’empressa d’imposer le menu unique dans les cantines scolaires. On n’en attendait pas moins de Marine Le Pen, mais ce qui changeait dans son argumentaire, c’était l’alibi de la laïcité. C’était au nom de la loi de 1905 qu’elle pouvait en toute impunité stigmatiser les enfants musulmans. Grâce à quoi on a vu se joindre à sa voix tous les laïques purs et durs qui au nom d’une stricte lecture de cette loi se retrouvait de facto en comité de soutien du Front national tout en jurant, main sur le cœur, être évidemment en désaccord avec son idéologie. Ah bon. On peut donc faire une chose et dire son contraire. Ce qui doit plus ou moins s’appeler de la schizophrénie. Ce qui valait la peine de s’interroger sur les motivations des uns et des autres et de se pencher sur ladite loi de séparation des Églises et de l’État. Mais en fait d’églises il s’agissait de la seule église catholique, les autres faisant de la figuration – l’Islam, qui se trouve à la source de ces querelles sur le menu et le voile, il n’avait pas droit au chapitre, les musulmans d’Algérie n’ayant pas le statut de citoyen. Loi dite de séparation mais plutôt accommodante avec l’Église, continuant de chômer les fêtes religieuses, de meubler son calendrier des noms des saints et de servir du poisson le vendredi dans toutes les cantines. C’est au milieu de cette chronique qu’une autre actualité, tragique, s’invita brutalement dans la réflexion. L’exécution de l’équipe de Charlie au nom de l’offense faite au prophète nous rappelait que ce droit à la représentation des figures sacrées avait été pour notre société le fruit d’un long débat qui avait occupé tous les premiers siècles du christianisme. Débat tranché en 843, à Nicée, sous un argument de haute volée : l’image n’était pas une idole mais une médiation pour s’approcher du divin. Tout notre monde envahi d’images vient de cet arrêté. L’art occidental lui doit tout. Et donc, paradoxalement, la caricature de ces mêmes figures sacrées. »
Revue de presse :
- "Dans ces chroniques où les références à Proust, Zola ou George Orwell illustrent le propos, ce n’est ni plus ni moins qu’à un dépoussiérage lucide et courageux de la laïcité qu’invite l’auteur. Une laïcité emprisonnée dans une société qui mise tout sur « l’ici et maintenant et le contentement de ses désirs » et qui, au fond, reproche à la religion ce dont elle est privée : la poésie. » Télérama
- « Et ce que disait le 11 septembre, à travers les tours jumelles, c’est un effondrement. Nous les avons vues tomber. De même, c’est le ciel qui, en ce 7 janvier 2015, nous est tombé sur la tête. Un ciel d’incompréhensions, qu’on puisse décider en son nom de la vie des êtres. Il nous semblait pourtant que nous en avions fini avec ces vieilles lunes, que le ciel de la Renaissance, composé de planètes, d’orbites, d’étoiles, de comètes, avait définitivement retoqué le ciel des chérubins et des bienheureux, que les lunettes des astronomes avaient tordu le cou aux affabulations des religieux. Gagarine ricanait au retour de son premier vol : non, il n’avait pas croisé d’anges. Voilà qu’il nous revient en pluie de feu, que nous marchons dessus comme sur les bris de verre d’un miroir éclaté. » - Jean Rouaud
L’Humanité