L’édito de Michel Le Bris

Nous sommes plus grands que nous

10 mai 2017.
 

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« La démocratie est menacée à chaque fois que nous la considérons comme acquise » Barack Obama.

Comme une évidence, qui rend d’autant plus actuel le « Manifeste pour une Littérature-monde » publié il y a exactement dix ans : il n’est pas de question plus urgente, et à l’échelle du monde, que celle de la démocratie. Partout menacée, comme si nous avions perdu ce qui lui donnait sens, et qu’il s’agit de défendre, en l’interrogeant. Parce qu’elle engage une idée de l’être humain. De sa liberté. De sa grandeur. De sa capacité de création. Une idée que porte la littérature. Démocratie- littérature : un même enjeu.
Pourquoi les fanatiques détruisent-ils à Palmyre et ailleurs les manifestations du génie créateur de l’être humain ? Parce que c’est ce génie, porteur de liberté, qu’ils veulent à toute force nier. Retrouver l’élan démocratique aujourd’hui, c’est retrouver le sens de cette grandeur.
Et parce qu’il n’est pas de question plus urgente, ce sera le thème de notre festival, décliné sous ses multiples facettes.

Démocratie : état d’urgence

Qui ne la sent pas venir ? Comme une fatigue de la démocratie, une moindre envie d’être ensemble, la tentation, liée, d’une montée aux extrêmes qui nous débarrasserait, croit-on, du chaos menaçant, permettrait de retrouver un monde simple, ordonné. Et cette impression d’un corps social devenu le théâtre de nos irritations réciproques, sans capacité de réaction lorsqu’ailleurs – mais ailleurs, seulement ? – se déploie une haine radicale, absolue de la démocratie, une guerre à mort décrétée par tous les intégristes.
État d’urgence

Fatigue, mais aussi impatience. Fatigue d’une démocratie perçue à bout de souffle, quand vient le sentiment de n’être plus « représenté ». Et impatience, attente, désir d’une démocratie renouvelée, retrouvant chair et âme. Comment ne pas voir qu’elles vont souvent de pair, et que cette attente travaille la société en ses tréfonds ? La démocratie : peut-être une idée neuve. Et la seule réponse aux intégristes et aux prophètes de la peur.
État d’urgence.

Nous sommes plus grands que nous

Mais une idée neuve qui ne peut pas se réduire à des institutions, des règles et des lois – lesquelles ne trouvent sens et force que si elles s’arriment à ce qui les firent naître : une vision, une idée plus grande de l’être humain. Qu’elle s’absente, cette idée, qu’elle vienne à s’oublier, nous en avons la démonstration sous les yeux, et la démocratie devient une coquille vide.
Car l’être humain, comme le rappelait Édouard Glissant, ne se réduit pas aux statuts de « producteur » et de « consommateur », il est en lui une dimension de grandeur qui le fait homme et le fait libre, irréductible à ce qui prétend le déterminer et le contraindre – une dimension dont les flamboiements de la création artistique portent témoignage. Il n’est pas de « pacte citoyen » qui tienne s’il ne se nourrit pas de cette habitation du monde, de cette idée de soi et des autres portées par les milliers d’œuvres qui forment une culture. C’est cette idée de soi, croyons-nous, qu’il s’agit de reconquérir.
Qu’est-ce qu’un être humain ? Les interrogations nouvelles sur les animaux, sur nos rapports à eux sont aussi des interrogations sur nous-mêmes, sur notre « animalité », sur notre rapport à la « nature ». Tout comme les progrès rapides de l’intelligence artificielle, sur les perspectives ouvertes par la robotique nous interpellent sur nous-mêmes. Le monde change à toute vitesse, bouscule nos catégories mentales.
Qu’est ce qui nous fonde en notre humanité ? La question nous est brutalement posée par les migrants, quand la Méditerranée devient un immense cimetière : mais c’est une certaine idée de nous-mêmes qui meurt un peu plus chaque jour, avec eux. Qu’est-ce qu’un être humain ?

L’enjeu de la littérature

Entendons-nous : c’est d’un combat à l’intérieur de la culture qu’il s’agit. D’une remise en cause : pourquoi perdons-nous aujourd’hui la bataille de la culture ? Et cela suppose que l’on retrouve cette haute idée de l’être humain et de sa capacité de création qui a fait notre génie. Et que cesse ce vertige du dénigrement, de la haine de soi où puisent si généreusement aujourd’hui ceux qui nous ont déclaré la guerre. Mozart n’est pas Hitler, nous ne sommes pas les universels coupables de tout. Et c’est aussi au nom de cette idée plus grande de l’être humain qui fit le flamboiement de notre culture que partout, dans les pays totalitaires, se battent ceux qui revendiquent aujourd’hui leur liberté – à commencer par les femmes.

Crise de la démocratie ? Urgence de la culture.

C’est de cela dont nous voulons débattre, cela que nous voulons affirmer. Ici et maintenant, avec des artistes venus du monde entier. Ici, maintenant, contre les monstres qui menacent.
Il y a urgence.


Michel Le Bris
Directeur du festival Étonnants Voyageurs

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