L’homme blanc

Écrit par LE GALL Marion (6ème, Collège Fénelon de Nice), sujet 2. Publié en l’état.

31 mars 2016.
 

— Je ne sais pas, je sais seulement qu’ils fuient, comme nous.
— Oui mais… Qu’est-ce qu’on fuit ?
— Les parents m’ont juste dit qu’il fallait partir avec les autres…
— Je sais… Mais pourquoi ?
— Pas le temps d’y réfléchir… Viens, dépêche-toi !
— Mais Papa… et Maman ?
Plusieurs jours passèrent après cette conversation avec mon grand frère, Tomek. Nous n’avions fait que marcher, nous avions suivi le cortège de tous ces gens qui étaient comme nous : fatigués. Tous ces visages noirs qui avaient un air si morose… _ Soudain, un homme devant s’écria :
— Ils arrivent ! Cachez-vous !
Alors, mon frère et moi nous sommes mis derrière un arbre, pour nous dissimuler au plus vite de nos poursuivants. Nous en avions aperçu plusieurs au cours du voyage, je crois que c’était eux qu’on fuyait : des hommes au visage blanc. Soudain, une main pâle, blanche, attrapa mon frère, nous séparant brutalement. Je voulais crier, taper, reprendre mon frère… Mais il me regarda d’un regard qui signifiait, je le savais, « Ne bouge pas, c’est dangereux. Je reviendrai te chercher ». Et mon frère tenait toujours ses promesses.
Le voyage fut bien triste sans mon frère. Même si d’autres enfants nous accompagnaient, je ne voulais pas leur parler. Je réfléchissais au moyen de retrouver les disparus. Parce qu’ils n’avaient pas pris que mon frère… Ils avaient pris des femmes, des enfants mais surtout d’autres hommes. Nous étions bientôt arrivés à la frontière, je le voyais aux visages qui m’entouraient. Nous avons fait halte pour la nuit à proximité d’un village.
Par curiosité, alors que les autres restaient cachés dans les buissons, je me rapprochai des maisons. Soudain, un bruit de verre brisé se fit entendre dans la maison la plus proche, suivi d’un cri :
—Imbécile ! Fais attention à ce que tu fais ou je vais devoir te revendre ! Ou alors, te marquer au fer rouge suffirait peut-être ?
Que se passait-il ? Comment pouvait-on vendre un être humain ? Je décidai de me rapprocher, lentement… Très lentement et sans bruit. De la lumière sortait de l’une des fenêtres et des voix s’en échappaient :
—Toutes mes excuses, mon maître, mais…
—Ne réponds pas ! Va vite me chercher de quoi nettoyer ta maladresse et plus vite que ça ! Je ne veux plus de toi dans la maison. Demain tu laveras les cochons et tu trairas les vaches. Je veux que tout soit fini avant demain soir !
Je commençais à me rapprocher encore pour voir qui parlait quand soudain, une main m’attrapa. A mon grand soulagement, cette main était noire. Je me retournai et vis un vieillard à la peau toute ridée. Il me dit d’une voix basse :
—Ne reste pas ici. Pars tant que tu le peux, gamine ! Sinon, ils te feront comme à nous tous : ils te garderont comme esclave et tu ne pourras plus t’échapper.
—Vous êtes nombreux ? Peut-être y a-t-il mon frère parmi vous ? Je peux rester et vous aider à vous échapper ?
— C’est trop dangereux. J’ai voulu, il y a bien longtemps, m’enfuir avec les autres prisonniers. Regarde ce qu’ils ont fait de moi !
Il tendit une main vers moi et me montra une grande cicatrice. Je remarquai alors les marques de fouet sur ses bras et les entailles des chaînes sur ses poignets. Mais je repris :
—Savez-vous quelque chose à propos de Tomek, mon frère ?
—Il n’y a pas de Tomek ici, ma petite.
—Je m’en vais mais je reviendrai…Je vous délivrerai, je vous le promets.
—Tu es bien naïve. J’espère ne pas te revoir ici…
Le lendemain matin, au lieu de suivre les autres qui se préparaient à repartir, je restai dans mon buisson. J’avais pris soin de conserver un bout de pain fade et je bus le fond d’eau qu’il me restait. Puis, alors que mes compagnons de voyage s’en allaient, j’empruntai le même chemin que j’avais pris la nuit précédente. Cependant, arrivée à la maison où j’avais vu le vieillard, je perçus de l’agitation plus loin. Je continuai jusqu’à une sorte de place, où avait lieu une vente d’esclaves. C’était une erreur : il n’y avait que des blancs dans la rue. Sans demander mon reste, je pris mes jambes à mon cou, mais je trébuchai sur des planches.
Aussitôt, quelqu’un m’attrapa et me poussa dans un groupe. Un homme de grande taille me lia rapidement les mains avec une corde. A mes côtés se trouvaient d’autres hommes et femmes noires. Je tentai de me retourner pour voir si mon frère était parmi ces derniers, mais le même homme brusque et impressionnant me tenait fermement. Il gronda :
—Ça ne sert à rien d’essayer de partir, je ne te lâcherai pas. Et puis, tu n’irais pas loin, on te rattraperait vite…
L’homme me traina tout de suite sur une sorte d’estrade en bois. Là, un homme plus âgé et mieux vêtu attendait. Il m’observa de la tête aux pieds puis toussota et se tourna vers la foule :
—C’est une aubaine, on vient de la trouver. Une fillette, encore un peu fluette mais qui deviendra certainement robuste … plutôt pour le ménage et la cuisine. Les enchères peuvent commencer !
Je ne comprenais rien à ce qu’il voulait : s’il parlait de moi, il se trompait parce que je n’étais pas forte, je détestais le ménage et je n’avais jamais touché une casserole de ma vie. J’en déduisis qu’il parlait de quelqu’un d’autre. Des voix dans la foule fusèrent :
—150 pour le ménage !
—Moi je dis 250 !
—450 !
—Je vous la prends pour 475 !
Puis le silence se fit. La voix du vieil homme reprit :
—Personne ne propose plus ? Non ? Alors, adjugé-vendu, elle est à vous.
C’était bien de moi dont il s’agissait. Celui qui m’avait amenée sur scène me prit par le bras et m’emmena vers l’homme qui avait crié en dernier. Il me glissa en ricanant :
—Tu as intérêt à obéir à ton nouveau maître !
Mon nouveau maître ? Quelqu’un à qui je devais obéir qui ne soit ni mon père ni ma mère ou à la limite Tomek ? J’étais terrifiée, perdue. Mon nouveau maître était un homme élégant, au visage pâle comme la mort. Il portait une chemise blanche et une veste noire ainsi qu’un haut-de-forme noir et blanc. Il me dit d’un air autoritaire :
—Va avec Faolan, il s’occupera de toi pour l’instant.
Faolan était le vieillard que j’avais rencontré la veille au soir. A côté de lui, se tenaient trois autres personnes : une petite femme au tablier tâché, un jeune aux bras musclés et une fillette plus jeune que moi. Pendant que je les observais, Faolan s’approcha et murmura :
—Je t’avais dit de partir et tu ne m’as pas écouté. Pour ton frère, j’imagine… Eh bien, voilà ta nouvelle famille : Marisa, la femme de chambre et cuisinière, Joe le forgeron et Twini qui aide déjà au ménage. Sa mère vient de mourir, tu la remplaces.
Ils me regardèrent d’abord méfiants puis Twini finit par me sourire timidement. Nous rentrâmes dans la vieille bicoque qui servait de logement aux esclaves. On m’avait attribué une couchette, à côté de celle de Twini.
Je l’aidai à nettoyer une bonne partie de la maison jusqu’au repas du soir. Au menu : du vieux pain et une sorte de mélasse froide. Nous étions entassés à cinq dans un tout petit réduit. Nous grignotions en silence quand la porte grinça et un homme entra, la tête baissée. Un autre esclave… Il s’appelait Mika.
—J’ai entendu une grande nouvelle : demain soir, un train passera. Les trains qui vont vers la frontière sont rares et c’est notre seule chance de partir d’ici.
Cette nouvelle me réjouit mais ce n’était pas le cas pour mes camarades. Marisa protesta :
—Mais ici, on a de quoi manger et un endroit où dormir. Et même si on arrive à s’enfuir, on ne pourra pas prendre le train si facilement. Il est sûrement gardé !
—Et imaginez s’ils nous retrouvent ! Ça sera terrible…
—Si nous passons la frontière, nous aurons un endroit où dormir, de quoi manger… _ C’est ce que Papa et Maman disaient. Essayons ! Le maître ne nous retrouvera pas, si on fait très attention ! Nous partirons tous ensemble, nous ne laisserons personne ! ai-je supplié.
—De belles paroles… Mais on n’en sait rien ! Si ça se trouve, ils ne voudront pas de nous de l’autre côté et ils nous renverront ici !
Pendant toute la nuit, nous avons parlé, nous disputant, essayant de convaincre les autres. Twini pleura beaucoup. Finalement, nous sommes tombés d’accord pour tenter notre chance.
La journée suivante me parut interminable. Je sursautais au moindre bruit, j’avais le ventre serré. Puis vint le soir. Nous nous sommes retrouvés à nouveau dans le réduit. Ceux qui en avaient rassemblèrent leurs maigres affaires. Et nous avons attendu le bon moment.
Etonnamment, nous étions peu surveillés. Un garde, avec un fouet accroché à la ceinture, nous suivait plus ou moins en journée mais là, nous entendions clairement ses ronflements.
Nous sommes alors passés par la fenêtre et en silence, nous avons couru jusqu’à la forêt où je m’étais réfugiée quelques nuits auparavant. Cela me semblait si loin.
Joe portait Twini et Mika aidait le vieux Faolan. Il ne fallait pas trainer, nous aurions une seule chance. Nous nous approchions des rails et nous cherchions un endroit d’où nous pourrions sauter dans le train, en espérant qu’il ne roule pas trop vite.
Soudain, le train apparut. Il avançait tranquillement. Les wagons défilaient devant nous mais il n’y avait jamais de porte ouverte pour que nous puissions monter. Alors qu’il ne restait plus que deux wagons et que nous désespérions, la porte d’un grand compartiment vide coulissa et un homme nous fit signe d’entrer d’un grand geste du bras. Mais c’était un homme blanc ! Nous nous regardâmes en hésitant… plus le temps de réfléchir, c’était maintenant ou jamais : nous sautâmes et atterrîmes dans le wagon. Faolan grimpa de justesse, tiré au dernier moment par Mika et Joe.
Nous étions tremblants de peur, d’émotion, d’espoir… Nous nous sommes laissé tomber sur le sol du wagon, nos jambes ne nous portaient plus. Notre sauveur tenait encore Twini dans ses bras. C’était un jeune homme aux cheveux hirsutes et au pantalon déchiré. Il n’avait pas l’air en meilleure forme que nous. Il posa la petite et retourna s’asseoir dans un coin, sans nous parler.
Je restais le fixer, toute étonnée. Ainsi, tous les hommes blancs n’étaient pas nos ennemis. Tous les hommes blancs ne nous considéraient pas comme des animaux. Celui-là nous avait donné une chance de changer nos vies…
Longtemps, le train roula. Je crois que je me suis un peu endormie, bercée par le balancement du wagon. Ce n’était pas confortable mais j’étais si soulagée d’avoir réussi à monter dans ce train !
Quand le train ralentit, tout le monde se leva précipitamment. Mika rouvrit la porte et chacun sauta dans le fossé à tour de rôle. L’homme blanc qui nous avait aidés était resté dans le wagon vide.
Nous avions passé la frontière ! Nous avons continué une fois de plus à pied. En fin de journée, après de nombreuses pauses pour permettre à Faolan et Twini de se reposer, nous sommes arrivés en vue d’un campement. De nombreuses constructions de fortune semblaient abriter une foule de gens. Il y avait en même temps beaucoup d’agitation et un certain calme.
Nous longions une clôture en bois, quand j’aperçus un garçon de dos. Mon cœur se mit à battre… serait-ce possible ?
—Tomek ?
Le garçon se retourna vers moi, ses yeux s’écarquillèrent… et d’un grand sourire, il me répondit.