Le propre de l’Homme

Écrit par CHASSIGNOL Cristina (1 ère, Institution Lamartine de Belley)

23 avril 2019.
 

Le Propre de l’Homme


Elle esquissa un pas à reculons, puis fit une brusque volte-face et s’éloigna en s’efforçant de ne pas courir.

Ne sachant que faire, elle se dirigea machinalement dans sa chambre, d’où elle pouvait à la fois se cacher du regard vicieux de cette sorte d’homme tout en pouvant l’étudier de façon plus précise. Malgré la terreur qui l’a pétrifiait, elle désirait plus que tout déchiffrer la nature de cet inconnu qui la troublait. Avec ce déluge assourdissant et la présence d’un rôdeur dans le parc de la maison familiale, Lola ne pouvait de toutes façons pas s’échapper.
Elle se tenait donc droite, adossé de la façon la moins naturelle qui soit, contre l’encadrement de la porte. Ses membres rigidifiés par la peur ne répondaient plus et elle dû faire preuve d’un effort surhumain pour parvenir à se retourner et à faire de nouveau face au malfaiteur. A sa vue, elle ne pu retenir encore une fois un sursaut. La jeune fille en était certaine, l’homme n’avait pas bouger d’un centimètre, toujours collé à la façon d’un psychopathe contre les carreaux, le regard vide et glacial. Ces yeux sombres étaient ceux d’une bête assoiffée de chair humaine et les récit enfantins que lui racontaient sa grand mère à propos de créatures nocturnes venant réprimer les petits garnements lui apparurent tout d’un coup d’un réalisme frappant. Elle se voyait déjà se débattre violemment des griffes acérés de ce montre sanguinaire venu lui faire payer une quelconque faute. Venu pour lui faire la peau, elle ne comprenait pas pourquoi ce sauvage malveillant n’était pas encore entré en action, pourquoi il attendait passivement tel un aliéné adossé sur le bord de la fenêtre du salon ou encore pourquoi -et elle ne remarque ceci qu’à cet instant – il pressait fermement sa main velu contre son torse épais de fauve. Il appuyait d’une telle force que Lola pouvait saisir le mouvement de ses muscles, visibles au travers du haillon qu’il portait, qui se crispaient. Il appuyait comme un forcené contre sa poitrine, certainement jusqu’à s’en faire mal et l’espace d’un instant, la jeune fille eu de la peine pour cet être qui était visiblement fou, et tandis que sa terreur revenait rapidement à la surface de ses pensées et de son corps, elle ne put cette fois ci retenir un cri. Sorti de ses entrailles, il mêlait stupeur et dégoût.
Lola devait agir mais elle ne savait pas encore comment. La chose avait retiré cette main d’ogre qui semblait le maintenir immobile, laissant place à une blessure béante, certainement vieille car des taches de sang séché couleur rouille maculaient sa guenille. Cette vision fut d’une grande violence pour Lola - que la vue d’une simple égratignure troublait - mais, c’est la nouvelle attitude de son visiteur qui la désorienta le plus. L’homme sorti des bois, jusqu’ici statique, se tordait maintenant dans tous les sens. Il gesticulait comme un insecte soudain piégé sous la chaussure d’un homme. Et ses yeux ! Lola les chercha longtemps avant de les rencontrer une nouvelle fois. Lorsqu’il tourna enfin son visage vers la jeune fille, le loup menaçant s’était métamorphosé en une petite souris, prisonnière d’un piège à rat trois fois plus imposant qu’elle. Le monstre pleurait. A chaude larmes. Bientôt ses sanglots et les épaisses gouttes de pluie se mélangeaient et se confondaient.
Il fallut près de dix minutes à Lola pour se décider. Elle était sortie, le plus doucement qui soit, de sa maigre cachette et marchait d’un pas lent et craintif. Qu’il se soit écoulé quelques secondes ou bien des heures, elle n’aurait pu s’en rendre compte, elle ne pouvait pas avancer plus vite et elle fournissait pour chaque pas un grand effort. Arrivé au bout du couloir qui lui sembla, pour la première fois de sa vie, interminable et n’étant pas réellement sûre de ce qu’elle s’apprêtait à faire, elle composait avec les quelques soins trouvés dans sa salle de

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bain une trousse de secours de fortune. Et d’une démarche de plus en plus assurée, comme si le sang refluait dans son cerveau, Lola se dirigea vers la porte d’entrée afin de sortir de la maison et rejoindre le géant. Aussi précautionneusement qu’elle avait déambuler dans sa maison, elle longea les murs extérieurs et se trouva face à ce qu’elle n’avait pas encore pu définir clairement. Il était encore là. Courbé de façon étrange, son buste se soulevait à chaque inspiration dans un râle continue qui sortait de sa gorge. Ce grognement lugubre d’homme des cavernes inquiétait Lola mais le voyant agonir, son âme la forçait à lui venir en aide, quoique qu’elle ne fût pas sûr de la façon dont elle devait procéder.
Sans qu’elle y fut préparée, des mots comme sortis des entrailles de la terre percèrent le silence de cette scène pittoresque. D’abord incompréhensibles, l’homme semblait pourtant fournir des efforts afin de composer des syllabes intelligibles et Lola tomba des nues lorsqu’au bout de quelques minutes, il prononça enfin une phrase claire qu’elle put comprendre. Malgré son débit lent et sa voix monocorde, la jeune fille s’agrippait à ses paroles et s’efforçait de n’en perdre aucune. Elle était totalement démunie alors qu’il se présentait à elle. Il se nommait Martin, vivait dans la forêt qui bordait la maison de Lola, dans une hutte saugrenue au toit déformé et bancal, construite à partir de pauvres matériaux trouvés ici et là. Il vivait tel un hirsute depuis des années en se nourrissant des fruits de la nature. Ses besoins n’étant que vitaux, la tranquillité et la primitivité de cette vie l’avait charmé et convaincu de quitter ce qu’il qualifiait lui même de « soit disant civilisation ». Face à l’hébétement de la jeune fille, il expliqua qu’il avait croisé la veille la route de chasseurs et que ceux ci, sans même réfléchir lui avait tiré dessus, avant de détaler en hurlant. Il proféra des insultes envers « ces brigands » dénués de bon sens et après un long silence, s’écria « Qu’ont-ils pu penser ces truands ? Que je n’étais qu’un ours sauvage ? ». Il termina son monologue en indiquant à Lola que la balle lui avait seulement effleuré le flan mais que la douleur lui était tout de même difficilement supportable, et il tenta de planter un regard implorant dans les yeux de la jeune femme. Celle-ci cependant ne le regardait plus, elle avait cesser d’écouter ce … Martin, et s’évertuait à remettre en place les informations qu’elle venait de recevoir, qui s’entrechoquaient et embrouillaient son esprit. Sans dire mot elle leva le tête et invita Martin à entrer chez elle. Lola aurait sûrement trouvé comique sa démarche gauche et empotée si elle avait été totalement rassuré par le fait de convier une sorte de sauvage dans son salon.
Elle le regarda s’affaler dans le fauteuil qu’elle lui avait proposer et rapprocha un petit tabouret sur lequel elle pouvait s’asseoir et soigner la plaie de Martin. Loin d’avoir la fibre médicale, Lola dû s’y reprendre à plusieurs reprises rien que pour approcher ses yeux de la blessure. Elle l’a jaugea longtemps et comprit que seul l’épiderme avait été touché. Quelques pansements plus tard, alors que Martin semblait s’être assoupi, elle lui tendit une chemise large et propre que son père ne portait plus. Surpris de ce présent, il l’accepta sans rechigner et remercia Lola de sa bonté. En effet, un dialogue s’était finalement établi entre ces deux individus qu’en apparence tout opposait. Lola questionnait Martin sur sa vie de reclu, comment survivait-il au froid de l’hiver, ne se sentait-il pas trop seul, où était donc sa famille qu’il n’avait pas revue si depuis longtemps. Et il lui répondait, avec désormais une grande aisance et une implication véritable. Sa petite cabane le protégeait des grandes gelées hivernales et des intenses chaleurs de l’été. La solitude ? C’est ce qu’il était venu chercher en se coupant du reste de la société, comme issue à sa quête du bonheur ; sa famille lui manquait parfois mais ce compromis avait été nécessaire. Lola, curieuse à présent, désirait plus de précision, des exemples ou des événements concrets ayant poussé un citoyen banal à

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revenir à un état sauvage, loin de tout le confort offert par la civilisation. Et tandis que les heures s’écoulaient, Martin se livrait pleinement à la jeune fille qu’il appréciait par son naturel et sa gentillesse. Il avait été confronté aux pires vices des hommes : leur jalousie excessive, leur ambitions démesurées, leur exubérance et leur mégalomanie. Aux cours des époques, l’homme avait trouvé bon de réfléchir sur lui même, de se placer au cœur de toutes interrogations, de tout raisonnement et de l’ensemble des préoccupations. Cela lui avait redonné confiance après de longues périodes de doutes, sûrement trop, car il en avait profité pour trouver des excuses à tout ses maux et des justifications pour toutes ses erreurs. A l’écart du monde et des hommes, Martin avait découvert l’harmonie entre les éléments, la joie des plaisirs simples, l’amour de la nature. La faune et la flore lui fournissaient suavité et délicatesse, allégeant son cœur de la rancœur dont il est était emplit. Il termina ces justes paroles en ajoutant : « Du civilisé au sauvage, il y a tout juste la distance qu’il y a de l’amour à la jalousie. »1
Au terme de leur échange, Lola ramena donc son nouvel ami au seuil des bois et tout en se quittant, ils se promirent de se revoir.
Lorsqu’elle reprit en main son journal, le ciel grisâtre avait regagné de sa lumière et de son éclat. Elle n’arrivait pas à se concentrer de nouveau sur sa tâche, les lignes du bulletin d’informations lui semblaient vide de sens et elle décida de rapporter à plus tard les recherches qu’elle était censé faire pour un devoir scolaire. Toujours pensante et finalement ravie de sa journée, elle feuilleta le reste du périodique et fut d’un coup prise de tremblements. Au milieu des articles sportifs et du carnet rose de la semaine, une petite rubrique consacrée aux fait divers alentours exposait la figure d’un criminel récidiviste évadé de prison, ardemment recherché par les forces de polices depuis plusieurs mois. C’est un nom -MARTIN GILLET-, écrit en lettres capitales sous la photographie, qui accentua davantage son épouvante. Revenu dans l’état de torpeur du début de la journée, Lola s’interrogeait : « Qu’est-ce qu’un être sauvage et qu’est-ce qu’un être civilisé ? Au fond, qu’importe », et, une citation d’un auteur qu’elle connaissait bien résonna dans son esprit « Tout homme est un criminel qui s’ignore. »2

1 : Physiologie de l’amour moderne, Paul Bourget (1889)
2 : L’homme révolté, Albert Camus (1941)