Apparences

Écrit par CREPIN Lisa (3 ème, Collège Piarres Larzabal de Ciboure)

23 avril 2019.
 

APPARENCES

Elle esquissa un pas à reculons, puis fit une brusque volte-face et s’éloigna en s’efforçant de ne pas courir.

Lola claqua la porte derrière elle, espérant mettre le plus de distance possible entre elle et ce monstre aux yeux démoniaques. Une fois seule dans le couloir, elle accéléra la cadence. Soudain, la sonnerie qui signalait la fin de la journée retentit ce qui la fit sursauter.
Lola n’avait pas eu le temps de retrouver les documents qu’elle cherchait. Elle était sortie du CDI. Étant la plus fidèle lectrice de la documentaliste du lycée, cette dernière la laissait découper les journaux des mois précédents pour son petit frère qu’elle qualifiait d’adorable. Passionné d’astronomie, celui-ci gardait précieusement une boîte à chaussure contenant des articles consacrés à l’espace. Sa soeur essayait de lui en apporter le plus souvent possible mais ce regard sauvage lui avait glacé le sang et elle avait dû abandonner ses découpages.
Toutes les portes s’ouvrirent et Lola se fit bousculer à plusieurs reprises, pourtant elle ne bougeait pas. Ses yeux marquaient de discrets mouvements de droite à gauche. Elle observait les élèves : un jeune seconde pressé d’aller aux toilettes, un terminale avec sa petite amie beaucoup plus jeune que lui, une bande de filles en première que les autres surnommaient « les pimbêches » et enfin, une jeune fille blonde, complètement recroquevillée sur elle-même, quelques cahiers sous le bras. Lola avança de quelques pas et arriva devant cette adolescente. C’était sa meilleure amie depuis le primaire : Morgane. Lola s’apprêtait à lui raconter ce qu’elle avait vu quand elle remarqua le même changement de luminosité. Terrorisée, elle se tourna vers la fenêtre de la classe d’où sortait Morgane. L’animal était là, essayant de s’introduire dans l’établissement. Dotée d’une force surhumaine provoquée par la peur, Lola claqua la porte, attrapa le bras de son amie et se mit à courir plus vite que jamais. Morgane lui criait de s’arrêter, de la lâcher mais Lola n’écoutait pas. Sorties du lycée, les deux jeunes filles se regardèrent hébétée et essoufflée. Morgane, ayant repris ses esprits, releva la tête avant de se mettre à hurler :
« - Mais enfin qu’est-ce qu’il t’a pris de courir comme ça ! Tu sais bien que je fais de l’asthme ! Tu es vraiment inconsciente Lola, vraiment ! Tu ne te rends pas compte...

1

2

3
Elle se remit à courir pour la troisième fois de la journée. Bizarrement, les rues étaient désertes à présent. Où était passée la foule de tout à l’heure ? Elle continua son chemin : ils étaient tous là, autour du géant. Lola lâcha ses affaires, pétrifiée : le blessé se faisait rouer de coups, battre à mort par deux villageois en furie. Elle se précipita vers lui, prête à foncer dans la mêlée s’il le fallait. L’homme poussait des grognements de douleurs, mais ses soupirs n’étaient pas perceptibles tant les habitants rugissaient. Lola tentait de se frayer un chemin dans la foule lorsqu’un policier la saisit par le bras et l’écarta :
« - Ce n’est pas un endroit pour toi gamine. Va-t-en !
Mais que faites-vous ! Il est blessé ! Il a besoin d’aide ! Pourquoi faites-vous ça ? Il ne vous a rien fait !! »
Le visage du représentant de l’ordre s’élargit, laissant place à une expression mi-amusée, mi-apeurée. Il serra la main de la jeune fille de plus belle, contourna la foule et s’approcha le plus près possible du géant meurtri. D’un signe de la main, il réclama le silence. Les coups s’arrêtèrent et le gendarme se mit à parler :
« - Vous ne devinerez jamais ce que cette gamine vient de me dire. Elle prétend que cette chose ne nous a rien fait ! Que nous n’avons aucune raison de la frapper ! »
Une petite femme intervint : « Il a voulu rentrer chez moi ! ». Une autre rajouta « Il s’est approché de mon enfant ! », puis les reproches fusèrent de partout : « Il a essayé de m’enlever après m’avoir couru après ! », « Il a saccagé mon beau jardin ! », « Il a égratigné ma voiture ! ». Soudain, l’un des hommes qui frappait le géant s’avança d’un air méprisant :
« - Tu sais ce que c’est, ça ? C’est un monstre ! Une bête sauvage incontrôlable ! Tu as vu ces yeux ? Ce n’est pas humain ça ! C’est un démon, une chose gigantesque et horrible ! Il ne mérite pas de vivre »
L’homme saisit son fusil et appuya sur la gâchette. Le géant plongea un dernier regard doux, reconnaissant et empreint d’une humanité inouïe dans les yeux de Lola. Les oreilles de celle-ci se mirent à bourdonner et elle hurla. Elle hurla de douleur en voyant le corps déchiqueté de cet homme tomber et s’immobiliser à jamais.
Les oreilles bouchées, elle s’agenouilla par terre, toujours entre les griffes du policier. Lola se mit à pleurer. La première fois depuis que ses parents étaient partis. De grosses larmes gorgées de regrets et de tristesse. Ces grosses larmes qui auraient dû couler depuis longtemps ruisselaient sur le visage de Lola.
Soudain, une vague de colère envahit la jeune fille. Les larmes laissèrent place à la rage incontrôlable d’une adolescente profondément blessée. Elle se releva, la tête haute et les yeux rouges et elle se mit à crier :
« - Vous disiez que c’était un monstre ? Une bête féroce ? Mais vous êtes-vous regardés ? Condamner quelqu’un simplement à cause de ses différences, quelle honte ! »
Elle dégagea son bras de l’emprise de l’agent. Elle parla encore plus fort :
« - Vous le traitiez de démon ? D’animal ? Mais c’est vous qui êtes des monstres, des bêtes et des démons ! Vous êtes tous des meurtriers, TOUS ! »
Elle cracha par terre, pour leur afficher son mépris et s’en alla en courant.
Dans les rues désertes de sa ville, Lola ne pleurait plus : elle regrettait. Elle regrettait d’avoir tout raconté à Morgane, elle regrettait d’avoir fui, elle regrettait de ne pas avoir fait confiance à l’instinct enfantin de son petit frère.
Elle ne pouvait accepter ce que tous ces gens avaient fait, ce que Morgane avait fait. Ces gens qu’elle avait fréquentés au quotidien, manipulés par la peur de l’inconnu, s’étaient unis dans cette traque déloyale, chassant en meute, pensant que leur union leur donnait tous les droits. Ils avaient assassiné un innocent.
Elle se sentait triste. Elle se sentait folle de rage. Elle se sentait trahie.