VOIX DE TURQUIE

22 mai 2017.
 
Hakan Günday © Omrita Nandi

Elles nous sont particulièrement importantes et précieuses, les voix des écrivains et des poètes de Turquie, qui nous disent malgré les heures sombres, un pays vivant, riche de sa diversité et de ses langues. Hakan Günday, Prix Médicis étranger 2015 pour Encore, (Galaade) est «  l’enfant terrible  » des lettres turques, que l’on peut dire la voix de toute une génération. Le rire noir de Murat Özyasar (Rire noir, Galaade) est celui qui vous prend lors des veillées funèbres, quand le fou-rire veut apaiser la douleur du deuil. Comment peut-on rester au monde alors que l’on est mort ? D’origine arménienne et kurde, poète, peintre, photographe vivant à Diyarbakir, Azad Ziya Eren (Instituteur de campagne en Anatolie, Bleu Autour) a perdu comme beaucoup d’autres son poste d’instituteur et vit aujourd’hui en France. Le récit qu’il nous propose est tout simplement magnifique. Nous sommes les enfants de Caïn, de ceux qui ont tué et survécu, nous dit le poète d’origine kurde, Seyhmus Dagtekin qui a choisi la France : comment éveiller la part d’Abel qui reste en nous ? (A l’Ouest des ombres, Le Castor Astral)

Rencontre « Turquie Plurielle » avec Azad Zyia Eren, Moris Farhi, Hakan Günday et Murat Özyasar.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Poésie

De la bête et de la nuit

Le Castor Astral - 2021

Pour Şeyhmus Dağtekin, écrire, c’est tenter d’être juste envers soi-même et envers l’autre qu’il soit humain, animal, végétal, minéral. De la bête et de la nuit est issu de cette attention, de ce regard qui voudrait serrer, cerner l’autre au plus près de son être et de sa nuit.

De la bête et de la nuit marque à nouveau le lien profond que Şeyhmus Dağtekin entretient entre sa langue maternelle, le kurde, et sa langue d’adoption, le français. L’auteur renoue ainsi avec le Kurdistan à travers la langue française et les sonorités du kurde. Il impose une musique unique qui défie le temps et l’espace pour défier les agresseurs et les commandeurs éternels. Ces poèmes marquent une étape capitale dans sa quête d’identité qui dépasse les frontières.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Zamir

Gallimard - 2024

Zamir a six jours lorsqu’une bombe explose à al-Aman, un camp de réfugiés à la frontière turco-syrienne où sa mère l’a abandonné. Il survit, grâce à l’acharnement d’un chirurgien, mais reste défiguré. Élevé par All for All, une organisation humanitaire internationale, il devient un symbole, une image idéale pour collecter des fonds. Jeune adulte, il s’en émancipe pour rejoindre la Fondation pour la Première Paix mondiale et investir un poste clé de négociateur de l’ombre. Partout où un conflit armé est sur le point d’éclater, Zamir se précipite, l’empêche. Il rencontre des ministres, des dictateurs, des terroristes, ne recule devant rien. Pour les forcer à négocier, il les trompe, les fait chanter. Il n’a qu’un seul mot d’ordre : la paix avant tout, quel qu’en soit le prix.
D’une plume alerte et franche, Hakan Günday lève le voile sur la corruption et l’hypocrisie qui se cachent derrière la charité des organisations humanitaires, le cynisme des individus, la façon dont l’Occident lave sa conscience. Dans un monde alternatif qui a tout en commun avec le nôtre, il tire les fils de problématiques contemporaines pour bâtir une fiction palpitante autour d’un personnage inoubliable.

Traduit du turc par Sylvain Cavailles


 

DERNIER OUVRAGE

 

Zagros, fils de Chronos

Bleu Autour - 2018

Zagros, enfant kurde, voit sa ville assaillie par les forces du mal et se trouve jeté sur les chemins de l’exil avec sa famille de tisserands de kilims. Les voici bientôt ballotés par les mers où les enfants perdent le sillage des parents. Zagros grandira trop vite au fil de son périple entre le golfe Persique et l’Atlantique. Il croise les noirs desseins du capitaine Achab de Moby Dick. Le Prince Dakkar cher à Jules Verne le mène sur l’île d’Elysion où échouent les petits naufragés d’aujourd’hui. Et le gardien de l’île, Chronos, l’enserre dans sa tenaille… Le tragique de l’exil est de tous les temps, nous dit ce roman fantastique et moderne, mythologique et littéraire, où apparaissent encore le paon sacré des Yézidis et les yeux profonds comme les mers des étonnants voyageurs de Baudelaire…

Traduit du Turc par Jean Lescat

 

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Nouvelles

Rire Noir

Galaade - 2017

Le Rire noir dont il est question ici n’est pas une expression courante en turc. Elle est très locale (Diyarbakir) et intimement liée à la mort : le rire noir vous prend lors des veillées funèbres, lorsque l’évocation de la vie du défunt prend le chemin des anecdotes et que le fou-rire vient apaiser la douleur du deuil. L’humour est omniprésent dans les nouvelles de Murat Özyasar, on y rit beaucoup mais sans jamais oublier le drame, la tragédie qui se cache derrière ce rire, et que l’actualité ne cesse jamais, hélas, de nous rappeler. Le rire noir, c’est celui du narrateur de Rideau, qui se demande comment l’on peut rester au monde alors que l’on est mort, mort de l’ennui de vivre dans une ville de province marquée par une « sale guerre » qui n’en finit pas de durer. C’est aussi celui de SixTrenteCinq, jeune Kurde qui fait son service militaire dans l’armée qui combat la guérilla dont son frère est l’une des figures héroïques. Avec ce recueil, Murat Özyasar poursuit son travail sur la langue turque et continue de construire une littérature enracinée à Diyarbakir, sa ville d’origine. Il a grandi dans un contexte où la langue de la maison (le kurde) était interdite et son usage réprimé alors que la langue étrangère, le turc, était imposé de force à l’école. Sa langue littéraire, qu’il définit comme un turc « cassé », se fait le reflet de cette situation en réinventant la parole de tout un peuple qui, pris entre deux langues, n’en maîtrise parfaitement aucune. Cet art de la cassure, Murat Özyasar le maîtrise parfaitement.

Traduit du Turc par Sylvain Cavailles

 

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Romans

Les enfants du Romanestan

Bleu Autour - 2016

Une fable noire, enchantée aussi, sur l’épopée d’un peuple qui renaît toujours de ses cendres, celui des Tziganes d’Europe orientale nourris de l’âme de la Nature. L’histoire de Branko, orphelin rescapé du Porajmos - le génocide gitan - et bientôt confronté au nettoyage ethnique de la Roumanie de Ceausescu. Moïse des temps modernes, il prend la tête d’un exode périlleux vers un mythique Romanestan, accomplissant la prophétie qui lui a été dictée.

Ce grand roman populaire, historique et légendaire pose aussi la question, toujours vive, de l’identité  : qu’est-ce qu’être un Gitan, qu’est-ce qu’être un gadjo  ? Mieux vaut devenir qui on est plutôt que de vouloir être quelqu’un d’autre, fait entendre Moris Farhi dans cet hymne à la vie sacrée, fraternelle, charnelle.

Traduit de l’anglais par Martine Chard-Hutchinson et Agnès Chevallier.


Revue de presse