Plus loin qu’un regard

Écrit par JOUCHET Myriam (2nde, Lycée Jeanne d’Arc de Pontivy)

23 avril 2019.
 

Plus loin qu’un regard

Elle esquissa un pas à reculons, puis fit une brusque volte-face et s’éloigna en s’efforçant de ne pas courir.

Passé la porte de sa chambre, elle s’enfuit en courant. Dans sa tête fourmillait une multitude de questions : qui était cet homme ? D’où venait-il ? Pourquoi la regardait-il comme ça ? Et ses yeux, mon Dieu ses yeux ! Des yeux de fauve. Jaunes, éclairant la nuit tels deux phares. Lola ne comprenait pas ce que l’homme faisait là, peut être un échappé d’un asile, un fou tout simplement. Il lui avait fait une telle frayeur, elle en était encore toute chamboulée. Elle avait l’impression de retourner en enfance, lorsqu’elle faisait ces horribles cauchemars. Mais aujourd’hui, elle ne pouvait plus se réfugier dans les bras de ses parents, elle était seule, désespérément seule. Elle devait appeler quelqu’un mais dans sa brusquerie son portable était tombé de sa poche et était resté sur le sol de sa chambre. Sa ligne téléphonique coupée à cause d’une facture impayée, elle ne pouvait appeler de l’aide extérieure. Elle se réfugia dans la salle de bain et espéra que l’homme s’en irait de lui-même, personne ne voudrait rester dehors avec une pluie pareille.

***

La fille avait disparu. On aurait pu croire qu’elle partait tout simplement faire autre chose mais son visage t’avait montré tout le contraire. D’abord plein de surprise, son visage était devenu hideux. Sa bouche s’était figée, son regard s’était agrandi. Un cri était sorti de sa bouche et elle était partie.
Tu ne comprenais pas. Tu connaissais cette fille pourtant, tu te souvenais de ce visage rond. Ca faisait un certain temps que tu étais parti, une force inconnue te poussant à rôder près des tours aux lumières. Il y avait toujours beaucoup de bruit, ça t’avait toujours fait peur. Mais depuis quelques temps, les hallucinations étaient devenues omniprésentes. Tu parlais une autre langue, tu avais toujours plein de personnes autour de toi. Et les tours que tu voyais depuis toujours, du haut de ta forêt t’apparaissaient distinctement. Tu te voyais courir dans ces dédales, avec une fille derrière toi. Tu avais l’air heureux. Et un beau jour, une force inconnue avait pris le dessus et t’avait guidé vers les tours lumineuses.

Le visage collé au verre, tu étais trempé. Tu savais que si tu ne rentrais pas dans cette pièce, quelque chose se briserait en toi. Tu essayas d’enfoncer la vitre avec ton épaule. Puis tu remarquas que c’était déjà entrouvert. Tu te glissas dans l’entrebâillement et actionnas le levier. Tu te retrouvas propulsé sur un sol. Une matière toute douce était posée partout sur le sol. Tes pieds nus n’avaient jamais connu cette joie de la marche sur un sol si moelleux et si agréable. Très simple, la pièce était jaune. Sur les parois, des objets étranges dont tu ne comprenais pas la signification. Des choses inconnues à tes yeux mais dont ton esprit se souvenait. Tu te baissas et ramassas un « livre ». Tu tournas les pages et tu remarquas que tu connaissais certains mots. Un flash dans ta tête te fit revenir en mémoire une scène : tu étais assis par terre et cette fille te racontait une histoire. Tu étais heureux et tu regardais la fille avec tout l’amour qu’un petit cœur d’enfant peut contenir. Puis le dur retour à la réalité se fit. Tu continuas tes découvertes, fouillant dans le bureau puis dans les étagères. Un bruit strident te fit sursauter. Tu te retournas et découvris un petit objet par terre, ça brillait, ça vibrait. Le bruit provenait donc de ça ! Il était insupportable. Tu le pris et le jeta contre le mur pour que ça cesse, tu commençais à avoir de nouveau mal à la tête. Et d’un coup, le silence se fit. Tu sortis de la pièce, de peur que le bruit ne se refasse entendre. Ta migraine commençait à s’intensifier. Il fallait que tu boives pour essayer de la calmer. Tu commenças à fouiller les différentes pièces. Dans l’une d’elle, il faisait sombre mais des petites lumières s’échappaient d’un grand objet rectangle. Tu te rapprochas et actionnas la poignée. Ce que tu découvris à l’intérieur te stupéfia.

***

Lola commençait à s’impatienter dans sa salle de bain. Elle se décida à sortir. S’il était encore là elle pourrait toujours courir et appeler son voisin qui était si gentil avec elle. Elle ouvrit tout doucement la porte et se dirigea d’abord vers sa chambre qu’elle avait fuie quelques instants plus tôt. Un grand coup de vent la frappa de plein fouet lorsqu’elle rentra. La fenêtre était grande ouverte et le sol était trempé. Lola comprit. L’homme, la bête, était rentré chez elle !
Elle n’en croyait pas ses yeux. Un homme, qui lui était totalement inconnu et qui avait une dégaine de bête sauvage, s’était introduit dans son appartement. Un long frisson de peur lui parcourut l’échine. Elle était stupéfaite, pour elle ces choses-là n’arrivaient que dans les films ou dans les quartiers mal famés mais pas en pleine ville dans les quartiers riches !
Maintenant qu’elle était dans sa chambre, elle chercha son portable. Elle ne trouva rien par terre, hormis quelques livres bizarrement tombés des étagères. Elle fouilla encore un peu puis abandonna. Super ! Elle était coincée dans son appartement avec un fou et n’avait aucun moyen d’appeler les secours. Elle n’avait plus qu’à vite courir vers sa porte en espérant qu’elle ne soit pas fermée et qu’elle n’ait pas à aller chercher ses clés dans la cuisine.

***

D’abord, une vague de froid te glaça les os. Et puis, la lumière qui émanait du bloc te piquait les yeux. Tu ne compris pas pourquoi cette fille avait cette boîte dans sa maison. Ça devait être compliqué à ouvrir. Mais en voyant le trésor qui était renfermé dans le bloc, tu pensas que ça en valait la peine. Tu n’avais jamais vu autant de nourriture dans un si petit espace. Tu commenças à fouiller, ton ventre grondait déjà. La faim se rappelait à toi. Elle réclamait son dû. Tu extirpas une, deux, trois pommes toutes enfermées dans une sorte de plastique, celui que tu trouvais un peu partout dans ta forêt et dans la rivière depuis quelques temps. Tu essayas de le déchirer d’abord avec tes doigts puis avec tes dents. Le plastique était solide mais finit par céder. Tu plantas tes dents dans la pomme, le jus te coula sur le menton. Ta faim se calma et se rendormit jusqu’à la prochaine alerte dans quelques heures. Ta pomme à la main, tu continuas ton exploration.
Cette pièce était remplie de produits sophistiqués. Tu n’en connaissais aucun. Tu trouvas un autre cube posé sur la planche de bois. Il y avait plein de boutons, certains se tournaient dans un sens, d’autres dans un autre, d’autres, enfin, s’enfonçaient. Tu commenças à poser tes doigts pleins de jus de pomme et collants un peu partout. Tu tournas un bouton, un son strident se fit entendre. Encore un ! A croire que tous leurs objets étaient sonorisés pour leur rappeler qu’ils étaient là et qu’il fallait les utiliser. Cette fois-ci le bruit persista beaucoup moins longtemps. Tes petites explorations te menèrent dans une nouvelle pièce avec deux couches à dossier. L’un dos à la pièce que tu venais de quitter et l’autre juste en face. Tu fis rapidement le tour de la pièce et finis par t’allonger sur un de ces objets.
Ton périple de la journée t’avait bien fatigué. Tu t’endormis d’un sommeil profond. Plongé dans ton sommeil, ton inconscient se réveilla et commença à recréer des images que tu connaissais. Un mélange des souvenirs de la journée, avec d’autres plus anciens, à la fois si absurdes et si familiers. Et cette fille qui était toujours là, t’enveloppant dans ses bras, te poursuivant, riant, te lisant une histoire… d’autres personnes étaient aussi présentes mais elles t’apparaissaient beaucoup plus floues que la fille. Tu perdais la notion du temps.

***

Lola se dépêcha de rejoindre la porte d’entrée qu’elle trouva bien évidemment fermée. Elle se remémora rapidement les gestes machinalement effectués à son arrivée chez elle. Où était donc ce maudit trousseau de clés ? La panique la gagnait… Elle se remémora rapidement le chemin qu’elle avait pris lorsqu’elle était rentrée. Une porte claquée, un sac jeté par terre, des chaussures retirées, un portable rangé et le trousseau posé sur la table basse du salon. Elle se dirigea lentement et en silence vers sa cuisine où elle trouva son sac par terre. Elle fouilla rapidement dedans, gagnée par le petit espoir de s’être trompée. Mais non, ses clés n’étaient pas là. Elle reposa son sac, puis remarqua la porte du réfrigérateur entrouverte. Elle comprit que l’inconnu avait pénétré dans sa cuisine. Peut-être était-ce un voleur et qu’il cherchait quelque chose de précieux à voler. Mais alors pourquoi regardait-il dans son frigidaire et fouillait-il dans ses livres ? Toujours sur ses gardes, elle referma la porte et balaya la pièce d’un rapide coup d’œil. L’homme avait-il volé un appareil électroménager. Mais non, tout était à sa place. Que pouvait bien vouloir cet homme qui était entré dans son appartement ? Sa peur panique la tétanisait presque. Elle s’obligea néanmoins à continuer ses recherches et prit une poêle au passage dans sa cuisine, au cas où…
Elle se dirigea dans le salon, armée de sa seule poêle. Ses doigts devenaient blancs à force d’être crispés sur le manche de la poêle. Et puis elle aperçut au milieu de son salon ses clés. Tout son être était fixé sur ce trousseau, sa porte de sortie. Elle en oublia tout, de faire attention, elle en oublia l’homme qui pouvait être partout dans son appartement, peut-être même derrière elle. Elle ne s’aperçut de rien, ni des bruits de respiration dans son dos ni de la masse derrière elle.

***

Ton rêve te transporta loin. Tu étais encore un enfant. Entouré de deux adultes et de cette fille dont tu devinais peu à peu qu’elle devait être ta sœur. Cette famille te paraissait loin, mais tu te souvenais. Vous faisiez une balade en forêt, une grande forêt, comparable à celle où tu vis aujourd’hui. Tes deux parents étaient un peu devant et ta sœur, près de toi, te proposa de jouer à un jeu. Tu devais compter jusqu’à cent en fermant les yeux et elle irait se cacher. Toujours partant pour jouer avec ta sœur, tu acceptas. Elle se sauva et tu commenças à compter. A cent, tu partis à sa recherche. Derrière les plus gros arbres, les petits buissons, les talus, tu ne la trouvas nulle part. Tu t’inquiétas, tu commenças à l’appeler. Au bout de quelques minutes, tu te mis à pleurer et à crier. Du haut de tes six ans, tu ne pouvais pas faire mieux. Tu cherchas en vain tes parents, ta famille mais tout le monde avait disparu en seulement quelques instants. Puis il se mit à pleuvoir. Trempé jusqu’aux os, tu te réfugias dans une caverne et tu t’endormis là, épuisé et terrifié. Tu te réveillas en sursaut, en hurlant.

***

Lola poussa un grand cri, un cri semblable à celui d’un animal en détresse quand elle se retrouva nez à nez avec la bête. Elle était là, face à elle, campée sur ses deux pattes. Du jus maculant ses lèvres et son menton, on aurait dit qu’il avait la rage. Et ses yeux, ses yeux qui la fixaient comme ceux d’un félin. Son regard la transperçait, elle ne pouvait le soutenir. Elle baissa les yeux, ses jambes flageolantes. Lola transpirait, sa tête tournait, sa vue se troublait. Elle s’évanouit.

***

Elle t’avait fait si peur ! Tu ne savais pas qu’elle se trouvait juste près de toi. Mais la plainte qui s’était échappée de sa bouche t’avait très vite sorti de ta torpeur. Tu avais surpris le regard plein de peur et de dégoût qu’elle t’avait jeté. Puis elle était tombée à tes pieds. Alors, tu l’avais prise dans tes bras et étendue sur la couche où tu t’étais endormi quelques instants plus tôt. Délicatement, tu l’avais allongée. Ses cheveux avaient recouvert son visage. Tu les as écartés en l’effleurant le moins possible. Elle semblait apaisée, ses traits s’étaient radoucis. Et plus tu la regardais, plus son visage te devenait familier. Il se superposa peu à peu au visage de la fille de tes rêves. Et tout te revint d’un coup, tes souvenirs d’enfance, les rires, les pleurs, la promenade et la peur. Alors tu te mis à pleurer. En silence, heureux d’avoir enfin retrouvé une partie de ta famille. Ta sœur.

***

Cette peur avait fait ressurgir en elle la panique, la tristesse et le désespoir qui avait suivi la disparition de son frère. La rage contre elle-même de lui avoir proposé ce jeu, puis la peur de ne jamais le retrouver. Ce qui était finalement arrivé. Tous les moyens avaient été mis en place pour retrouver le garçon pourtant, mais la forêt était bien trop grande. Après plusieurs jours de recherche, les secours abandonnèrent. Ses parents, elle et toute sa famille continuèrent encore pendant un long mois. Mais ils ne le retrouvèrent jamais. Sa mère ne se remit jamais de cette disparition, elle mourut quelques temps après de tristesse. Son père essaya de rester fort et la protégea de cette rage triste qui la dévorait petit à petit, jusqu’à ce qu’il ne disparaisse lui aussi brutalement dans un accident de voiture. Lola essaya de se reconstruire mais maintenant qu’elle était seule la tâche se révéla beaucoup plus difficile. Alors elle partit deux ans faire dans l’humanitaire, pensant qu’aider les autres lui ferait oublier son malheur. Les deux ans écoulés lui avaient effectivement beaucoup appris mais n’avait pas effacé le vieux traumatisme si profondément enfui. Elle ne pouvait se résigner à quitter l’endroit où elle avait abandonné son frère. Elle retourna près de la forêt et s’acheta un petit appartement dans la ville proche. Et débuta une vie monotone, remplie par son travail qui lui prenait beaucoup de temps et ses livres. Mais la tristesse persistait, elle savait que sa vie tenait par un équilibre fragile. Et cette grande peur avait ravivé en elle une blessure jamais guérie.
Elle se réveilla en entendant les pleurs de l’homme qui se penchait sur son visage. Il la regardait avec tellement d’amour dans ses yeux. C’est alors qu’elle le reconnut. Elle qui croyait l’avoir perdu depuis si longtemps, il était là, près d’elle. Un sourire timide apparut sur ses lèvres. Lola lui sauta dans les bras. Ils restèrent longtemps comme cela, le frère et la sœur enfin réunis.