Prise au piège

Écrit par LECUYER Jeanne (2 nde, Lycée Saint Jean et La Croix de Saint-Quentin)

23 avril 2019.
 

Prise au piège

Elle esquissa un pas à reculons, puis fit une brusque volte-face et s’éloigna en s’efforçant de ne pas courir.

Dès qu’elle eut franchi la porte de la pièce, ne tenant plus elle courut dans sa chambre et, se jetant sur son lit se blottit dans ses draps, comme pour former un cocon l’isolant de l’extérieur et du regard de l’inconnu qui, pourtant loin, semblait encore exercer une pression sur elle. La jeune fille pouvait encore sentir le regard inquisiteur, avide, presque sauvage de l’homme, braqué sur elle, la transperçant de part en part comme une lance de glace.
Elle resta ainsi, roulée comme un petit hérisson, quelques secondes durant, avant de risquer un œil en dehors de son abri. Son vieux lapin bleu était toujours posé sur la commode, tel une vieille relique. Sur son bureau était rangée, en rang d’oignon, sa collection de poupées russes, et son sac était nonchalamment posé sur son fauteuil, attendant patiemment d’être utilisé. Tout était là, rangé comme à son habitude, rien n’avait bougé. Cette scène familière la rassura un peu, comme si ses repères n’avaient pas bougé, et qu’elle se sentait sur son territoire.
Lentement, elle posa un pied, puis deux, à terre et fini par se lever de son abri. Avec précaution, elle s’aventura hors de sa chambre afin de vérifier si l’inconnu avait disparu. Elle n’eut pas le temps de faire trois pas qu’un violent bruit retentit dans la maison, comme si quelqu’un frappait la porte. Un frisson lui parcourut l’échine et Lola se sentit comme oppressée, enfermée, prise au piège, comme un lapin sentant le renard rôder autour de sa tanière. Que pouvait bien lui vouloir cet individu aux manières peu civilisées ? Bien que la curiosité l’incitât à allait voir de quoi il en retournait, son instinct lui criait de s’enfuir, car l’inconnu était une potentielle menace. Dans un réflexe totalement humain, elle attrapa une de ses mèches de cheveux et la tortilla entre ses petits doigts. Le regard de l’homme semblait peser sur elle plus que jamais : c’était comme si elle était coincée sous une immense pile de livres, et qu’elle étouffait, mais coincées par leur poids, ne pouvait se mouvoir. Elle était incapable de bouger, engourdie, paralysée. Un nouveau bruit, semblable au premier, mais plus violent, retentit dans la maisonnée. A présent, la jeune fille était apeurée, terrifiée. Ses jambes tremblaient sous elle, et un sentiment d’étouffement s’empara d’elle ; elle n’était alors plus maitresse d’elle-même, et la peur, ainsi que son instinct de survie, s’empara d’elle. Lola se précipita sous la table, et s’y roula en position fœtal, prête à parer une éventuelle agression. Ses bras tremblaient autour de ses jambes et elle contenait avec peine son hystérie naissante. Une voix retentit, brutale et ferme comme un aboiement :
« Ouvrez ! Je sais que vous êtes là ! »
Lola s’arrêta par automatisme de respirer, comme si cela aurait pu effacer sa présence. Elle recroquevilla sa tête entre ses genoux, et ses mèches de cheveux lui tombèrent devant le visage, faisant comme un voile protecteur. Ses membres étaient pris de frissons incontrôlables, et bien qu’elle soit séparée d’une cloison avec l’homme au regard de loup, elle ne se sentait pas en sécurité. Comme la tortue recroquevillée dans sa carapace, sentant le prédateur roder autour d’elle, Lola se sentait prise au piège. La seule issue était la porte d’entrée, bouchée par l’ennemi. Pour sortir de cette situation, elle allait devoir lui faire face. La jeune fille, résolue à affronter l’ennemi, sortit de sa cachette et, attrapant au passage la batte de baseball de son grand frère, qu’il avait gagné il y a longtemps lors d’un tournois inter-universités, elle se dirigea à pas feutrés vers le point fatidique où elle rentrerait en contact avec le loup. Elle pouvait déjà le sentir jubiler à l’idée de sa proie presque acquise entre ses griffes. Encore tremblotante, Lola entrouvrit la porte et s’enquit de la présence de monsieur.
« Ah bah c’n’est pas trop tôt ! Vous voilà enfin ! J’ai un colis pour ta mère, petite. »
Surprise, soulagée, mais encore méfiante, la jeune fille l’invita à entrer. L’individu rentra sans se faire trop prier, bousculant au passage la pauvre Lola. Il posa avec brusquerie le colis à terre et se mit à fouiller dans ses poches en pestant contre le papier introuvable. Lola en profita pour l’observer. Il avait la face ronde, une barbe de quelques jours, fruit de sa paresse, et sa peau était jaunie et ridée par des années de consommation de tabac. Ses cheveux décoiffés évoquaient un champs de bataille et son T-shirt, représentant un loup hurlant à la pleine lune, était recouvert de quelques taches de graisse. Dans sa bouche, un petit cure-dent mâché depuis sûrement quelques heures subsistait sous l’état d’une petite brindille déformée. De plus, avec ses habits trempés comme des soupes, il n’avait pas fière allure et Lola lui trouva une forte ressemblance avec une sardine à l’huile, fraichement sortie de sa boite de conserve. L’énergumène ayant enfin retrouvé son papier, il lui demanda de signer l’accusé de réception. La jeune fille saisit le stylo qu’il lui tendit, et apposa sa signature, composée de quatre lettres en majuscules : LOLA.
L’homme débita alors une brève formule de politesse et s’en retourna sous la pluie, sans doute pressé par une autre commission.
Encore sous le choc de cette éprouvante rencontre, Lola ferma la porte de la petite maison et poussa un soupir de soulagement ; elle jaugea le paquet d’un oeil curieux. Que pouvait-il bien contenir ? Elle le souleva ; il n’avait pas l’air bien lourd. Elle le secoua avec précaution, essayant de deviner ce qui se trouvait à l’intérieur. Mais rien de ce qu’elle entendit ne l’aida dans la résolution de cette énigme. Poussée par la curiosité, elle posa le paquet sur la table et entreprit de l’ouvrir. Sa maman avait promis de lui offrir un cadeau cette semaine, sûrement était-ce celui-ci ? Elle finit d’ouvrir le paquet et un petit livre s’offrit à sa vue. La jeune fille le saisit et lut le titre.
« La Bête humaine »