La tribu d’Aïsha

Écrit par GRAND Soline (3 ème, Collège Victor Hugo de Volvic)

23 avril 2019.
 

LA TRIBU D’AÏSHA

A quelle tribu appartenait celle-ci ? Jason arracha ses semelles à la terre gluante et se dirigea vers elle.

Le regard de la fillette le fuyait, on aurait dit un animal égaré, perdu dans cette jungle immense au milieu d’autres animaux inconnus. Plus il s’avançait plus elle reculait. Il y avait une lueur d’accusation dans son regard qui arrêta Jason. Il jeta un coup d’œil autour de lui, les gens l’observaient. Des enfants s’approchèrent de lui, l’un d’eux lui demanda :
"-Qui es-tu ? Tu vas nous emmener en Angleterre ?"
La fillette qui le fuyait quelques instants auparavant, s’était rapprochée sans qu’il ne s’en rende compte. Elle prit le garçon par la main et lui dit :
"- Viens on s’en va Jamal

"-Mais je vous rembourserai demain, comment je fais pour manger maintenant moi !

"- Qui a commencé à manger la dernière fois ?"
Une petite fille leva la main timidement, en regardant Jason d’un air stupéfait, mais toujours avec ce petit sourire que Jason lui rendit.Le garçon assis à coté d’elle se servit et prit une grosse poignée de riz dans la main. L’enfant à sa droite l’imita aussitôt et de cette façon-là, chacun fut servi. Lorsque tout le monde eut fini, Aïsha se leva et aida les enfants à ramasser, puis elle s’approcha de Jason.
"-Tu n’as pas faim ? dit-elle.

Ils entrèrent dans la tente et s’assirent sur un matelas. Il y eut un silence gêné, puis elle entama son histoire :

"- Tout a débuté l’année dernière, lorsque mes parents ont commencé à sérieusement s’inquiéter pour notre vie. Nous vivions confortablement, avec assez d’argent pour nous nourrir et pour avoir une belle maison, et nous nous imaginions un avenir convenable. Mais ce ne fut malheureusement pas le cas... J’ai un grand frère et celui-ci a décidé de rester en Syrie et de se battre pour son pays. Aujourd’hui je ne sais pas s’il est toujours en vie ... Enfin bref, mes parents ont décidé de partir pour la France. J’étais enchantée car partir en France était l’un de mes plus beaux rêves. J’ai appris le français depuis toute petite et je maitrise cette langue car mon père était professeur de français dans une université.. Ma mère était une intellectuelle poursuivie par le régime de Bachar El Assad et ils étaient tous deux contre Daech. Nous avons donc décidé de partir le 20 mars 2016 pour la France. Nous devions malgré tout commencer par rejoindre le port d’Izmir en Turquie. Nous y sommes donc allés en bus pour 16 heures de route.

Mes parents avaient pu mettre assez d’argent de côté pour payer la traversée qui aurait du nous coûter 1780€ par personne, mais, mon père ayant réussi à négocier auprès du passeur, elle nous coûta finalement 1100€ chacun. Malgré la réduction du passeur, nous n’avions pas assez d’argent pour avoir droit à un gilet de sauvetage alors que ma mère ne savait pas nager. Nous sommes donc partis dans la nuit mais nous n’étions pas tous les trois dans le même bateau. Mes parents embarquèrent dans le second et moi dans le troisième. Les bateaux se suivaient mais j’avais tout de même énormément peur... Mon cœur battait à cent à l’heure, des larmes coulaient sur mes joues même si je voulais les cacher... Je quittais absolument tout, ma famille restée là-bas, mes amis, mon frère et puis ce pays qui était si cher à mes yeux. J’ai gardé les yeux ouverts toute la nuit et celle-ci m’a paru tellement longue. Je n’avais même pas mes parents pour me réconforter donc je ruminais mes pensées les plus sombres dans le noir et j’imaginais les pires scénarios possibles pour la fin de cette aventure. Heureusement je trouvai une amie pour me réconforter. Son histoire n’était pas mieux, ses parentsl’avaient envoyée en France et elle était seule. Elle réussit à me détendre un peu et l’on se partagea un bout de chocolat. Elle me dit de me reposer et que s’il se passait quelque chose elle me préviendrait. Je réussis à dormir mais d’un sommeil peu récupérateur, j’ouvrais les yeux toutes les dix minutes. Nous devions aller jusqu’en Grèce dans ce petit bateau gonflable. La traversée devait durer quatre heures maximum. Au moment où je commençais à me reposer, j’entendis des cris qui me réveillèrent. Je remarquai les larmes qui coulaient sur les joues de mon amie et je sentis l’embarcation qui chavirait. Les gens hurlaient et le passeur leur dit de se calmer. Je voyais le bateau devant moi qui commençait à se remplir d’eau. Il était beaucoup moins solide que le nôtre et penchait dangereusement. Je me mis à hurler " Papa ! Maman ! " mais ils ne devaient sûrement pas m’entendre. J’avais l’impression qu’autour de moi le temps s’était arrêté et je me rendis compte que l’on avait confié notre vie à ces passeurs alors qu’on ne savait rien d’eux. La sensation qui me saisit était tellement forte que je n’arrive pas à la décrire aujourd’hui. J’avais l’impression qu’on m’arrachait un bout de mon cœur. Je vis ma mère se battre contre l’eau, cet ennemi invisible, indestructible, qui déchaîne sur vous ses vagues de fureur. Mon père soulevait ma mère pour la faire respirer mais je voyais son visage devenir violacé. Je n’avais pas assez de larmes pour pleurer ma souffrance, pas assez de force pour exprimer ma colère, pas assez de mots pour exprimer cette douleur et pas assez de sang-froid pour la combattre. J’avais seulement mes cris, mélangés à ceux des autres, j’étais pétrifiée de terreur. J’avais envie de sauter dans l’eau pour les sauver, de combattre cette force inconnue mais je savais que cela ne servait à rien. Mon père avait mis le corps de ma mère sur son épaule et ils affrontaient l’eau, liés comme s’ils ne faisaient qu’un. Ils avaient toujours eu cette force, cette résistance, cet optimisme et je me promis de leur faire honneur en conservant ces qualités. Je pense qu’il n’y a pas pire douleur au monde que de voir ses parents mourir, noyés. Tu vas peut-être dire que j’aurais pu leur tendre une main pour qu’ils montent dans le bateau mais c’était impossible. Si je faisais cela, nous aurions aussi tous basculé. Il est vrai que j’y ai pensé, mais le passeur avait été clair. Il avait dit que quiconque essaierait de sauver quelqu’un qui était tombé de l’un des bateaux serait jeté à la mer. Il n’y avait même pas de bouée de sauvetage. La seule chose qu’on pouvait faire, c’était, en arrivant, de prévenir la police des mers. Nous nous éloignions progressivement du champ de bataille. L’eau avait gagné, encore et toujours. Je fermai les yeux, me pinçai, me mordis, me griffai le bras pour sortir de ce terrible cauchemar mais je ne rêvais pas. J’essayai d’enlever ces cordes qui cisaillaient mon cœur et le retenaient prisonnier. Ce qui me faisait encore plus mal c’était de savoir que les seules personnes qui pouvaient guérir ces blessures sur mon cœur, en étaient la cause et que je ne les reverrais plus jamais. Je fermai les yeux et écoutai le vent, le bruit des vagues meurtrières contre le bateau. Je ne savais plus si je pleurais où si je hurlais. Ma gorge était sèche, mes poumons en feu et mes yeux étaient noyés dans un océan de larmes.

Quelques heures après, je sentis une main sur mon épaule et une voix douce dans mon oreille qui disait qu’on était arrivé. Mes jambes me portèrent toute seule hors du bateau. Je sentis dans ma poche l’argent que mes parents m’avaient laissé. J’en avais normalement assez pour aller jusqu’en France. Cette nuit-là je dormis malgré tout dans la rue. Le sol froid et dur contre moi me rassurait car maintenant j’avais peur de l’eau qui ne faisait qu’assassiner dans l’ombre et qu’on ne pouvait pas emprisonner. Il fallait que je sois forte mais mes larmes coulaient sur le goudron que je martelais de coups de poings.

Je me réveillai de cette nuit, adulte, plus forte et déterminée à me battre pour cesser cette guerre qui m’avait volé ma jeunesse et mes parents.

Jason avait beaucoup appris ce jour-là et il avait décidé d’aider à sauver cette jungle pleine de trésor et d’humanité car il voulait à jamais voir un sourire de reconnaissance affiché sur le visage de ces petits hommes. Il voulait faire connaître cette histoire au monde entier pour que chacun affronte ses préjugés et se rende compte du cauchemar vécu par ces enfants déjà si matures et devenus adultes malgré eux. Il voulait les aider à se battre pour sauver leurs vies, les aider à garder cet espoir, ce sourire... Il se rendait bien compte que cela n’allait pas être facile tous les jours mais il ne pouvait pas rester sans rien faire après ce qu’il avait entendu. Il s’en voulait d’avoir pensé une seule seconde qu’il allait trouver des animaux dans cette jungle. Il se dit qu’il n’écouterait plus jamais ces rumeurs et qu’il attendrait de se faire son propre avis. Ce sont ces préjugés qu’il fallait combattre.

Finalement les animaux n’étaient pas dans la jungle mais autour. Les animaux étaient ces gens qui rôdaient autour de la jungle, prêts à chasser leurs proies afin de protéger leur territoire.
Jason avait trouvé son nouveau combat, il avait déjà son arme. Il était prêt à se munir de sa plume pour porter le témoignage de cette petite fille.

Il connaissait déjà le titre de son nouveau roman : "La tribu d’Aïsha".