Les ténèbres sont (presque) humaines

Écrit par BELLER Ariane (2 nde, Lycée Jeanne d’Arc de Pontivy)

23 avril 2019.
 

Les ténèbres sont (presque) humaines

Elle esquissa un pas à reculons, puis fit une brusque volte-face et s’éloigna en s’efforçant de ne pas courir.

Terrassée par la peur, elle s’éloigna et se colla au mur. C’était probablement la première fois qu’elle souhaitait fusionner avec le papier peint. Dans un élan de courage et d’adrénaline, elle reprit les ciseaux qu’elle avait posés quelques minutes plus tôt, ouvrit la fenêtre, puis poignarda la chose à travers la fenêtre ouverte. Le verre de la vitre désormais teinté de rouge, Lola réalisa ce qu’elle venait de commettre. La scène défilait en boucle dans sa tête comme un cheval sur un manège. Elle lâcha les ciseaux et, d’effroi, s’enfuit du salon en courant, aussi vite qu’elle le pouvait. Ne sachant où aller, elle décida de traverser la forêt entourant sa petite maison de campagne. Elle pénétra dans l’imposante forêt de sapin, où la pluie se confondait avec les larmes qui ruisselaient sur ses joues. « Qu’ai-je fais », « Pourquoi cette chose ne semblait-elle pas humaine ? » se disait-elle. La panique avait raison d’elle et la logique lui paraissait inexistante. Cette profonde réflexion sur ses actes lui faisait oublier la longue course qu’elle avait entamée dans la forêt. Finalement sortie de celle-ci, elle descendit la montagne, atteignit le village le plus proche et rejoignit ce qu’elle appelait la « véritable » civilisation. Des gens, tout ce qu’il y a de plus normal, avec deux jambes, deux bras, un nez, une bouche... Des humains. Aucune carrure d’ogre, pas d’yeux jaunes semblables à ceux d’un loup. Juste des hommes. Sa maison qui surplombait la montagne, entourée de cette imposante forêt lui semblait appartenir à un autre monde, comme si la forêt marquait deux mondes qui s’opposent. D’un côté, sa maison qui représentait le foyer de toutes les phobies, et d’un autre côté, le village en aval qui lui assurait une protection contre l’horreur à laquelle elle avait fait face un peu plus tôt. Cependant c’était sa maison et, à contrecœur, elle décida de remonter la montagne pour rentrer chez elle.

Face au cadavre de la bête, de la chose, ce dont elle avait peur... Elle reprit ses esprits et décida d’ensevelir le corps. Une fois la chose enterrée six pieds sous terre, seule une tâche restait : nettoyer le sang qui avait donné à la vitre une couleur sordide. Après cela, Lola se dit qu’il ne fallait pas en parler. A personne. Le secret devait être bien gardé. La Lune éclairant le ciel à présent sombre comme ses pensées, Lola se coucha l’esprit agitée.
Le lendemain, elle descendit au village afin d’aller, comme chaque matin, faire ses courses. Après un trajet familier dans la forêt puis le long de la montagne, elle atteignit ce village qui faisait sur elle l’effet d’une enceinte protectrice. Elle se dirigea vers le petit magasin du village. Dans celui-ci se trouvait un téléviseur qui diffusait les actualités. Tandis qu’elle prenait son paquet de céréales, son attention fut attirée par ce qui passait à la télé. Une alerte à l’enlèvement défilait sur l’écran. Mais ce qui la dérangeait c’était le supposé visage du kidnappeur : elle ne voyait pas un homme. Une fois encore ce n’était pas humain. Un visage aussi dur et froid que celui d’un golem et les yeux perçants d’un griffon. Il était présenté virtuellement sur cet écran mais, malgré cela, les yeux rouges de cet individu transperçaient son âme et faisait resurgir la terreur et l’inquiétude qui sommeillaient en elle.
En une fraction de secondes, le paquet de céréales fut sur le sol, provoquant l’incompréhension et la stupéfaction du commerçant. Lola ne voulait rien laisser paraître, alors elle afficha un large sourire et assura au vendeur que c’était simplement la boîte qui était accidentellement tombée de son sac. Le grossiste, bien que surpris sur ce qu’il venait de se dérouler, lui rendit ses courses. A la sortie du magasin, Lola s’effondra. « Encore » se disait-elle, « ça recommence ». Devait-elle alerter l’hôpital ? La police ? Cette idée l’angoissait davantage. Elle se releva, puis traversa le village. Un. Deux. Trois. Trois en dix minutes. Chaque fois qu’elle en croisait un... Ces « choses »…
Elle se figea. Paralysée par ce qu’elle voyait. C’était illogique, dépourvu de sens et cela représentait tout ce qu’elle fuyait. Ses hantises. Ses phobies. La petite lueur d’espoir s’éteignait au fur et à mesure que ces créatures apparaissaient. Était-elle la seule ? Son cerveau était-il corrompu ? La folie prenait le dessus laissant place à toujours plus de questions et d’incompréhension. Ce qu’elle voyait était toujours plus horrifique. La seule vue de ces monstres brûlait son âme, son âme désormais terne et noire. Elle voulait juste sortir de ce cauchemar.

Elle s’assit sur le bord d’une fontaine pour tenter de reprendre ses esprits. En vain. L’eau lui paraissait rouge, semblable à l’hémoglobine de sa victime. Son bon sens avait disparu autant que ses bons souvenirs. Le Grand Parc d’attraction coloré était devenu un enfer sombre et sans issue. Un labyrinthe de lamentations et de plaintes. Les voix. Elle les entend. Elles lui manipulent l’esprit de leurs mots inhumains. Elle n’avait plus le contrôle d’elle-même, elle n’était plus qu’une simple marionnette tirée par les ficelles du remord. Le regard vide, elle marcha en direction de sa maison dans « l’autre monde » Elle observa la butte de terre où la bête était enterrée, puis rentra à l’intérieur de la maison.
Allongée sur son lit, le regard vide, sans battre d’un cil. Lola était semblable à une morte. Son teint pâle contrastait avec la noirceur de ses pensées. Cependant cette folie semblait presque lui convenir. Un sourire en coin et le corps immobile, elle s’endormit quand le soleil fut couché. Les créatures. Elle voulait les revoir. Non pas elle, mais les voix à l’intérieur d’elle. A son réveil, Son corps qui semblait manié par des ficelles, marchait en direction du village.

La forêt paraissait normale, comme si le monde s’était inversé. Les grands sapins sombres semblaient convenir à son esprit, comme si sa place se trouvait dans le noir, avec ces créatures des enfers. Chaque pas était toujours plus lourd...Vraiment plus lourd, est-ce qu’elle perdait la tête ? Était-ce encore Lola seulement ? Un. Deux. Trois. Ce bruit…Pas les monstres. Les Larmes de la pluie. Et non les siennes. Lola s’enfonça toujours plus dans ces bois ténébreux. Ce n’était plus Lola. Lola n’avait pas ces yeux vides et noirs... d’un noir de jais. Ses bras... ils flottaient aux vents, telles les ailes d’un aigle prêt à prendre son envol. Le vent et la pluie cessèrent. Le silence dominait la grande zone dans laquelle elle se tenait, debout. Pourquoi ce silence ? Un bruit sourd retentit. C’était le son de ses regrets, le son du remord.

Rapport Audio du Médecin Légiste Dr. Nelson, 28.04.17 :
Nom : Inconnu / Prénom : Lola. Découverte Le 15.04.17 dans la forêt de l’ouest
Heure de décès : indéterminée
"Après investigation chez la victime, découverte d’antidépresseurs et autres médicaments, supposés soigner la victime atteinte de schizophrénie. Découverte d’un corps enseveli près de la maison de la victime. L’arme du crime a été retrouvée à même le sol, le corps du jeune homme enterré porte l’ADN de la victime. On peut en déduire, après examen, que la victime a tué le jeune homme, probablement à cause de sa sévère schizophrénie. Fin du rapport du vingt-huit avril deux mille dix-sept."

Chaque personne que vous croisez n’est pas ce que vous pensez. L’homme peut être aussi sauvage qu’un animal aux allures d’innocente brebis et vous dévorer de leurs dents de Lion. La folie et le désespoir peuvent vous faire voir des choses. Vous pouvez même vous identifier à des personnes dans les rues, par un simple regard. La vision de deux mondes, deux versions des gens, le bon et le mal, le blanc et le noir. Même après remords et regrets, lorsque l’homme perd le contrôle, Il est prêt à assassiner ses congénères. Même si l’un d’entre eux demandait simplement de l’aide à sa fenêtre.