Ce que nous fuyons, nous rattrape

Écrit par DOLE Andréa (4ème, Collège de l’Arc de Dole), sujet 2. Publié en l’état.

11 avril 2016.
 

« - Qui sont tous ces gens qu’on suit ?, lui avait-elle demandé.
- Je ne sais pas, je sais seulement qu’ils fuient, comme nous. Avait-il répondu. »
Elle se réveilla en sursaut, troublée encore par le souvenir des paroles de son frère qui hantaient ses rêves, encore et toujours. Les regrets et la tristesse se lisaient sur son visage mat. Ses yeux noirs comme le jais s’emplirent de larmes, qu’elle tâcha de retenir pour ne pas se montrer faible.
Perdue dans une nuit froide et hostile d’automne, la médiocre barque de fer rouillée qui l’emportait avançait silencieusement sur les flots sombres et endormis de la Mer Méditerranée. Voilà des jours que l’embarcation traversait cette grande étendue bleue, chargée de tristes passagers. Des hommes, des femmes, jusqu’à des enfants. _ Tous venaient de Syrie. Oui, ils avaient fui ce pays en guerre, qui était le leur. Une guerre qui leur avait tout pris …
Au loin, on pouvait distinguer les contours d’un deuxième bateau, rempli également de Syriens, tentant également d’échapper à ces hostilités qui tuaient à petit feu leur pays depuis quelques années. 
Alors que la lune se cachait derrière un nuage, la barque disparut dans la noirceur des ténèbres …
Il ne restait que la première … Sur cette dernière, la faim, la fatigue et le désespoir régnaient en maîtres. Ils étaient six à bord. Deux hommes, une femme, deux petits enfants et une jeune fille.
Cette adolescente avait perdu ses parents alors qu’elle était encore en Syrie. Il ne lui restait que son frère, Akim, qui se trouvait sur la deuxième embarcation, et son oncle, Mohamed, qui vivait à Paris.
Elle repensait aux jours heureux qu’elle avait vécus avec sa famille.
Son gilet de sauvetage rouge, qu’elle portait depuis trop longtemps, l’étouffait. La faim l’affaiblissait. Le sommeil essayait de l’entraîner à nouveau avec lui, mais elle restait éveillée. Elle grelottait, assise, au fond de la barque, trop dure pour ses épaules fragiles et délicates. Elle priait pour qu’elle et son frère arrivent sains et saufs sur la terre ferme le plus vite possible. Elle passait sa main dans l’eau, perdue dans ses pensées. Les rayons lunaires se reflétaient sur la mer, dessinant comme un serpent d’argent derrière le petit bateau. Un serpent affamé qui n’attendait que le passage de ses proies pour refermer ses mâchoires sur elles … Un monstre tapi dans l’eau qui charme ceux qui s’approchent trop près de lui pour ensuite les dévorer. Elle serra fermement le pendentif en or qu’Akim lui avait offert, quelques années plus tôt.
« Garde-le toujours près de toi. Ce sera ton porte bonheur. Le grand Allah te protégera. », lui avait-il assuré en souriant.
Il était le meilleur frère dont elle aurait pu rêver. Du haut de ses vingt-et-un ans, il faisait attention à elle comme à la prunelle de ses yeux. Il était grand, comme sa sœur il avait des cheveux noirs. La seule chose peut-être qui le différenciait des autres garçons, c’était ses beaux yeux verts. Des yeux que l’on n’avait jamais vus dans cette famille. Son absence auprès de sa sœur était comme un grand vide laissé au fond d’elle. Plus elle essayait de ne pas penser à lui, plus l’image du jeune garçon la hantait.
Et ses parents … Ah ! De braves gens ! Son père, médecin, sa mère, femme au foyer. Un homme et une femme très corrects. Ces parents humbles et travailleurs, cette course folle pour s’échapper de Damas, cette bombe à retardement …
En effet, il y a deux ans, dans le quartier de Jobar, là où elle vivait, Akim avait été blessé à l’épaule par une balle. C’est ce qui décida la famille de l’adolescente à partir coûte que coûte, pas question de continuer leur vie dans l’horreur. Un matin, la jeune fille avait soulevé le tapis de sa chambre car elle avait perdu son collier. Mais sous ce tapis, avait surgi une fissure, on aurait dit qu’on avait creusé en dessous. Elle appuya dessus mais la fissure s’agrandit. Elle s’effondra et déboucha sur autre chose : elle avait découvert des tunnels souterrains creusés par les rebelles.
Ces passages étaient tous reliés les uns aux autres, sous la ville. Une fourmilière géante. Jobar … Ce nom la faisait frissonner. Une ville fantôme aujourd’hui avec quelques rares âmes toujours aux aguets du moindre bruit.
La jeune fille et sa famille avaient emprunté ces galeries pour tenter de fuir Damas et sa terrible guerre. Ils réussirent à remonter à la surface. Ils allaient enfin s’enfuir ! Mais le destin en avait décidé autrement. Ils couraient aussi vite que leurs jambes le leur permettaient. Soudain, des cris, le bruit d’une bombe, puis le noir … Akim se réveilla quelques minutes après l’explosion. Ce dernier avait compris que leurs parents avaient terminé leur voyage, là, à la sortie de la capitale Syrienne. Mais les bombes les menaçaient trop pour rester. Il prit sa sœur dans ses bras et courut. Aussi loin qu’il le pouvait, il fallait fuir le plus loin possible de cet enfer !
« -Où sont papa et maman ?, lui avait-elle demandé.
-Euh … Ils … Ils ont pris un autre bateau. On s’est perdu de vue dans la foule et ils sont partis devant. Mais je ne sais pas où ils sont maintenant … »
C’est là que leur voyage pour Lattaquié, au Nord de la Syrie, avait commencé. Le voyage dura des mois et des mois. De longues semaines de marche.
Une fois arrivés, Akim dut trouver un travail afin de se nourrir lui et sa sœur. Jusqu’au mois d’octobre 2015, il travailla, travailla et travailla encore. Mais, voyant sa sœur de plus en plus faible, il comprit qu’il était temps de sortir de ce pays et de retrouver une meilleure vie en Europe. Leur oncle, Mohamed, vivait à Paris et accepterait sûrement de les héberger, de les nourrir. C’est ainsi qu’un soir, dans la nuit, sur une plage discrète de Lattaquié, lui et sa sœur montèrent dans une barque et dirent une dernière fois « au revoir » à leur cher pays, la Syrie.
La colère lui noua la gorge.
Pourquoi cette guerre avait-elle eu besoin de la réduire à néant ? Pourquoi avait-elle détruit ce qu’il y avait de plus cher à son cœur ? Elle leva son poing pour l’abattre sur la barque, mais elle se ravisa, se rendant compte que s’énerver ne ramènerait ni ses parents, ni la paix dans son pays …
Elle se rassit au fond de la carcasse de fer, désespérée.
Sur le bateau, les deux hommes, âgés chacun d’une trentaine d’années, se disputaient un morceau de pain trouvé par hasard dans l’embarcation. Ils hurlaient tellement fort que la jeune fille en eut des maux de tête. Les cris résonnaient à l’intérieur de son crâne. Elle voulait sortir de ce cauchemar.
Une femme, imposante, avec une mauvaise mine, essayait comme elle le pouvait de vider l’eau qui avait giclé à l’intérieur de la barque.
Une petite fille dormait, allongée au sol.
Soudain, un jeune garçon se pencha vers l’adolescente et lui dit :
« Je m’appelle Zachary et toi ? »
Mais la jeune fille ne lui répondit pas. Elle s’était endormie, ses cheveux effleurant l’eau noire. Deux heures plus tard, le petit Zachary la réveilla :
« - Réveille toi ! Nous arrivons en Italie ! »
Elle ouvrit péniblement les yeux. Son mal de crâne était parti. Alors qu’elle essayait de se mettre debout, elle vit une petite plage, isolée de tout. Elle sauta dans l’eau et courut avec bien du mal sur le rivage. Épuisée, elle se laissa tomber sur le sable humide et ferma les yeux quelques minutes …
Elle les rouvrit, se releva et chercha Akim des yeux mais ne vit pas la moindre trace de son frère. Peut-être était-il déjà en route pour aller chez leur oncle Mohamed. Mais, pas le temps de se reposer, il fallait trouver de quoi se nourrir. La femme qui voyageait avec elle sur la barque l’entraîna à l’autre bout de la plage. Là-bas, elles aperçurent une route et derrière, un village. La femme traversa, laissant seule la jeune fille au bord du goudron. Alors qu’elle traînait les pieds, affamée, elle crut voir au loin son frère discuter avec un homme en voiture. Lorsque les deux bateaux s’étaient perdus de vue plus tôt dans la nuit, il pensait que l’embarcation de sa sœur avait coulé et qu’il était maintenant temps de continuer sa route seul … Elle cria son nom mais il ne l’entendit pas. Déjà, les deux petits feux arrière s’éloignaient dans la nuit silencieuse. La jeune fille ressentit encore ce vide, au fond de son cœur … Comme s’il l’avait oublié. Mais lui aussi éprouvait une grande tristesse à l’idée d’être séparé de sa petite sœur qu’il aimait tant.
Sa gorge se noua de nouveau. Retenant ses larmes, elle revint sur ses pas. Elle s’arrêta devant un panneau à l’entrée du village qui indiquait « Mortola Inferiore ». Elle se dit que passer la nuit ici serait peut-être une bonne idée. La simple idée de dormir la réjouissait. La femme revint vers elle et lui tendit du pain et du chocolat, qu’elle avala lentement pour profiter de ces saveurs dont elle avait oublié le goût depuis des mois. Une fois son repas achevé, elle ferma les yeux, et s’endormit dans le sommeil le plus profond qu’elle n’ait jamais connu … Le gigantesque serpent d’argent, dessiné sur les flots méditerranéens étaient encore là, et semblait observer la jeune fille ; la légère brise lui murmurait à l’oreille une douce berceuse dans la nuit étoilée.
Le réveil fut dur. Une longue journée l’attendait et elle était lasse de marcher sans jamais voir la fin de son voyage. Elle commençait à se plaindre de ces longues journées de solitude. Le petit Zachary vint s’asseoir à côté d’elle.
« -Tu sais, l’important c’est de savoir qu’on est en sécurité. Et puis tu vas enfin retrouver ton frère. En plus nous avons évité les passeurs ! C’est une vraie chance !
-Tu as raison. Nous sommes trop près du but pour nous arrêter ! », répondit-elle, déterminée.
Elle se leva et admira la belle plage de Mortola Inferiore. Le serpent d’argent avait disparu.
Peut-être avait-il été son ange gardien durant la traversée de cette grande étendue bleue … Elle déjeuna avec ses compagnons de voyage et se mit en route avec le petit garçon à ses côtés, jusqu’à la frontière franco-italienne. Ils y arrivèrent en milieu d’après-midi. La jeune fille pensait qu’elle ne rejoindrait jamais la France. Elle savait que bon nombre de migrants venus d’Érythrée et d’autres pays n’avaient pas été acceptés sur le territoire français. Pourquoi les douanes l’accepteraient, elle ? Ou Zachary ? Jamais elle ne passerait. Elle s’inquiétait pour Akim. Peut-être n’avait-il pas pu passer la frontière. Sa gorge se noua. Elle avait une boule au ventre.
On la questionna. En long, en large et en travers. Et, par on ne sait quel miracle, les douanes lui indiquèrent la route pour Menton. Elle était admise en France. Le jeune garçon aussi réussit à rejoindre la France !
« Allah nous protège, Akim avait raison. », pensa-t-elle, heureuse.
Puis, quelques minutes plus tard, une femme, qui se rendait à Nice, accepta de déposer la jeune fille et Zachary là-bas. Le trajet passa plus vite qu’elle ne le pensait. _ Aux alentours de la ville, elle commença à apercevoir des forêts de mimosas.
Elles venaient d’arriver. Il fallait maintenant trouver le moyen de gagner Paris. Elle s’assit sur le trottoir et réfléchit un instant. Il faudrait trouver quelqu’un qui accepterait de l’emmener à la capitale, en voiture. Zachary, assis à côté d’elle, la regardait tendrement. Lui, avait perdu sa grande sœur. La jeune fille était sans doute la personne qui permettait de combler le vide dans son cœur. Sans pour autant que cela ne devienne insupportable pour l’adolescente.
Alors qu’elle était perdue dans ses pensées, une grande femme élégante s’arrêta devant elle et la regarda d’un air inquiet.
« -Vous êtes perdus les enfants ?
-Nous cherchons à rejoindre Paris.
-D’où venez-vous ?
-Euh …, la jeune fille hésitait, craignant de mal se faire voir, Nous venons de Syrie.
-Mes pauvres enfants ! Venez avec moi. Je vais vous héberger. Et demain, je vous conduirai à Paris. Je dois m’y rendre pour mon travail, cela ne me dérange pas de vous accompagner là-bas. »
Les deux enfants suivirent la femme, heureux d’avoir un toit pour la nuit. Le cauchemar allait peut-être enfin se terminer …
Elle habitait une grande propriété, impeccablement propre, sur les hauteurs de Cimiez. Elle leur montra leur chambre, la cuisine et tout ce qu’il y avait à visiter. Les dix-neuf heures sonnaient.
« - Les enfants, vous pouvez venir manger. », dit-elle en souriant.
Zachary fut le premier à table. L’adolescente regardait cette grande dame brune. Bizarrement, derrière ce sourire bienveillant, elle sentait une profonde tristesse. Comme si elle avait une plaie au cœur qui ne semblait pas cicatrisable. La jeune fille ne dit rien et baissa le nez dans son assiette.
« - Je m’appelle Lucie, et vous ?
- Je m’appelle Zachary.
- Et toi, qui es-tu ?
-… Je ne sais plus … », répondit tristement l’adolescente. »
La conversation tourna autour de la vie en Syrie, de la famille de la jeune fille. Puis, les deux enfants allèrent au lit et dormirent comme deux pierres. Le lendemain, tous trois partirent afin de rejoindre la ville aux mille lumières.
Le voyage fut stressant. Elle regardait les différents paysages de cette France qu’elle n’avait jamais vue auparavant, mais qu’elle commençait déjà à apprécier ! Elle aimait regarder ce ciel bleu qui lui redonnait peu à peu espoir, cette herbe verte qui lui rappelait les yeux pétillants de son grand frère. Sur le ciel commençait à passer un voile sombre. Le jour laissait place au crépuscule orangé. Les rayons du soleil lui faisaient un peu plisser les yeux, mais c’était bien trop agréable de pouvoir se détendre sous les dernières lueurs du jour.
Le tableau de bord de la voiture indiquait 20h40. Lucie avait déjà déposé Zachary dans un autre arrondissement de la ville. L’adolescente s’apprêtait à sortir de la voiture mais l’élégante femme de Nice la retint.
« - Quel est ton nom ?
- Amira. Je m’appelle Amira …
- J’ai été ravie de te connaître Amira », lui dit-elle en souriant »
Elles se saluèrent et la jeune fille entra dans l’immeuble où vivait son oncle. Elle se souviendrait longtemps de ce que Lucie avait fait pour elle et Zachary !
A l’intérieur de la bâtisse, régnait un calme étrange. Pas de bruit de voisins, de pas, de chats ou de chiens. On n’osait même pas respirer. Le sol et les murs étaient faits de pierre. A droite du hall, se trouvaient de vieilles boîtes aux lettres poussiéreuses, dont la peinture vert foncé s’effritait ; à gauche, de vieux meubles tassés les uns sur les autres : un vieux canapé en cuir éventré, des tabourets cassés et des chaises aux pieds manquants.
Les escaliers montaient en colimaçon. Une rambarde en fer noire instable collait au mur toute personne qui montait, car on avait bien trop peur de se pencher et de tomber dans le vide.
Les portes, toutes brunes, s’enchaînaient, toujours le même décor revenait : les noms des locataires sur une étiquette collée sur les portes, le papier peint du premier étage jaune, jusqu’au dernier étage où personne n’allait jamais. Elle arriva au quatrième étage et frappa à la porte de son oncle. Il lui ouvrit la porte,à la fois incrédule et heureux puis la referma derrière elle. Elle s’avança silencieusement dans le salon et trouva un petit chat noir, assis sur le canapé. La télévision diffusait un match de football entre la France et l’Allemagne.
« - Akim n’est pas là ?
-Il est allé à une de ces épiceries qui sont ouvertes la nuit, je n’avais plus de café. _ Il voulait en profiter pour faire un saut au stade de France, il voulait tant le voir de ses propres yeux ! Il y est allé avec mon scooter. Il sera vite rentré. Mais parlons de toi ! Tu dois être épuisée, quand j’ai vu ton frère il m’a dit qu’il craignait que tu te sois noyée car il t’avait perdu de vue ! Qu’Allah vous bénisse, vous êtes de jeunes gens chanceux ! Mange Amira, mange. »
Elle avala tout ce que son oncle lui présentait, malgré l’heure tardive. Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas mangé un aussi bon festin. Soudain, la jeune fille entendit à la télévision un bruit qu’elle connaissait, un bruit qu’elle connaissait trop bien : une bombe … Le match était arrêté. Les gens criaient.
Deux autres bombes explosèrent. Son oncle éteignit la télévision et ferma les volets, l’air angoissé.
« -J’espère que ton frère va bien.
-Je l’espère aussi ! Je ne veux pas le perdre …, dit-elle les larmes aux yeux. »
Elle resta éveillée avec son oncle et pria pour qu’Akim ait trouvé un endroit sûr. Elle tourna en rond pendant plusieurs minutes.
Vers minuit, on frappa à la porte. C’était un ami de Mohamed, Achir. Ce dernier lui ouvrit. Amira était venue voir ce qu’il se passait. Le visage inquiet de l’homme ne la rassurait pas. C’est avec la gorge serrée qu’Achir lui souffla.
« -Amira, ton frère ne reviendra pas … »
Nous sommes le 13 novembre 2015. Je m’appelle Amira, et ceci est mon histoire …