Un petit pas pour l’homme, mais un grand pas pour l’animalité

Écrit par MONTILLET Zoé (1ère,Lycée Internationale Nelson Mandela de Nantes)

23 avril 2019.
 

Un petit pas pour l’homme, mais un grand pas pour l’animalité

Elle esquissa un pas à reculons, puis fit brusquement volte-face et s’éloigna en s’efforçant de ne pas courir.

Il ne fallait jamais montrer sa peur à son prédateur, c’était une des règles fondamentales de survie. Lola claqua la porte de sa chambre d’un coup sec, jeta des affaires à la va-vite dans un sac, prit les clefs d’une voiture volée la semaine précédente et se précipita dans les escaliers. Son cœur accéléra quand elle entendit la porte du rez-de-chaussée s’ouvrir, ils étaient là, ils venaient la chercher. Ne pas avoir peur, ton adversaire peut le sentir, se dit-elle pour se calmer. Elle remonta les étages quatre à quatre jusqu’au treizième, le toit. Elle poussa la lourde porte en fer et le vent la fit chanceler d’un coup.

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« L’Homme, qu’est-ce que l’homme ? Si nous cherchons dans un dictionnaire nous avons la définition suivante : “Primate caractérisé par la station verticale, par le langage articulé, un cerveau volumineux, des mains préhensiles, etc.” Concentrons-nous sur le mot primate et une nouvelle fois cherchons une définition : “Mammifère euthérien tel que les singes et l’homme. Les mammifères forment une classe dont font partie la plupart des gros animaux. Animaux. Animal : “ Par opposition à végétal, être vivant organisé, généralement capable de se déplacer et n’ayant ni chlorophylle ni paroi cellulaire cellulosique”. Ce qui sépare l’homme de l’animal est le langage articulé. »
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Prenant son courage à deux mains elle s’assit sur le bord du mur, les jambes dans le vide. Le toit du prochain immeuble n’était pas si loin, elle avait juste à prendre son envol deux petites secondes. Un simple bond, voilà tout. Elle souffla avant de s’élancer, dépliant chacun de ses membres petit à petit, jouant avec ses muscles. Elle sentit le vent sur son visage, la ville entière s’élançait avec elle. Les bras à l’horizontal elle poussa un cri victorieux. Elle atterrit sur ses deux jambes et ses deux bras grâce à un sens de gravité instinctif et s’empressa de détaler. Elle retrouva sans mal la voiture, une vieille Peugeot qui passait inaperçue. Autre règle de survie : se fondre dans la masse. Camouflage.
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« L’Homme a un défaut indéniable, son arrogance. Il est passé du statut de proie, à celui de plus grand dominateur et il est hors de question que son règne s’achève. Pourtant aujourd’hui nous devons nous rendre à l’évidence : l’espèce humaine ne survivra pas telle qu’elle est. L’homme doit laisser rugir l’animal qui est en lui. Nous avons voulu surpasser la nature, nous nous sommes détruits. Il est clair que l’Homme, en tant qu’espèce à part entière doit changer son comportement s’il veut pouvoir survivre. Nous allons surpasser le Lion mes amis, bienvenue dans une nouvelle ère : le règne animal. »

Lola coupa la musique d’un coup sec, ce son la rendait folle. Elle roulait beaucoup trop vite, elle n’avait plus le sens de ses obligations humaines. La voiture filait tout droit sur la route, elle devait fuir dans une autre ville, encore une fois. L’hôtel paraissait un peu lugubre et était dans un quartier mal famé mais au moins elle y serait en sécurité, personne ne se risquerait ici, les humains n’avaient pas assez de cran. Il ne restait que des agonisants et des victimes de la misère que personne ne daignait plus aider. Les ressources étaient chères. La vie humaine était chère. C’était la loi du plus fort à présent. Elle posa son sac sur le lit et fit l’inventaire de ses affaires, deux revolvers Colt M1917 chacun chargé de trois balles, et un couteau KM 2000. Elle s’arma et s’empressa de ranger le reste de son sac. Sa main heurta un cylindre de plastique, des médicaments. A quoi bon maintenant ? Elle jeta le tube dans la poubelle de la salle de bain. Qui sait ce qu’il pouvait bien avoir dedans. L’humain mentait comme il respirait.
Cette nuit-là, Lola dormit très mal, elle se réveilla en sueur des dizaines de fois, se retourna sans cesse dans le vieil hôtel délabré. Les fenêtres étaient cassées et l’air ne cessait d’entrer mais elle n’avait plus froid. Non, ce qui l’avait tourmentée était un cauchemar, les animaux rêvent aussi. Elle avait rêvé de son prénom, Lola était un prénom à double origine allemande et espagnole. Le prénom Lola était dérivé de Dolorès, qui voulait dire « douleur » en espagnol. Il était également issu du prénom germanique Carlota, venant du terme « karl » qui signifie « homme ». Ce n’était peut-être qu’un détail futile mais cette dualité l’effrayait. “Je suis ce que je ressens “ a dit une grande personne un jour .Est ce que le fait de souffrir nous rendait plus animal ? Elle s’était toujours posé la question.

« Comme vous le savez notre science ne cesse d’avancer, notre science nous permet de toujours avoir un coup d’avance. L’Homme est à présent capable d’humaniser des animaux. Je peux citer le Washington Post qui signalait il y a quelque temps que, dans le Minnesota, des porcs avaient du sang humain dans les veines, dans le Nevada, le foie et le cœur de certains moutons étaient des organes humains et en Californie, des crânes de souris contenaient des cellules humaines. Ce n’était que le début d’une grande aventure : celle de franchir les limites des espèces. Ces animaux supérieurs, hybrides grâce à notre science sont l’élite de leur espèce. »
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Soudain elle se redressa sur ses coudes, elle sentait le danger, elle se dépêcha de s’habiller et de mettre son sac sur son dos. Fébrilement elle entrouvrit les rideaux, plusieurs voitures noires étaient garées dans l’impasse, elle entendit trois étages plus bas des hommes monter les marches. Sans réfléchir, guidée par l’adrénaline et l’instinct de survie elle ouvrit la minuscule fenêtre et se glissa sur le toit. Les tuiles étaient glissantes et elle jouait entre son sens de gravité et ses ongles pour ne pas tomber.
Soudain elle vit l’ogre relever la tête d’un coup, le visage tourné vers elle, ses yeux jaunes dans les siens. Il poussa un grognement et aussitôt l’homme tout en noir à côté de lui cria aux autres :

Aussitôt elle se laissa tomber sur la balustrade la plus proche et passa de balcon en balcon pour rejoindre le toit d’à côté, tant qu’elle restait en hauteur elle avait l’avantage. Une fois en sécurité sur ce qui semblait être le toit d’un ancien bar elle se retourna, ses poursuivants essayaient de la suivre en enjambant les balcons mais ils étaient trop lents. Pauvres Hommes. Elle laissa échapper un petit rire nerveux en retroussant ses lèvres ce qui eut pour effet de faire grogner de plus belle l’ogre en bas.
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« Nous devons devenir l’élite de l’élite. Nous sommes l’espèce dominante destinée à faire de grandes choses. Le monde que nous avons connu n’est plus. Nous allons en bâtir un plus fort, plus résistant. Grâce à nos dernières recherches, nous sommes en mesure de pouvoir atteindre le génotype de l’espèce parfaite. Nous sommes en mesure de nous faire devenir plus rapides, plus fort, plus agile. Imaginez, plus de maladie, plus de fatigue, un œil de lynx, une ouïe, un goût et un odorat encore plus développés. La vie dehors, la vie sauvage nous attend, la loi du plus fort règne, vous voulez être les dominants ou les dominés ? L’erreur est humaine mes chers amis et c’est pour cela que nous allons muter. »
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Lola courut dans les rues désertes et sales. Il n’y avait pas une âme humaine, les quelques Hommes qui avaient survécu aux intempéries, aux épidémies et à la faim des carnivores, résidaient dans le Bunker, refuge de toute une espèce. Elle avait eu le malheur de s’échapper et maintenant ils la traquaient. Un frisson de dégoût parcourut sa colonne vertébrale. En passant à travers une porte rouillée, elle s’érafla et poussa un juron en voyant la fine ligne ensanglantée apparaître. L’ogre allait la sentir. Elle entendit des pas derrière elle et se dépêcha de se tapir dans les hautes herbes désordonnées qui sortaient de toutes parts de l’entrepôt. Surtout ne pas bouger, s’arrêter de respirer. Elle compta de longues secondes et poussa un soupir de soulagement en les voyant s’éloigner. Lola se sentait épuisée, toute cette chasse la dévorait, cela faisait une semaine qu’elle courait dans toute la région et qu’elle n’était qu’une proie. Elle monta dans l’arbre le plus proche en sentant la nuit tomber et s’assit sur une branche assez large pour supporter son poids. Cette nuit il n’était pas question de fermer l’œil.

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« Mesdames et messieurs je suis honoré de vous annoncer que nous avons un remède à notre désespoir. Nous avons créé des chimères ! (un mouvement enthousiaste parcouru la foule) .Ce sont des Hommes génétiquement modifiés pour être supérieurs à L’Homo Sapiens. Nous avons créé un vaccin qui permet de nous procurer des caractéristiques basées sur celles des animaux pour permettre à l’Homme de devenir supérieur en tous points à la nature. Notre espèce ne s’éteindra pas ! Nous allons faire comme nous l’avons toujours fait : nous adapter à notre environnement ! »

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Un craquement de branche la fit sursauter et elle scruta le paysage dans l’obscurité. Ils étaient là. Elle les sentait. Elle s’accroupit silencieusement sur sa branche et porta une main à son arme.

Smith. Il était là, c’était fini, la partie était perdue. Comme s’il pouvait l’entendre réfléchir, l’homme braqua une torche sur son visage et elle fut éblouie un court instant.

Elle cracha de dégoût du haut de sa branche.

Elle regarda l’ogre qui depuis le sol la lorgnait lui aussi du regard. Elle était la première expérience de Smith. La seule qui avait réussi aussi. Sa mère avait accepté contre une somme d’argent considérable de les laisser utiliser l’embryon dans son ventre « pour l’évolution scientifique », comme ils disaient. En effet, l’épidémie Mortelle comme on l’appelait maintenant, avait décimé la moitié de la population humaine alors que le monde animal avait survécu. Malgré une éthique et une morale qui l’interdisaient, en dernier recours, les scientifiques du monde entier avaient obtenu le droit d’effectuer une transgénèse d’organes animaux sur un embryon humain. Lola faisait partie de la première génération, Smith n’avait pas tardé à tout miser sur elle à cause de son groupe sanguin universel. Elle allait être leur sauveur disait- il. Elle avait été le martyre de la science toute sa vie, des heures à n’être que le jouet de bipèdes avides de comprendre, de savoir. Elle les avait laissé couper ses cheveux, lui planter des aiguilles tous les jours dans les bras, lui extraire du sang, de la moelle osseuse, étudier son système immunitaire contre cette fameuse maladie qui ne l’avait jamais atteinte. Elle les avait laissés l’aveugler, l’enfermer, tester ses réflexes, étudier ses dents, ses yeux, et même lui arracher un ongle. Elle avait attendu de longues années dans sa cage au Bunker. Puis un jour elle les avait entendus, Smith et ses collègues : ils allaient la saigner pour faire le maximum de vaccins, elle allait mourir pour sauver l’humanité. Malheureusement pour eux elle n’était plus dans leur camp. Ils avaient créé un monstre, une anomalie, une inhumaine, une animale. Et la créature se retournait contre le créateur.

Elle sursauta au coup de feu tiré dans la branche à côté d’elle. Smith était en colère, très en colère, elle pouvait le sentir d’ici.

Elle jeta un regard aux hommes singes, ignobles créatures à côté de Smith. Des expériences ratées. Comme l’ogre, l’homme-loup. Il n’y avait qu’elle qui avait réussi, qui avait gardé son apparence humaine mais qui avait l’âme animale. Elle savait qu’elle était précieuse pour Smith, mais elle savait aussi qu’il n’hésiterait pas à la torturer tant que ce qui l’intéressait d’elle restait intact. Hors de question de se faire descendre par deux pitoyables chimpanzés. Elle sauta à terre avec son éternelle démarche féline. Il allait payer ce qu’il lui avait fait, il allait payer ses organes greffés, ils allaient payer de l’avoir charcutée comme une bête.

Elle regarda l’objet de métal et de plomb qu’elle avait dans la main. Elle ne le reconnaissait pas. Machinalement elle écarta ses doigts et il tomba à terre. Puis d’une façon aussi naturelle que surprenante, Smith la vit s’abaisser au sol comme un chaton docile.

Lola flairait la ruse, cet humain empestait la peur ! Elle pouvait l’entendre respirer difficilement et sentir battre son pouls. Son cerveau lui disait qu’il lui avait fait du mal, elle grogna. Elle lorgna avidement sa gorge blanche et se mit à saliver. L’humain paraissait tellement tendu que les veines de son coup ressortaient, juteuses et regorgeant de sang. Elle s’approcha de sa démarche de chasseuse, prête à bondir pour se défendre.

Smith vit avec horreur qu’il n’y avait plus une once d’humanité dans son regard. Ses lèvres retroussées sur ses canines de carnivore la rendaient vraiment effrayante. Son expérience venait de basculer. Il sut alors qu’elle aussi était un échec de la science. L’animal avait pris le dessus. Il sut qu’il l’avait réveillé, cet animal qui sommeillait en elle, une tigresse, il avait banni sa civilisation pour la condamner à son état primaire. Il se rappela alors pourquoi on interdisait les transgénèses sur les hommes, il avait violé l’éthique et la morale d’une espèce pour créer une créature, une tueuse.

Lola vit dans son regard un mélange de peur et d’incompréhension. Après quelques secondes, elle grogna et se demanda ce que cela signifiait. Son instinct de prédateur prenait le dessus, sa soif de sang, son envie de tuer grandissait dans son ventre.

Elle lui sauta à la gorge, avec la force et la puissance du lion. Ses canines transpercèrent sa peau et cherchèrent une artère. Elle sentit le liquide chaud et pourpre lui couler dans la gorge et elle savoura sa chasse. Elle eut l’impression de sentir sa peau la picoter, son âme se compléter. Elle était vivante, entière. Après avoir joué avec sa proie égorgée, elle se retourna en posture de défense et feula face aux autres Hommes. Ils étaient trop horrifiés par la scène qui venait de se dérouler sous leurs yeux pour esquisser le moindre geste.
L’animal se détourna d’eux pour continuer son chemin vers la survie. Son corps avait complètement rejeté son humanité.